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Cher Monsieur,
![[16 décembre 2019] Philippe Hayez : Sapere aude ! Le renseignement, une politique nationale indispensable et exigeante](https://academiesciencesmoralesetpolitiques.files.wordpress.com/2019/11/dgse-defense-1.jpg?w=830&h=374&crop=1)
[16 décembre 2019] Philippe Hayez : Sapere aude ! Le renseignement, une politique nationale indispensable et exigeante
Allocution de présentation de Philippe Hayez
par M. Georges-Henri Soutou, Président de l’Académie
Cher Monsieur,
Après une maîtrise en droit des affaires à Paris I et le cursus de Sciences Po Paris, vous entrez à l’ENA en 1985.
À votre sortie, vous intégrez la Cour des Comptes où vous accomplissez toute votre carrière jusqu’à aujourd’hui : vous y êtes devenu conseiller maître en 2005.
Par détachement, vous avez été affecté à différents postes au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense.
À votre sortie, vous intégrez la Cour des Comptes où vous accomplissez toute votre carrière jusqu’à aujourd’hui : vous y êtes devenu conseiller maître en 2005.
Par détachement, vous avez été affecté à différents postes au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense.
En 2000 vous êtes détaché à la Direction
générale de la Sécurité extérieure (DGSE), d’abord auprès de son
directeur général, Jean-Claude Cousseran, puis comme directeur adjoint à
la Direction du renseignement. Au commencement était l’action ; mais
ensuite, à partir de 2007, vous donnez un cours sur le sujet à l’École
des Affaires internationales de Sciences Po Paris (PSIA). Depuis 2011,
vous êtes responsable avec Jean-Claude Cousseran de la spécialité
« Renseignement » de l’école en tant que conseiller scientifique. Vous y
dispensez un cours avec Jean-Claude Cousseran jusqu’en 2016, puis avec
le général Olivier Bonnet de Paillerets, commandant de la cyberdéfense
à l’état-major des Armées.
Vous êtes l’auteur, outre de très nombreux articles et communications, de deux ouvrages, écrits avec Jean-Claude Cousseran :
- Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie — c’est le titre de votre cours — paru en 2015
- Leçons sur le renseignement en 2017.
Je note également une contribution en 2018 à l’ouvrage de Pierre Pascallon, Rendre le renseignement plus efficace dans la lutte contre le terrorisme, intitulée : « La nécessité demain d’un pilotage plus affirmé de notre appareil de renseignement ».
En 1998, l’amiral Lacoste faisait paraître La culture française du renseignement,
dans lequel il faisait le constat « que les universités anglo-saxonnes
avaient produit une masse importante de travaux de qualité sur le
renseignement et que nous étions très loin en France de disposer d’un
savoir équivalent ». Vingt ans après, les choses ont grandement évolué
et la « communauté du renseignement » est mieux prise en compte par les
pouvoirs publics et s’est rapprochée, et vous y contribuez, du monde
académique. Lequel s’est départi de certains préjugés et de beaucoup
d’ignorance, tout en espérant que la loi d’archive du 15 juillet 2008
soit un jour assouplie…
Je vous laisse, Cher Monsieur, la parole
afin que vous nous expliquiez ce que devrait être, aujourd’hui, dans un
contexte international, politique, technique bouleversé, une politique
publique du renseignement pour notre pays.
« Sapere aude ! Le renseignement, une politique nationale indispensable et exigeante »
par Philippe Hayez
Ancien directeur adjoint du renseignement de la DGSE, professeur à Sciences Po
Ancien directeur adjoint du renseignement de la DGSE, professeur à Sciences Po
Téléchargez ici le texte de la communication
Monsieur le Président,
Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Chancelier Honoraire,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Chancelier Honoraire,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Comme vous pouvez vous l’imaginer, je
suis très honoré de la proposition que le Président Georges-Henri Soutou
m’a faite il y a quelques mois d’intervenir devant vous aujourd’hui. Je
le suis car c’est l’occasion de me rappeler, au sein de la compagnie
prestigieuse de vos membres et anciens membres, ceux dont les bustes
ornent le hall d’honneur du 27 de la rue Saint-Guillaume, Émile Boutmy,
Anatole Leroy-Beaulieu, Eugène d’Eichtal, et bien d’autres…
Comme vous l’avez rappelé, c’est le lieu
où s’est effectuée ma formation intellectuelle et où, comme vous avez
bien voulu l’indiquer, j’ai le privilège d’enseigner depuis une douzaine
d’années une matière dont n’avaient pas sans doute pas idée ces pères
fondateurs. Je suis particulièrement comblé par votre invitation, parce
que vous avez cru bon de convoquer le renseignement devant votre auguste
cénacle.
Comme s’en souviennent certains, ce n’est
en vérité pas la première fois que vous abordez ce sujet. Il y a plus
de vingt ans, le 23 février 1996, vous avez en effet reçu, ici même,
l’Amiral Pierre Lacoste, qui vous a entretenu des « missions et de la
déontologie des services spéciaux ». Il faut rendre hommage à l’ancien
responsable de la DGSE pour son rôle de père fondateur des études sur le
renseignement en France.
Je me dois aussi de souligner la contribution de votre Académie à ce que l’on a appelé alors le « printemps français du renseignement ». Et je souhaite partager votre intérêt avec ceux qui nous entourent aujourd’hui et, qui par leur engagement au sein des services de renseignement et de sécurité français ou par leur précieuse contribution académique ou médiatique, ont contribué à cette petite épopée et forment une famille discrète mais fidèle.
Je me dois aussi de souligner la contribution de votre Académie à ce que l’on a appelé alors le « printemps français du renseignement ». Et je souhaite partager votre intérêt avec ceux qui nous entourent aujourd’hui et, qui par leur engagement au sein des services de renseignement et de sécurité français ou par leur précieuse contribution académique ou médiatique, ont contribué à cette petite épopée et forment une famille discrète mais fidèle.
Il est bien loin, en effet, le temps où vos confrères et voisins décrivaient, en 1798, dans la 6ème édition du Dictionnaire
de l’Académie, que « l’espionnage est un métier infâme ». On sait,
depuis les travaux déjà évoqués de l’Amiral Pierre Lacoste, à la fin des
années 1990, et ceux d’historiens réputés comme Maurice Vaïsse, que la «
culture française du renseignement » a produit des vendanges tardives.
Combien d’experts l’ont déploré en
regardant avec envie nos voisins anglo-saxons, sans pourtant toujours
bien mesurer les difficultés et les échecs qu’a connu l’intelligence
dans ces pays. Loin de l’autoflagellation, gardons-nous d’oublier que le
renseignement a aussi des racines méditerranéennes, comme nous le
rappellent l’antique déesse Métis chère à Jean-Pierre Vernant, le correo mayor
exploité par Philippe-II d’Espagne ou le Tribunal des inquisiteurs
d’État de la Sérénissime République. Et certains seraient surpris de
découvrir, comme nous l’a appris notre ami Olivier Forcade, que Léon
Blum s’intéressait plus au renseignement que son homologue
d’outre-Manche, Sir Neville Chamberlain.
Ce n’est pourtant qu’il y a un peu plus
de dix ans, en 2008, que les plus hautes autorités de l’État ont reconnu
l’importance pour la conduite des affaires intérieures et extérieures
de cet instrument.
Ce n’est même qu’avec la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement que le législateur a admis l’existence d’une « politique publique de renseignement », comme l’indique désormais notre Code de la sécurité intérieure.
