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Jusqu’ici, le développement durable semblait le mieux indiqué pour inverser la tendance. Or, de plus en plus de voix s’élèvent : c’est la consommation même des cités et de nos besoins, qu’il faut revoir. Un impératif, désormais…
Longtemps perçu par les collectivités comme une solution pour
concilier environnement et croissance économique, le développement
durable interroge : est-il logique de continuer à chercher à se
développer alors que les limites planétaires sont déjà atteintes ? Selon
un récent colloque organisé par l’Ademe, les politiques publiques en la
matière n’auraient finalement pas prouvé leur efficacité. « La
croissance verte est un non-sens car elle ne questionne pas nos réels
besoins », assure Sébastien Maire, Délégué général de France ville
durable (FVD).
CHANGER LES MENTALITÉS
Plus
radicale, la sobriété s’impose dans les débats comme le modèle à suivre
pour repenser nos villes. Au cœur de cette notion, la modération, la
simplicité ou encore la frugalité. « Pour l’urbaniste, il s’agit de
questionner les véritables besoins des habitants et du territoire et de
les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement », précise
Sébastien Maire. Dans cette optique, la ville de demain, selon FVD, doit
réduire ses consommations avant de chercher à « verdir » la production
d’énergie, limiter les déplacements domicile-travail avant de créer des
infrastructures de transport, réduire les déchets à la source,
réemployer, réparer, avant de recycler…
Logique ! Mais ni les urbanistes, ni les architectes, ni les collectivités n’avaient encore réussi à véritablement l’intégrer dans les rouages de nos villes. « Il faut accepter une vision du futur différente de celle qui nous a été promise à la fin du XXe siècle. Une vision plus sobre, plus réaliste mais qui peut être aussi plus désirable. C’est un vrai changement de point de vue », assure-t-il.
D’autant que la sobriété présente des avantages immédiats pour les collectivités. Dans l’Orne, la commune d’Argentan a pris par exemple la décision d’éteindre l’éclairage public de 23 h 30 à 4 h 30, avec l’approbation de ses habitants, et sans qu’aucune augmentation de la criminalité n’ait été constatée. Résultat ? Une économie sur l’année de 90 000 euros… et une voûte céleste qui se dévoile davantage aux yeux des citadins. « Tout l’enjeu est de montrer que la sobriété, c’est aussi une façon d’améliorer la qualité de vie », poursuit Sébastien Maire.
Sébastien Maire, Délégué général de France ville durable
FAIRE MIEUX AVEC MOINS
En
matière de bâtiment, les collectivités se penchent également sur des
choix plus économiques. Confrontée à une forte croissance démographique,
la métropole de Bordeaux vient de lancer le label « bâtiment frugal »,
un nouvel outil qui prône la réhabilitation et la mesure. « Si
performante soit-elle, une construction neuve ne compensera jamais
l’économie de foncier, d’énergie, de carbone ou de matériaux que
représente un bâtiment existant réhabilité », souligne ce référentiel
qui compte 42 critères. Toutes les phases du projet sont ainsi
décortiquées afin que le bâtiment s’adapte aux territoires, aux usages,
au climat local et aux besoins.
Dans les écoles d’architecture, d’ingénieurs ou d’urbanisme, les formations évoluent peu à peu pour prendre en compte cet impératif d’une ville durable, plus frugale, utilisant la technologie à bon escient. Les étudiants apprennent à raisonner à partir de l’existant, en réutilisant des bâtiments et en se servant de matériaux biosourcés et recyclés. La question des besoins réels s’ancre également dans de nouvelles formations qui valorisent la prise en compte des habitants et de leurs usages dans la « fabrique » de la ville. Pour un urbanisme plus participatif, plus attentif. Avec l’idée de redéfinir ensemble les politiques du « juste besoin ».
« Le véhicule du futur a deux roues et un guidon : c’est un vélo
», écrivait le journaliste Clive Thompson, dans Wired Magazine, en 2018.
Pas faux…
Depuis la crise sanitaire, le vélo connaît un surcroît
d’engouement en répondant notamment aux enjeux de la distanciation
sociale. Pour les villes, il s’agit d’accélérer le développement
d’infrastructures sécurisantes, tout en profitant de la diversification
de l’offre au cours des dernières années : vélo classique, mais aussi
vélo à assistance électrique (VAE) – certains étant débridés à 45 km/h –
ou vélo-cargo (pour le transport de charges) sans oublier la
trottinette électrique, le gyroroue… Les VAE sont, en outre, adaptés à
des trajets de 10-15 km (soit 30-45 minutes), tout en facilitant la
pratique d’anciens automobilistes.