Pourtant, cette activité, secrète par nature, demeure encore trop marquée par l’émotion, notamment par celle provoquée par les attentats qui ont frappé notre sol ces dernières années, ce qui a pu conduire certains à s’engager mais d’autres à douter. Elle l’est également par la fiction, qui, même réaliste et réussie, comme la série Le Bureau des légendes, demeure un miroir inévitablement opaque et même déformant. « La fréquentation des services nécessite plus de froideur que de fiction » rappelle, avec justesse, le conseiller d’État Christian Vigouroux, dans son bel ouvrage Du juste exercice de la force. Je ne suis donc pas certain que, dans un tel contexte, l’on ait déjà tiré toutes les conséquences de cette belle appellation de politique qui nous oblige.
Ce n’est même qu’avec la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement que le législateur a admis l’existence d’une « politique publique de renseignement », comme l’indique désormais notre Code de la sécurité intérieure.
Pourtant, cette activité, secrète par nature, demeure encore trop marquée par l’émotion, notamment par celle provoquée par les attentats qui ont frappé notre sol ces dernières années, ce qui a pu conduire certains à s’engager mais d’autres à douter. Elle l’est également par la fiction, qui, même réaliste et réussie, comme la série Le Bureau des légendes, demeure un miroir inévitablement opaque et même déformant. « La fréquentation des services nécessite plus de froideur que de fiction » rappelle, avec justesse, le conseiller d’État Christian Vigouroux, dans son bel ouvrage Du juste exercice de la force. Je ne suis donc pas certain que, dans un tel contexte, l’on ait déjà tiré toutes les conséquences de cette belle appellation de politique qui nous oblige.
Certes, des appels en faveur de cette
prise de conscience ont déjà été lancés auparavant. L’ancien Premier
ministre Michel Rocard avait défendu dans Le Figaro en mars 2008 l’idée
d’une « politique de renseignement ». Nous avions nous-même, bien
modestement, pu évoquer en 2009 dans un colloque universitaire à
Bordeaux l’existence de « fragments » de cette politique publique.
Et notre ami l’historien Sébastien-Yves Laurent avait, à son tour, plaidé en 2014 Pour une véritable politique de renseignement dans une publication de l’institut Montaigne.
Mais il me semble qu’il reste à expliciter ce que l’on entend par là et je vous remercie de m’en donner l’occasion.
Je vais tenter, en suivant le poète Horace, qui nous invitait dans ses Épitres à « oser savoir » (Sapere Aude), de vous convaincre que la politique de renseignement est peut-être tout autant un art qu’une science politique et que, sous certaines conditions, elle a toute sa place dans une démocratie contemporaine.
Pour cette démonstration, je reviendrai sur trois questions, dont la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y parait : Pourquoi renseigner ? Comment renseigner en démocratie ? À quelles conditions notre pays peut-il continuer à s’appuyer sur cette politique de renseignement pour faire face aux défis qui l’attendent ?
Et notre ami l’historien Sébastien-Yves Laurent avait, à son tour, plaidé en 2014 Pour une véritable politique de renseignement dans une publication de l’institut Montaigne.
Mais il me semble qu’il reste à expliciter ce que l’on entend par là et je vous remercie de m’en donner l’occasion.
Je vais tenter, en suivant le poète Horace, qui nous invitait dans ses Épitres à « oser savoir » (Sapere Aude), de vous convaincre que la politique de renseignement est peut-être tout autant un art qu’une science politique et que, sous certaines conditions, elle a toute sa place dans une démocratie contemporaine.
Pour cette démonstration, je reviendrai sur trois questions, dont la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y parait : Pourquoi renseigner ? Comment renseigner en démocratie ? À quelles conditions notre pays peut-il continuer à s’appuyer sur cette politique de renseignement pour faire face aux défis qui l’attendent ?
**
Pourquoi renseigner ?
Il est habituel de rappeler
que le renseignement vient du fond des âges, puisqu’on le qualifie
parfois de « deuxième plus vieux métier du monde ». Il trouve ses
racines dans un fait anthropologique. L’homme de Neandertal, comme ses
ancêtres, avait besoin de savoir ce qui pouvait le menacer pour se
protéger et protéger les siens mais aussi pour lui permettre de dérober
le feu chez ses voisins. On notera là déjà un double aspect défensif et
offensif de cette pratique.
Comme l’ont rappelé nos chers historiens,
qui les premiers ont engagé le monde académique dans la compréhension
de cette activité, avant les juristes, les politistes, les
internationalistes et, depuis peu, les philosophes et les sociologues,
la pratique du renseignement est devenue un métier au fil des siècles.
Elle s’est institutionnalisée entre le XVIème et le XVIIIème siècle tout
au moins dans les puissances européennes, avant de s’implanter dans des
organisations permanentes au XIXème siècle, dont le 2ème bureau, qui
vient d’être dépeint de manière bien peu reluisante par le récent film
de Roman Polanski sur l’Affaire Dreyfus. Le XXème siècle et ses deux
guerres mondiales ont vu cette activité prendre une dimension technique
et même industrielle, dont la cryptanalyse et les interceptions de
télécommunications sont l’héritage.
Alors qu’il avait jusque-là été associé à
un exercice du pouvoir qui ne s’accommodait guère de justifications, ce
n’est qu’au cours des dernières décennies que le renseignement a trouvé
ses visages, ses lieux, ses statuts et s’est progressivement installé
dans le paysage des États démocratiques. Jusqu’à la chute du Mur de
Berlin, on pouvait y voir un instrument de la Guerre froide, plus ou
moins efficace, voire, pour certains, plus ou moins anecdotique.
Celle-ci s’achevant, de nombreux États occidentaux ont cru bon de
réduire leur effort dans ce domaine, en escomptant quelques dividendes.
Mais, le retour des grands attentats à partir de la fin des années 1990,
et bien sûr, la blessure du 11 septembre 2001, rouverte sur le sol
européen à Madrid en 2004 et à Londres en 2005, ont lancé un nouveau
cycle. Ce cycle, dans lequel nous nous situons encore, a conduit nos
États à investir massivement dans des appareils de renseignement qui
comptent désormais plusieurs milliers d’employés et disposent de budgets
de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce contexte, que la jeune
génération a toujours connu, a insensiblement transformé ce qui pouvait
être conçu comme une arme quelque peu émoussée de la puissance publique
en un instrument du service public. Comme si le vieux débat entre les
deux écoles de droit public s’était transporté sur ce champ et que nous
entendions les doyens Maurice Hauriou et Léon Duguit débattre du sujet…
Comme chacun le sait désormais, et comme nos autorités l’ont souligné en
2006 dans le Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme
(dont, au passage, on espère que la mise à jour est en cours), la
politique de renseignement contribue à assurer la protection des
citoyens.
Mais, on ne saurait la réduire à cette noble ambition.
C’est pourquoi les auteurs de la loi de 2015 ont veillé à donner à cette politique une double finalité d’intérêt général : concourir, d’une part, à la stratégie de sécurité nationale et, d’autre part, à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation. Pour la première, la défense et la diplomatie, désormais fusionnées dans le concept de « sécurité nationale ».
Ce concept, qui s’est diffusé dans presque toutes les démocraties, a été importé en France dès 1991 dans le champ légal du renseignement (avec la loi sur les interceptions de sécurité) avant d’être, depuis 2008, continûment repris dans nos Livres blancs. Pour la seconde, l’ordre public au sens du Code pénal, dont la garde est confiée au renseignement en partage avec le policier et le juge. Ainsi, dans le champ domestique comme sur les théâtres extérieurs, la politique de renseignement a-t-elle pour ambition d’informer les responsables pour leur permettre d’agir, et leur donner un « avantage décisif » comme le dit une universitaire américaine.
La récente Revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en octobre 2017 cite le mot de « renseignement » à 32 reprises quand le Livre blanc sur la défense de 1972 l’ignorait complètement et quand celui de 1994 se bornait à l’inclure pudiquement dans une fonction de « connaissance et anticipation ».
De son côté, la politique de sécurité intérieure, ainsi nommée depuis le début de la précédente décennie et distinguée de la sécurité individuelle des personnes et des biens ou du strict maintien de l’ordre, est un exemple de ce que les Anglo-Saxons appellent une « politique pilotée par le renseignement » (intelligence-led policy).
C’est un défi considérable en soi car, dans ces deux registres, la politique de renseignement doit prouver sa valeur ajoutée, sa fiabilité et son objectivité pour justifier le recours à ses méthodes particulières de recherche. On lui demande de sonner l’alerte et de prévenir ce « brusque surgissement d’une menace de mort, au détour d’un chemin prétendument paisible » dont parlait March Bloch. On lui demande aussi de plus en plus de valider des informations, voire d’invalider des fake news – que l’on appelle désormais en français infox – dans un contexte que le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, vient de qualifier devant le Parlement de « dégradation des relations internationales ».Que l’on pense seulement au travail qui est désormais demandé aux services pour détecter des manipulations hostiles à la veille des grandes consultations électorales.
C’est pourquoi les auteurs de la loi de 2015 ont veillé à donner à cette politique une double finalité d’intérêt général : concourir, d’une part, à la stratégie de sécurité nationale et, d’autre part, à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation. Pour la première, la défense et la diplomatie, désormais fusionnées dans le concept de « sécurité nationale ».
Ce concept, qui s’est diffusé dans presque toutes les démocraties, a été importé en France dès 1991 dans le champ légal du renseignement (avec la loi sur les interceptions de sécurité) avant d’être, depuis 2008, continûment repris dans nos Livres blancs. Pour la seconde, l’ordre public au sens du Code pénal, dont la garde est confiée au renseignement en partage avec le policier et le juge. Ainsi, dans le champ domestique comme sur les théâtres extérieurs, la politique de renseignement a-t-elle pour ambition d’informer les responsables pour leur permettre d’agir, et leur donner un « avantage décisif » comme le dit une universitaire américaine.
La récente Revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en octobre 2017 cite le mot de « renseignement » à 32 reprises quand le Livre blanc sur la défense de 1972 l’ignorait complètement et quand celui de 1994 se bornait à l’inclure pudiquement dans une fonction de « connaissance et anticipation ».
De son côté, la politique de sécurité intérieure, ainsi nommée depuis le début de la précédente décennie et distinguée de la sécurité individuelle des personnes et des biens ou du strict maintien de l’ordre, est un exemple de ce que les Anglo-Saxons appellent une « politique pilotée par le renseignement » (intelligence-led policy).
C’est un défi considérable en soi car, dans ces deux registres, la politique de renseignement doit prouver sa valeur ajoutée, sa fiabilité et son objectivité pour justifier le recours à ses méthodes particulières de recherche. On lui demande de sonner l’alerte et de prévenir ce « brusque surgissement d’une menace de mort, au détour d’un chemin prétendument paisible » dont parlait March Bloch. On lui demande aussi de plus en plus de valider des informations, voire d’invalider des fake news – que l’on appelle désormais en français infox – dans un contexte que le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, vient de qualifier devant le Parlement de « dégradation des relations internationales ».Que l’on pense seulement au travail qui est désormais demandé aux services pour détecter des manipulations hostiles à la veille des grandes consultations électorales.
Ce renseignement doit pourtant savoir
rester à sa place car, comme le disait justement l’un de mes anciens
directeurs généraux de la DGSE ici présent, il ne peut être qu’un
téléobjectif et non un grand angle. Les errements conjoints des
États-Unis et du Royaume-Uni dans l’engagement du conflit en Iraq en
2003 montrent ce que peut donner un trop grand appui, feint ou réel, sur
un renseignement. C’est dire que la politique de renseignement ne doit
pas se construire au détriment d’autres politiques. À cet égard, il est
important pour notre pays de conserver une diplomatie puissante, alors
que l’on vient d’annoncer que le nombre des postes diplomatiques chinois
dépasse désormais le nôtre, et que se ferment, année après année, les
bureaux des correspondants à l’étranger de nos grands journaux.
Mais la politique de renseignement n’est
pas qu’une information dont les ingrédients et la qualité seraient
distinctifs et qui permettrait de mieux « suivre la vérité effective de
la chose » pour parler comme Machiavel. Elle peut être aussi dans les
démocraties peu nombreuses qui en acceptent le principe, dont la nôtre,
l’instrument d’une action que les États souhaitent maintenir dans
l’ombre. Comme aime à le rappeler son actuel directeur général, « la
DGSE est, par nature, un service offensif » et son décret constitutif de
1982 lui donne une capacité unique d’« entrave ». C’est ce que son
homologue britannique, le Secret Intelligence Service, appelle, avec un
joli sens de l’understatement, former les événements (shaping events) et produire des effets (delivering effects).
Notre politique de renseignement se veut aussi désormais un vecteur
d’influence, pour contribuer à déjouer les schémas des adversaires de
notre pays ou aider à convaincre de la justesse de nos positions
diplomatiques.
Cette action clandestine, pour la nommer
comme elle doit l’être, est appelée à se renouveler, et pas seulement
dans ses modalités techniques. Son périmètre change avec l’acquisition
de nos premiers drones armés et le renforcement de nos capacités
cyber-offensives. Ceci pose la question, non seulement de la répartition
des moyens et des responsabilités entre les principaux acteurs
concernés, mais aussi des chaînes d’autorisation à mettre en place afin
que les citoyens en acceptent le principe en toute connaissance de
cause. Il convient en effet de conserver à cette action son efficacité
tout en évitant que celle-ci ne se dilue dans des pratiques plus ou
moins contrôlées. Ainsi peut-on considérer que la politique de
renseignement, comme d’autres politiques publiques, a un but tout à fait
légitime. Celui pour lequel, depuis Hobbes, les individus ont mandaté
les États. Comme les mousquetaires d’Amsterdam, il lui revient
d’effectuer sa ronde de nuit afin de préserver la tranquillité des
citoyens et de leurs gouvernants.
**
Comment renseigner en démocratie ?
Mais si évoquer le
renseignement peut faire rêver les étudiants – et même les étudiantes –
de Sciences-Po, c’est qu’il s’abrite depuis toujours à l’ombre du
secret, l’arcana imperii des Anciens. Le secret des
informations qu’il glane bien sûr mais aussi celui des sources et des
méthodes sur lesquelles il se fonde pour opérer. Celles-ci doivent être
protégées, envers et contre tout, à l’ère de ce que, depuis les fuites
organisées aux États-Unis par Edward Snowden, certains appellent la «
régulation par les révélations ». Et si la curiosité, voire les
fantasmes, sont bien compréhensibles de la part des citoyens, la
transparence, qui devient une des normes de l’action publique, est hors
de portée en la matière. Pourtant, c’est aussi parce que la politique
de renseignement s’appuie inévitablement sur une activité secrète
qu’elle peut représenter un danger pour la démocratie. Les nombreuses
tentations de dirigeants de pays aussi pacifiques que la Corée du sud,
le Danemark ou le Portugal, de se livrer à l’espionnage de leurs
adversaires politiques en témoignent et aucune d’entre elles ne date du
siècle dernier…
Certes, toutes les activités de renseignement ne sont pas exposées de la même manière, et, la plus sensible à cet égard est la politique de renseignement dans le domaine de la sécurité intérieure.