Bref, voici un autre exemple des bénéfices – y compris en termes de santé – qui pourraient résulter d’une plus grande sobriété dans nos villes.
DES VILLES AUTOSUFFISANTES
Des
graines vertes, il s’en sème beaucoup en ville, ces dernières années,
et pas que dans les jardins partagés. Balcons nourriciers,
toits-jardins, micro-fermes… ces exemples d’agriculture urbaine se
développent avec l’objectif de lancer le débat sur l’autosuffisance
alimentaire et de réduire le bilan carbone des cités grâce à un
approvisionnement de proximité. « Même si le mouvement prend de
l’ampleur, l’agriculture urbaine ne sera jamais suffi sante pour nourrir
les urbains », estime Sébastien Maire, qui reste cependant convaincu
par sa dimension pédagogique et sociale. D’où l’urgence, selon lui, de
concevoir un environnement urbain bien plus en lien avec sa périphérie. «
La coopération est essentielle. On nous a longtemps enfermés dans
l’idée qu’il fallait forcément des territoires en compétition les uns
avec les autres pour favoriser le développement. Mais peut-on accepter
qu’il y ait des territoires perdants ? » L’objectif est limpide :
abandonner l’idée d’être le citadin d’une ville, mais plutôt l’habitant
d’un territoire, d’une planète…
TÉMOIGNAGE
« La ville n’est pas une somme de constructions, c’est un projet social »
Économiste et urbaniste reconnu pour ses travaux consacrés à la ville durable, Jean Haëntjens est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Éco-urbanisme, La ville frugale ou Smart city, ville intelligente : quels modèles pour demain ? Il est aujourd’hui consultant en prospective territoriale et en stratégies urbaines (Urbatopie).
Existe-t-il une architecture de la ville durable ?
Jean Haëntjens : Penser qu'il existe une forme de ville idéale est dangereux[1]:
on a tenté de le faire avec les grands ensembles, et le moins qu'on
puisse dire, c'est que ça n'a pas été un succès... Tout l’art de
l’urbanisme, c’est de faire la synthèse, de concilier des contraintes et
des désirs. Néanmoins, la ville souhaitable, celle d’ailleurs qui est
désirée depuis la crise sanitaire, reste une ville de taille moyenne
avec des maisons de ville, des petits collectifs et une vie de quartier –
comme Nantes ou Angers. La voiture n’est pas dominante et la plupart
des trajets se font en mobilité douce.
Faut-il faire des villes plus compactes ?
Jean Haëntjens :
Certes, on évite l’étalement urbain. Mais l’idée de revenir à la ville
compacte qui a prévalu jusqu’au milieu du XXe siècle, avec la population
regroupée autour d’un centre unique, je n’y crois pas. Il faut arrêter
de tout centraliser et réfléchir à plusieurs polarités. Des villes comme
Bordeaux, Turin ou Barcelone tentent de le faire afin de fluidifier les
déplacements et d’offrir aux citadins un accès rapide aux services
essentiels. On parle à ce propos de la « ville du quart d’heure », où
tout peut se faire à pied ou à vélo en moins de 15 minutes à partir de
chez soi… ce que les périodes de confinement ont rendu plus désirable.
L’urbanisme peut-il transformer notre rapport à la ville ?
Jean Haëntjens : L'urbanisme
raconte ce que nous sommes. Le Moyen Âge a eu ses villes fortifiées et
ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons
nos zones d’activités et nos lotissements. Rien n’est figé.
Actuellement, le secteur de la grande distribution souffre, concurrencé
par l’e-commerce et le regain des commerces des centres-villes. Les
villes se reconstruiront peut-être sur ces immenses nappes de parkings
et remplaceront les hangars en tôle par des habitats écologiques.
Pourquoi pas ? Une chose est sûre : l’urbanisme doit devenir un moyen
d’appropriation de modes de vie plus durables face à l’urgence
environnementale.
Pour aller plus loin :
Sur Internet :
– Association France ville durable, www.francevilledurable.fr.
– Le site du ministère de la Cohésion des territoires, https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/habiter-la-ville-de-demain-preparer-la-ville-et-des-territoires-sobres-resilients-et-inclusifs.
–
Le site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
(Ademe) met à disposition plusieurs guides et ouvrages sur la sobriété,
disponibles sur www.librairie.ademe.fr.
Les livres :
– Construire plus vite la ville durable : nouveau modèle et partenariats, José-Michaël Chenu, Éd. Eyrolles.
– Villes durables - Quelles villes pour demain ? Christophe Rymarski, Éd. Sciences humaines.
– Comment consommer avec sobriété - Vers une vie mieux remplie, Valérie Guillard, Éd. De Boeck.