Certes, toutes les activités de renseignement ne sont pas exposées de la même manière, et, la plus sensible à cet égard est la politique de renseignement dans le domaine de la sécurité intérieure.
De manière très
contemporaine, la recherche du bon positionnement de cette politique
pour lutter contre les extrémismes dans plusieurs États européens
traduit cette difficulté. La loi de 2015 a soigneusement limité l’usage
du renseignement à cette fin. Parmi les sept motifs du recours autorisé
aux techniques de renseignement, elle s’est bornée dans ce domaine à le
circonscrire à « la prévention des atteintes à la forme républicaine des
institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de
groupements dissous (…) et des violences collectives de nature à porter
gravement atteinte à la paix publique ». L’interdiction faite au
service de sécurité intérieure allemand par le Tribunal fédéral de
Karlsruhe, au début de cette année, de surveiller le parti AFD témoigne
de cette préoccupation. Pour éviter de telles dérives, on comprend qu’il
faille des garde-fous. C’est dire toute l’importance du partage des
activités des services avec des « tiers de confiance », sur lesquels je
reviendrai tout à l’heure.
À cette exigence de secret s’ajoute celle
de la maîtrise des technologies mises à la disposition de la politique
de renseignement. Il n’y a en effet plus de renseignement aujourd’hui
qui ne soit pas numérique. Opposer par exemple la recherche par moyens
humains et la recherche par moyens techniques ne correspond plus à la
réalité opérationnelle des services. Le criblage comme le ciblage,
pratiques élémentaires de ces services, dépendent étroitement du
traitement et de la maîtrise des données en temps réel. Ce n’est pas
seulement le deep et le dark web ou les messageries
cryptées de type Telegram ou TikTok que les services doivent maîtriser.
Alors même qu’ils ne peuvent être tenus éloignés des débats publics et
internes aux gouvernements sur le développement de la 5G dans nos pays,
ces services doivent s’intéresser aux perspectives de la 6G ou de
l’intelligence artificielle pour préserver leurs capacités. Cette
nécessité est d’autant plus prégnante que la maîtrise de ces
technologies échappe manifestement de plus en plus à l’Europe, voire à
ce que l’on appelle encore l’Occident.
Dans ce domaine, cette activité se trouve
sur un chemin de crête. Pressée par les fortes attentes des opinions et
de ses dirigeants d’être plus efficace, par exemple pour prévenir des
attentats, elle est en même temps suspectée de se nourrir des techniques
qui peuvent faire basculer nos sociétés dans le monde d’Orwell, des
algorithmes de recherche à la reconnaissance biométrique. Et c’est bien
la responsabilité des chefs du renseignement mais aussi des responsables
publics que de veiller au bon équilibre, certains maîtres du droit
diraient à l’autolimitation, des dispositifs techniques de renseignement
en même temps qu’au juste niveau de l’investissement technologique et
financier qu’il convient de consentir.
Que l’on songe seulement à ce que seraient une incapacité soudaine à intercepter les communications de ravisseurs d’otages, de groupes terroristes préparant des attentats contre nos villes ou nos forces armées, d’intermédiaires douteux du commerce des armes ou des matières sensibles, de dirigeants de « démocratures », d’États voyous ou simplement tricheurs ! Mais que l’on songe aussi à ce que les capacités renouvelées du renseignement pourraient devenir à l’encontre des citoyens pour un pouvoir peu regardant et mal assuré ! Comme nous en avertissait déjà il y a près de 80 ans, Bertrand de Jouvenel, « qui oserait garantir que cet immense appareil d’État ne tombera jamais aux mains d’un gourmand d’empire ? »
Cette nécessaire surveillance permanente, qui demeure à ce jour très modeste dans notre pays – 22 000 personnes seulement, soit à peine 0,3 0/00 de la population, ont fait l’objet d’une mesure de surveillance par les services sur notre territoire en 2018 -, cette surveillance ne peut devenir l’« hypersurveillance » que redoutait déjà Jacques Attali en 2006. Il faut donc relativiser certaines craintes d’une surveillance de masse, qui curieusement ne s’exprimerait pour certains qu’à l’encontre des services d’État et non à celle de ces collecteurs d’informations personnelles que sont Amazon, Le Bon Coin ou Meetic. On peut cependant opposer à cette tentation un usage raisonné du renseignement, qui ferait une place accrue à la notion d’opérations, c’est-à-dire à une prise de risque calculée en vue d’un résultat attendu. Et il est intéressant que cette reconnaissance de la notion d’opération ait été souhaitée par la délégation parlementaire au renseignement en 2014 dans son rapport annuel. Il y a là matière à débat pour les professionnels, entre ce que l’on peut appeler les adeptes de l’acquisition de la connaissance par le Petit Véhicule ou par le Grand Véhicule comme diraient les bouddhistes.
Que l’on songe seulement à ce que seraient une incapacité soudaine à intercepter les communications de ravisseurs d’otages, de groupes terroristes préparant des attentats contre nos villes ou nos forces armées, d’intermédiaires douteux du commerce des armes ou des matières sensibles, de dirigeants de « démocratures », d’États voyous ou simplement tricheurs ! Mais que l’on songe aussi à ce que les capacités renouvelées du renseignement pourraient devenir à l’encontre des citoyens pour un pouvoir peu regardant et mal assuré ! Comme nous en avertissait déjà il y a près de 80 ans, Bertrand de Jouvenel, « qui oserait garantir que cet immense appareil d’État ne tombera jamais aux mains d’un gourmand d’empire ? »
Cette nécessaire surveillance permanente, qui demeure à ce jour très modeste dans notre pays – 22 000 personnes seulement, soit à peine 0,3 0/00 de la population, ont fait l’objet d’une mesure de surveillance par les services sur notre territoire en 2018 -, cette surveillance ne peut devenir l’« hypersurveillance » que redoutait déjà Jacques Attali en 2006. Il faut donc relativiser certaines craintes d’une surveillance de masse, qui curieusement ne s’exprimerait pour certains qu’à l’encontre des services d’État et non à celle de ces collecteurs d’informations personnelles que sont Amazon, Le Bon Coin ou Meetic. On peut cependant opposer à cette tentation un usage raisonné du renseignement, qui ferait une place accrue à la notion d’opérations, c’est-à-dire à une prise de risque calculée en vue d’un résultat attendu. Et il est intéressant que cette reconnaissance de la notion d’opération ait été souhaitée par la délégation parlementaire au renseignement en 2014 dans son rapport annuel. Il y a là matière à débat pour les professionnels, entre ce que l’on peut appeler les adeptes de l’acquisition de la connaissance par le Petit Véhicule ou par le Grand Véhicule comme diraient les bouddhistes.
La politique de renseignement, tout en
demeurant, comme le législateur l’a voulu, dans la « compétence
exclusive de l’État », doit également inciter les services à agir avec
d’autres acteurs publics et privés. En effet, leurs informations
secrètes sont utiles à des acteurs publics de plus en plus nombreux :
administrations d’État bien sûr mais aussi collectivités territoriales,
gestionnaires d’infrastructures… Elles doivent même pouvoir être
élargies à certains acteurs privés, comme le prévoit la politique de
sécurité économique mise en place en mars dernier. Ceci pose donc le
problème, plus important à mes yeux que celui de l’organisation
administrative du renseignement, de l’architecture de partage et de
diffusion des renseignements.
Dans ce même contexte, marqué par la primauté de la lutte anti-terroriste, les partenariats de nos services avec des services étrangers se sont considérablement développés, en nombre et en intensité. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que cet appareil ultra-régalien doit composer en réalité avec un monde en réseaux. Un chef de service britannique a pu présenter le renseignement, il y a dix ans, comme, « la dernière assurance de notre souveraineté ». Nos autorités ont raison d’être plus prudentes en considérant que celui-ci doit contribuer avant tout à l’autonomie de décision de notre pays. Et c’est déjà beaucoup ! Un service français entretient en effet aujourd’hui plusieurs centaines de liaisons avec des partenaires étrangers, dont la nature politique, les méthodes et le positionnement interne sont très divers et souvent éloignés de nos standards. Sachez que la seule l’Union européenne compte près d’une centaine de services de renseignement et de sécurité. Si, comme l’indique la récente Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont nos « partenaires stratégiques de renseignement », les partenariats les plus féconds en la matière sont parfois les plus exotiques… Et on peut s’étonner, comme l’a fait le Président de la République lors du lancement du Collège européen du renseignement, en mars dernier, que « les coopérations entre services soient parfois inconnues des décideurs eux-mêmes » … Poids du secret, importance des technologies et insertion du renseignement dans un tissu national et international de relations ont donc imposé sa prise en charge par l’autorité politique.
Dans ce même contexte, marqué par la primauté de la lutte anti-terroriste, les partenariats de nos services avec des services étrangers se sont considérablement développés, en nombre et en intensité. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que cet appareil ultra-régalien doit composer en réalité avec un monde en réseaux. Un chef de service britannique a pu présenter le renseignement, il y a dix ans, comme, « la dernière assurance de notre souveraineté ». Nos autorités ont raison d’être plus prudentes en considérant que celui-ci doit contribuer avant tout à l’autonomie de décision de notre pays. Et c’est déjà beaucoup ! Un service français entretient en effet aujourd’hui plusieurs centaines de liaisons avec des partenaires étrangers, dont la nature politique, les méthodes et le positionnement interne sont très divers et souvent éloignés de nos standards. Sachez que la seule l’Union européenne compte près d’une centaine de services de renseignement et de sécurité. Si, comme l’indique la récente Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont nos « partenaires stratégiques de renseignement », les partenariats les plus féconds en la matière sont parfois les plus exotiques… Et on peut s’étonner, comme l’a fait le Président de la République lors du lancement du Collège européen du renseignement, en mars dernier, que « les coopérations entre services soient parfois inconnues des décideurs eux-mêmes » … Poids du secret, importance des technologies et insertion du renseignement dans un tissu national et international de relations ont donc imposé sa prise en charge par l’autorité politique.
Comme déjà indiqué, le pouvoir exécutif a
intégré le renseignement dans ses structures de pilotage depuis
plusieurs décennies dans de nombreuses démocraties.
À la différence de la plupart de ses partenaires, la France a maintenu son effort de renseignement après la chute du Mur de Berlin, tant à cause de la première Guerre du Golfe que des conflits dans les Balkans et en Algérie dans lesquels elle s’est trouvée impliquée. Dès 1992, certains visionnaires comme le préfet Rémy Pautrat avaient pressenti la nécessité d’une « autorité nationale de sécurité et du renseignement », placée auprès du Président de la République. Il a cependant fallu attendre 2008 pour que la France structure son appareil de renseignement. La création auprès du Président de la République d’un coordonnateur national du renseignement, dont les compétences ont été élargies en 2017, est bienvenue et vient mettre un terme à une exception française. Désormais, le chef de l’État a pris possession de son « domaine très réservé » pour reprendre l’expression de Sébastien-Yves Laurent, auteur, avec Olivier Forcade, d’un ouvrage paru il y a tout juste dix ans, Politiques de l’ombre, État, renseignement et surveillance en France, qui a marqué et qui reste une référence. Cette évolution met un terme à ce « processus informel mais réel de collaboration entre diplomates, militaires et gens du renseignement » qu’a décrit en 2011 votre Président dans l’une des plus fines études qui existent sur l’action des services de renseignement derrière le Rideau de fer. Cette initiative correspond à une tendance partagée car successivement, le Président Barack Obama, manifestement surpris par l’ampleur des initiatives de la NSA révélées par Edward Snowden, puis la chancelière Angela Merkel, profondément agacée de découvrir l’ampleur de la coopération existant entre cette même NSA et le BND, service extérieur allemand, ont resserré leur pilotage du renseignement national. Discrète, l’action de ce coordonnateur est déterminante pour contribuer à l’ajustement de notre politique en la matière et, en particulier, pour rendre compte au Président de la République de la réalité de l’autonomie de nos capacités d’action.
À la différence de la plupart de ses partenaires, la France a maintenu son effort de renseignement après la chute du Mur de Berlin, tant à cause de la première Guerre du Golfe que des conflits dans les Balkans et en Algérie dans lesquels elle s’est trouvée impliquée. Dès 1992, certains visionnaires comme le préfet Rémy Pautrat avaient pressenti la nécessité d’une « autorité nationale de sécurité et du renseignement », placée auprès du Président de la République. Il a cependant fallu attendre 2008 pour que la France structure son appareil de renseignement. La création auprès du Président de la République d’un coordonnateur national du renseignement, dont les compétences ont été élargies en 2017, est bienvenue et vient mettre un terme à une exception française. Désormais, le chef de l’État a pris possession de son « domaine très réservé » pour reprendre l’expression de Sébastien-Yves Laurent, auteur, avec Olivier Forcade, d’un ouvrage paru il y a tout juste dix ans, Politiques de l’ombre, État, renseignement et surveillance en France, qui a marqué et qui reste une référence. Cette évolution met un terme à ce « processus informel mais réel de collaboration entre diplomates, militaires et gens du renseignement » qu’a décrit en 2011 votre Président dans l’une des plus fines études qui existent sur l’action des services de renseignement derrière le Rideau de fer. Cette initiative correspond à une tendance partagée car successivement, le Président Barack Obama, manifestement surpris par l’ampleur des initiatives de la NSA révélées par Edward Snowden, puis la chancelière Angela Merkel, profondément agacée de découvrir l’ampleur de la coopération existant entre cette même NSA et le BND, service extérieur allemand, ont resserré leur pilotage du renseignement national. Discrète, l’action de ce coordonnateur est déterminante pour contribuer à l’ajustement de notre politique en la matière et, en particulier, pour rendre compte au Président de la République de la réalité de l’autonomie de nos capacités d’action.
Comme l’a dit l’un de mes anciens
directeurs généraux, le chef de l’État doit s’occuper tout autant du
renseignement que des renseignements. Depuis l’automne 2016, les
principaux chefs du renseignement participent chaque semaine à des
conseils restreints autour du Président de la République, du Premier
ministre et des ministres concernés, comme il en va dans les principales
capitales de nos partenaires. Mais il demeure aussi utile que le chef
de l’État continue de réunir aussi régulièrement que possible le Conseil
national du renseignement créé en 2009 afin notamment de déterminer les
grandes orientations données aux services. La France dispose
formellement depuis le décret du 24 décembre 2009, soit précisément
depuis dix ans, d’une communauté initialement formée de six services
nationaux relevant des trois ministères de l’intérieur, de la défense et
de l’économie et des finances. Depuis la loi de 2015, cette communauté
s’est élargie jusqu’à compter aujourd’hui 26 services, dont l’un des
derniers, le service du renseignement pénitentiaire, relève du ministère
de la justice. Je ne suis pas sûr à cet égard que la présentation de
cette communauté en cercles concentriques que l’on continue de faire
corresponde encore à grand-chose. La loi et le décret définissent en
effet désormais un service de renseignement ou de sécurité comme un
organisme d’État autorisé à recourir à des techniques spéciales comme
les interceptions de communication ou la pose de systèmes physiques
d’enregistrement. De ce point de vue, si toutes les pratiques ne sont
pas aussi intensives, tous les services sont égaux.
Les moyens qui sont mis à disposition de
notre communauté atteignent désormais environ 2,7 milliards d’euros et
occupent près de 19 000 fonctionnaires. C’est en termes budgétaires
exactement ce que notre pays consacre à sa diplomatie politique,
consulaire et culturelle, et, en termes d’effectifs, 50 % de plus que le
personnel du ministère des affaires étrangères. Les services français
bénéficient ainsi de la plus forte croissance dans un budget de l’État
plutôt contraint, leurs crédits ayant augmenté d’environ 60 % en dix
ans. À écouter ses critiques, cette communauté n’est apparemment pas un
jardin à la française : le rattachement au ministère des armées de son
service de renseignement extérieur depuis 1966 serait une anomalie
historique ; l’absence d’une agence de renseignement technique autonome
comme il en existe aux États-Unis et au Royaume-Uni serait préjudiciable
; la capacité d’action clandestine devrait être intégrée dans les
armées et rapprochée des forces spéciales ; le renseignement militaire
aurait du mal à s’épanouir dans la définition particulièrement large qui
lui a été donnée en 1992 ; le renseignement de défense serait
insuffisamment coordonné ; le renseignement intérieur serait fragmenté
entre de trop nombreux acteurs ; la compétence judiciaire de certains de
ses services serait discutable ; enfin, la présence au sein de cette
communauté de deux services, TRACFIN et la DNRED, relevant du ministère
de l’économie et des finances, serait une anomalie. Ces questions, dont
se saisissent régulièrement les experts et même la représentation
parlementaire, ne sont pas aussi centrales qu’on peut le croire.
Quitte à me répéter, il me parait plus
important d’instaurer entre ces divers acteurs des mécanismes plus
fluides de partage de l’information. Les États-Unis l’ont bien compris
après les échecs du 11 septembre et de l’Iraq et la commission
d’information de l’Assemblée nationale sur les attentats qui ont
endeuillé notre pays en 2015 et en 2016 n’a pas manqué de le rappeler.
Quoi qu’il en soit, l’évolution spectaculaire de l’appareil de
renseignement français, que l’on peut qualifier d’institutionnalisation
du renseignement, pour parler comme le sociologue Max Weber, a été
remarquablement rapide et confirmée par trois chefs d’État successifs.
Elle peut cependant être considérée comme inachevée. En effet, la
politique de renseignement continuera à demeurer secrète et s’appuiera
de manière croissante sur des techniques de plus en plus intrusives et
opaques. J’ai l’intime conviction qu’elle ne pourra conserver sa
légitimité qu’à la condition d’être placée dans un cadre politique qui
doit nécessairement évoluer.
**
À quelles conditions peut-on continuer de s’appuyer sur le renseignement ?
Il n’est pas nécessaire de
rappeler longuement que le monde qui entoure nos démocraties justifie
amplement le recours au renseignement. La prévention de plusieurs
dizaines d’attentats sur notre territoire au cours de ces dernières
années, l’alerte qui a conduit nos autorités à donner l’ordre à nos
forces armées d’intervenir en Libye ou au Mali en 2013, la contribution à
l’élimination des chefs de l’État islamique sur le théâtre
syro-iraquien sont trois exemples de la pertinence respective du
renseignement sécuritaire, du renseignement stratégique ou du
renseignement militaire, car il faut ajouter des adjectifs au substantif
« renseignement » pour apprécier les exigences propres de chaque
métier.
Si la menace terroriste ne saurait être
appelée à disparaître, elle change de formes, de relais et cherche à
restaurer son pouvoir de sidération des opinions. Son centre de gravité
se déplace de l’extérieur à l’intérieur de nos frontières alors que ses
moteurs deviennent, comme l’ont rappelé plusieurs responsables du
renseignement intérieur, psychosociaux, voire psychiques. Ici, la
vigilance maintenue des services doit s’accompagner de la montée en
puissance d’autres acteurs publics et privés.
Succédant au traditionnel
contre-espionnage, la contre-ingérence est une autre mission des
services appelée à mieux s’organiser entre ceux qui en sont chargés.
Dans ce domaine comme dans les autres, une stratégie, des mécanismes de
coordination et des dispositifs d’échanges d’information s’imposent. Les
comportements agressifs de certaines puissances, les fragilités
nouvelles des cadres et des régimes conventionnels qui, de l’OTAN à
l’Organisation mondiale du commerce, ont abrité jusqu’ici notre sécurité
et notre prospérité, les assauts de violences que connaissent nos
sociétés, sont autant de justifications à un effort qui ne se relâche
pas sur le plan des moyens. Depuis quelques années, les attentes en
matière de protection contre les cyberagressions qui frappent sans
distinction nos administrations et nos entreprises et, même, les appels
au soutien de nos entreprises, dans une compétition internationale qui
se durcit, ne manquent pas.
Pour autant, le renseignement est le
serviteur de la décision et doit rester à sa place. La politique de
renseignement a vocation à éclairer ce processus de décision. Il lui
revient même de gérer l’incertitude quand on le doit et de la réduire
quand on le peut. Elle demeure à cet égard particulièrement adaptée à
l’estompement historique de ce que Nicolas Baverez appelait déjà il y a
plus de 15 ans « l’effacement des quatre frontières fondamentales qui
ont structuré les systèmes de défense depuis le XVIIIème siècle »,
celles qui s’établissaient entre défense et sécurité intérieure, entre
militaire et civil, entre sphère étatique et privée, entre national et
international. C’est aussi ce que rappelait devant vous il y a quelques
semaines le Général Henri Bentégeat dans sa communication sur les
interventions militaires extérieures.
Mais n’attendez-pas de cette politique qu’elle éradique le terrorisme, qu’elle résolve la question du Sahel ou qu’elle stimule la compétitivité de nos entreprises face à leurs concurrents étrangers. Pour paraphraser Régis Debray, souhaitons que la « lucidité sans ombres, si elle était possible » que procure le renseignement n’entraîne pas « une atonie aboulique, comme une morne résignation au monde tel qu’il va », pas plus qu’une illusion sur nos capacités à agir. En outre, si elle doit convaincre de son efficacité comme toute politique publique, ce qui n’est pas simple en la matière, la politique de renseignement est, à la différence de la plupart des autres, confrontée à de redoutables exigences de légitimité, un peu comme notre politique de dissuasion nucléaire l’a été dans les années 1970.
Mais n’attendez-pas de cette politique qu’elle éradique le terrorisme, qu’elle résolve la question du Sahel ou qu’elle stimule la compétitivité de nos entreprises face à leurs concurrents étrangers. Pour paraphraser Régis Debray, souhaitons que la « lucidité sans ombres, si elle était possible » que procure le renseignement n’entraîne pas « une atonie aboulique, comme une morne résignation au monde tel qu’il va », pas plus qu’une illusion sur nos capacités à agir. En outre, si elle doit convaincre de son efficacité comme toute politique publique, ce qui n’est pas simple en la matière, la politique de renseignement est, à la différence de la plupart des autres, confrontée à de redoutables exigences de légitimité, un peu comme notre politique de dissuasion nucléaire l’a été dans les années 1970.
Cette nécessité justifie amplement que cette politique soit placée sous contrôle.
Avec raison, nos démocraties ont ainsi bâti ce qu’avec Jean-Claude Cousseran, nous avons appelé une « trame de contrôles ». Celle-ci a pour but de satisfaire aux exigences de transparence, de supervision, de redevabilité (l’accountability des Anglo-Saxons) et de responsabilité, sans qu’un modèle universel n’ait vocation à s’imposer. Après des années d’attente, le Parlement s’est vu confier en 2007, après tant d’autres de ses homologues étrangers, un rôle de suivi des services de renseignement, qui a été transformé en fonction de contrôle en 2013. Ce rôle est réel mais demeure modeste par rapport à celui de nos principaux voisins. Le juge est également appelé à intervenir. Le juge judiciaire comme garant des libertés individuelles mais aussi le juge administratif, dont le rôle a été renforcé par la loi de 2015, puisque les résidents français ou étrangers peuvent contester devant lui les mesures dont ils estiment être les victimes.
À côté de ces deux acteurs traditionnels du contrôle démocratique, des autorités administratives indépendantes interviennent. C’est le rôle de la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) en matière de ce que l’on appelle les « fichiers de souveraineté », ou, depuis 2015, de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui émet un avis sur toute demande d’utilisation par les services des 11 techniques considérées aujourd’hui comme spéciales. Ainsi se développe en France, comme en Allemagne et au Royaume-Uni, une culture de la conformité (compliance), qui n’a rien envier à celle des banques et qui demeure indispensable, même si elle pèse sur l’activité des services. Il faut aussi noter, même si cela peut nous paraître étranger à notre tradition constitutionnelle, que depuis 2016 le Royaume-Uni et l‘Allemagne ont mis en place un processus de codécision entre l’exécutif et l‘autorité chargée de veiller à la conformité pour les principales opérations de renseignement qu’engagent ces deux pays. On se gardera d’oublier le rôle, parfois critique, que jouent, dans une démocratie ouverte, la presse et l’expertise académique, pour pointer du doigt, ici, une pratique jugée inquiétante ; là, le besoin de conforter le cadre juridique d’action de nos services. On peut se réjouir des efforts bienvenus de communication des services, marqués par exemple par la très réussie exposition sur les espions qui se tient actuellement à la Cité des sciences et de l’industrie. On peut toutefois admettre que le souci de pédagogie ne remplace pas le questionnement exigeant des médias et de la recherche universitaire. Pour ne prendre qu’un exemple, je citerai la thèse de doctorat sur le renseignement et l’action spéciale française au Tchad de 1969 à 1990, qui vient de recevoir il y a quelques jours le Grand prix d’une autre Académie, l’Académie du renseignement, et qui pourrait utilement inspirer ceux qui se penchent aujourd’hui sur notre action au Sahel. Dans un tout autre registre, il faut enfin reconnaître le rôle joué par la Cour européenne des droits de l’homme. Sa riche jurisprudence a, depuis la fin des années 1970, permis de mettre les appareils et dispositifs de renseignement en conformité avec les grands principes de la Convention de 1950 et notamment l’interdiction de la torture, le droit à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale.
Avec raison, nos démocraties ont ainsi bâti ce qu’avec Jean-Claude Cousseran, nous avons appelé une « trame de contrôles ». Celle-ci a pour but de satisfaire aux exigences de transparence, de supervision, de redevabilité (l’accountability des Anglo-Saxons) et de responsabilité, sans qu’un modèle universel n’ait vocation à s’imposer. Après des années d’attente, le Parlement s’est vu confier en 2007, après tant d’autres de ses homologues étrangers, un rôle de suivi des services de renseignement, qui a été transformé en fonction de contrôle en 2013. Ce rôle est réel mais demeure modeste par rapport à celui de nos principaux voisins. Le juge est également appelé à intervenir. Le juge judiciaire comme garant des libertés individuelles mais aussi le juge administratif, dont le rôle a été renforcé par la loi de 2015, puisque les résidents français ou étrangers peuvent contester devant lui les mesures dont ils estiment être les victimes.
À côté de ces deux acteurs traditionnels du contrôle démocratique, des autorités administratives indépendantes interviennent. C’est le rôle de la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL) en matière de ce que l’on appelle les « fichiers de souveraineté », ou, depuis 2015, de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui émet un avis sur toute demande d’utilisation par les services des 11 techniques considérées aujourd’hui comme spéciales. Ainsi se développe en France, comme en Allemagne et au Royaume-Uni, une culture de la conformité (compliance), qui n’a rien envier à celle des banques et qui demeure indispensable, même si elle pèse sur l’activité des services. Il faut aussi noter, même si cela peut nous paraître étranger à notre tradition constitutionnelle, que depuis 2016 le Royaume-Uni et l‘Allemagne ont mis en place un processus de codécision entre l’exécutif et l‘autorité chargée de veiller à la conformité pour les principales opérations de renseignement qu’engagent ces deux pays. On se gardera d’oublier le rôle, parfois critique, que jouent, dans une démocratie ouverte, la presse et l’expertise académique, pour pointer du doigt, ici, une pratique jugée inquiétante ; là, le besoin de conforter le cadre juridique d’action de nos services. On peut se réjouir des efforts bienvenus de communication des services, marqués par exemple par la très réussie exposition sur les espions qui se tient actuellement à la Cité des sciences et de l’industrie. On peut toutefois admettre que le souci de pédagogie ne remplace pas le questionnement exigeant des médias et de la recherche universitaire. Pour ne prendre qu’un exemple, je citerai la thèse de doctorat sur le renseignement et l’action spéciale française au Tchad de 1969 à 1990, qui vient de recevoir il y a quelques jours le Grand prix d’une autre Académie, l’Académie du renseignement, et qui pourrait utilement inspirer ceux qui se penchent aujourd’hui sur notre action au Sahel. Dans un tout autre registre, il faut enfin reconnaître le rôle joué par la Cour européenne des droits de l’homme. Sa riche jurisprudence a, depuis la fin des années 1970, permis de mettre les appareils et dispositifs de renseignement en conformité avec les grands principes de la Convention de 1950 et notamment l’interdiction de la torture, le droit à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale.
Ces divers dispositifs de contrôle, qui fonctionnent bien, même s’ils sont perfectibles, ne sauraient éluder la question morale.
Légal, le recours au renseignement doit être aussi respectueux d’une certaine éthique. Et cette exigence, qui va bien au-delà des seules cotes de popularité des services dans l’opinion publique, vaut aussi bien pour les agents des services, qui doivent être formés et sensibilisés à cette question, que pour ceux qui sont appelés à solliciter le concours du renseignement. Ces principes ont été magistralement synthétisés par un grand professionnel britannique, Sir David Omand, en s’inspirant des juristes du droit des gens du XVIIème siècle. Celui-ci a retenu six conditions pour justifier le recours au renseignement : l’existence d’une cause durable suffisante, fixée de préférence par le législateur ; l’intégrité des motifs ; la proportionnalité des méthodes employées ; l’autorité réelle fondée sur une autorisation expresse des mesures intrusives ; la perspective raisonnable de succès (limitant les dommages collatéraux) ; enfin, l’emploi du renseignement en dernier recours lorsque d’autres moyens d’information ne sont pas accessibles.
Il faut tenter, comme nous l’avions écrit, de lutter contre le terrorisme (et les autres menaces) en aspirant à un monde kantien. C’est à ces conditions que le renseignement peut être accepté, même par les défenseurs les plus vigilants de la liberté. Pour citer à nouveau Christian Vigouroux, « la maitrise des services de renseignement par le pouvoir civil est au cœur de la démocratie ». Sous cet angle, la structuration en cours de notre renseignement national depuis une décennie permet d’être optimiste, à défaut d’être totalement rassuré.
L’évaluation programmée par le Parlement l’an prochain des dispositions de la loi de 2015 va donner lieu à un salutaire débat public et permettra, si nécessaire, d’ajuster ce cadre juridique. On pressent à cet égard que les questions de l’accès et de la conservation des données et des fichiers, du processus de conduite des opérations de renseignement, de la maitrise des coopérations transnationales des services et du statut des cibles extérieures du renseignement numérique mériteront une attention particulière. On peut imaginer qu’il serait cohérent que les rôles des principaux acteurs chargés du pilotage et du contrôle soient, l’un et l’autre et non pas l’un ou l’autre, renforcés pour compenser la tendance naturelle des organisations à persévérer dans leur être.
Légal, le recours au renseignement doit être aussi respectueux d’une certaine éthique. Et cette exigence, qui va bien au-delà des seules cotes de popularité des services dans l’opinion publique, vaut aussi bien pour les agents des services, qui doivent être formés et sensibilisés à cette question, que pour ceux qui sont appelés à solliciter le concours du renseignement. Ces principes ont été magistralement synthétisés par un grand professionnel britannique, Sir David Omand, en s’inspirant des juristes du droit des gens du XVIIème siècle. Celui-ci a retenu six conditions pour justifier le recours au renseignement : l’existence d’une cause durable suffisante, fixée de préférence par le législateur ; l’intégrité des motifs ; la proportionnalité des méthodes employées ; l’autorité réelle fondée sur une autorisation expresse des mesures intrusives ; la perspective raisonnable de succès (limitant les dommages collatéraux) ; enfin, l’emploi du renseignement en dernier recours lorsque d’autres moyens d’information ne sont pas accessibles.
Il faut tenter, comme nous l’avions écrit, de lutter contre le terrorisme (et les autres menaces) en aspirant à un monde kantien. C’est à ces conditions que le renseignement peut être accepté, même par les défenseurs les plus vigilants de la liberté. Pour citer à nouveau Christian Vigouroux, « la maitrise des services de renseignement par le pouvoir civil est au cœur de la démocratie ». Sous cet angle, la structuration en cours de notre renseignement national depuis une décennie permet d’être optimiste, à défaut d’être totalement rassuré.
L’évaluation programmée par le Parlement l’an prochain des dispositions de la loi de 2015 va donner lieu à un salutaire débat public et permettra, si nécessaire, d’ajuster ce cadre juridique. On pressent à cet égard que les questions de l’accès et de la conservation des données et des fichiers, du processus de conduite des opérations de renseignement, de la maitrise des coopérations transnationales des services et du statut des cibles extérieures du renseignement numérique mériteront une attention particulière. On peut imaginer qu’il serait cohérent que les rôles des principaux acteurs chargés du pilotage et du contrôle soient, l’un et l’autre et non pas l’un ou l’autre, renforcés pour compenser la tendance naturelle des organisations à persévérer dans leur être.
Conclusion
Ainsi s’achève mon propos.
La politique du renseignement appartient bien au monde de la phronesis d’Aristote plutôt qu’à celui de l’épistémè.
Elle se veut connaissance pratique, concrète et présomptive du monde qui nous entoure plutôt qu’elle ne nous enferme dans une prétention à sa connaissance théorique.
Instrument nécessaire à la survie des démocraties qui ont su lui faire une place, atout des pays qui, comme la France, sont parvenus à préserver et développer des capacités cohérentes avec la vision de leur rang, le renseignement peut et doit être un instrument affuté mais il demeurera toujours un outil corrosif, voire dangereux.
Ses missions, ses méthodes et ses moyens évoluent, et c’est heureux, mais aussi cette culture, qui était considérée il y a un quart de siècle comme une fatalité nationale.
Il faut donc désormais s’attacher à bien connaître le renseignement, et ce, dans les cercles les plus divers.
Il faut soutenir cette politique face aux défis humains, technologiques, juridiques et transnationaux qu’elle est appelée à connaître au cours des prochaines années.
Il faut accorder sa gratitude aux hommes et aux femmes qui le servent et qui l’animent, souvent au péril de leur vie privée et familiale, parfois au péril de leur vie tout court.
Mais il faut aussi lui accorder une attention toujours exigeante et vigilante, loin de la répulsion ou de la fascination qui l’entourent souvent.
C’est à ces conditions que notre politique de renseignement pourra s’adapter au contexte mouvant de notre environnement tout en continuant à s’inscrire dans le pacte social qui garantit son caractère moral.
Cette politique de renseignement est peut-être un bel exemple, que je porte humblement à votre connaissance, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Académiciens, pour la réflexion très attendue sur le pouvoir que vous avez inscrit à votre programme de travail de l’an prochain.
Je vous remercie profondément pour votre invitation et pour votre indulgente attention.
La politique du renseignement appartient bien au monde de la phronesis d’Aristote plutôt qu’à celui de l’épistémè.
Elle se veut connaissance pratique, concrète et présomptive du monde qui nous entoure plutôt qu’elle ne nous enferme dans une prétention à sa connaissance théorique.
Instrument nécessaire à la survie des démocraties qui ont su lui faire une place, atout des pays qui, comme la France, sont parvenus à préserver et développer des capacités cohérentes avec la vision de leur rang, le renseignement peut et doit être un instrument affuté mais il demeurera toujours un outil corrosif, voire dangereux.
Ses missions, ses méthodes et ses moyens évoluent, et c’est heureux, mais aussi cette culture, qui était considérée il y a un quart de siècle comme une fatalité nationale.
Il faut donc désormais s’attacher à bien connaître le renseignement, et ce, dans les cercles les plus divers.
Il faut soutenir cette politique face aux défis humains, technologiques, juridiques et transnationaux qu’elle est appelée à connaître au cours des prochaines années.
Il faut accorder sa gratitude aux hommes et aux femmes qui le servent et qui l’animent, souvent au péril de leur vie privée et familiale, parfois au péril de leur vie tout court.
Mais il faut aussi lui accorder une attention toujours exigeante et vigilante, loin de la répulsion ou de la fascination qui l’entourent souvent.
C’est à ces conditions que notre politique de renseignement pourra s’adapter au contexte mouvant de notre environnement tout en continuant à s’inscrire dans le pacte social qui garantit son caractère moral.
Cette politique de renseignement est peut-être un bel exemple, que je porte humblement à votre connaissance, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Académiciens, pour la réflexion très attendue sur le pouvoir que vous avez inscrit à votre programme de travail de l’an prochain.
Je vous remercie profondément pour votre invitation et pour votre indulgente attention.