« La technologie d'électrolyse du CEA qu'exploitera Genvia pour produire de l'hydrogène atteint 99% de rendement», se réjouit Julie Mougin du CEA-Liten9

 

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« La technologie d'électrolyse du CEA qu'exploitera Genvia pour produire de l'hydrogène atteint 99% de rendement», se réjouit Julie Mougin du CEA-Liten

Julie Mougin affirme que, d’après les derniers calculs technico-économiques, le prix de l’hydrogène sera sous la barre des 2 euros du kg à l’horizon 2030.

© CEA

Visant la production massive d'hydrogène décarboné, la toute récente co-entreprise Genvia entre le CEA et Schlumberger a annoncé le 8 février la nomination de Florence Lambert, ex-directrice du CEA Liten, et présenté sa feuille de route. Genvia va déployer la technologie d'électrolyse à haute température du CEA à échelle industrielle. Julie Mougin, cheffe du service des technologies hydrogène au CEA-Liten, en détaille le fonctionnement et les performances pour Industrie & Technologies.

Cap sur la production de masse d'hydrogène vert ! La co-entreprise Genvia – créée par le CEA Grenoble et Schlumberger New Energy, ainsi que Vinci Construction, Vicat et l’AREC Occitanie – a établi une feuille de route claire, après que le conseil d'administration a été nommé lundi 8 février. Une gigafactory sera implantée à Béziers, qui devrait permettre à la société conjointe de produire plusieurs gigawatts d'électrolyseurs et de piles à combustible à horizon 2030. L’Union européenne avait donné son feu vert au projet lundi 11 janvier dernier.

La concrétisation du projet suscite beaucoup d’enthousiasme au sein du CEA, qui développe depuis quinze ans la technologie d'électrolyse haute température à oxyde solide qu'exploitera Genvia. Revue de détail de cette technologie qui affiche 99 % de rendement en pouvoir calorifique supérieur (PCS) avec Julie Mougin, cheffe du service composants et système Hydrogène au CEA-Liten.

Industrie & Technologies : Quelles sont les spécificités de la technologie d'électrolyse de l'eau développée par le CEA ?

Julie Mougin : Le principe de l'électrolyse de l'eau consiste en une réaction dissociative, qui nécessite l’apport d’électricité et de chaleur. Partons de l’échelle de la cellule : chacune d’entre elles est constituée de trois composants principaux : l’électrolyte et deux électrodes. L’électrolyte est une membrane solide, dense et étanche au gaz. Celle que nous développons est à base de céramique (de l’oxyde de zirconium stabilisé à l’oxyde d'yttrium, la zircone yttriée). De part et d’autre de cette membrane se trouvent les deux électrodes : la première est dite « à hydrogène » (un cermet [matériau composite métal-céramique, ndlr] de nickel et de zircone yttriée), la seconde est « à oxygène » (un matériau tout céramique de structure pérovskite).

Le principe est le suivant : nous faisons entrer par l’électrode à hydrogène de la vapeur d’eau qui va se dissocier, sous l’effet du courant électrique que nous faisons passer ainsi que de la forte température (entre 700 et 800°C). Une partie de la vapeur d’eau ressort sous la forme de dihydrogène gazeux (H2) du côté de l’électrode à hydrogène. C’est le produit qui nous intéresse ! L’autre partie se transforme en ions oxygène (O2-), qui vont traverser l’électrolyte (conducteur de ces ions) pour ressortir du côté de l’électrode à oxygène, après s’être recombinés pour former du dioxygène (O2).

Cette réaction, qui se produit dans chaque cellule, est en quelque sorte démultipliée à l’échelle de l’électrolyseur…

Tout à fait ! Chaque module est composé de plusieurs stacks, eux-mêmes construits par l’empilement de nombreuses cellules. Prenons par exemple, le premier démonstrateur de système complet intégré autonome que nous avons élaboré en 2014. C’était une étape majeure du projet ! De la taille d’un frigo, l’objet était constitué de 25 cellules de 100 cm², formant un seul stack. Dans ce démonstrateur, la réaction dissociative se produit donc 25 fois.

Votre technologie nécessite de l’électricité, qui devrait être issue d’énergies renouvelables, et de la chaleur. Avez-vous besoin de chauffer de l’eau à 700°C pour faire fonctionner votre électrolyseur ?

Heureusement, non ! Les sources à 700°C ne se trouvent pas facilement et si nous avions besoin de vaporiser notre eau à l’électrique, nous perdrions 15 points d’efficacité. Jamais nous n’aurions pu atteindre les 99 % de rendement mesurés en laboratoire sur le 1er démonstrateur. L’idéal est d’avoir une source de chaleur autour de 150°C, ce qui est assez courant sur de nombreux sites industriels, les stations d’incinération ou la géothermie.

Toute l’astuce, pour surchauffer cette vapeur d’eau de 150°C à 700°C sans consommer des watts électriques, se situe au niveau de notre architecture-système, plutôt sophistiquée. La réaction d’électrolyse est endothermique, c’est-à-dire qu’il faut lui apporter de la chaleur pour qu’elle se produise, même à basse température. A contrario, de la chaleur va être générée (par perte ohmique) dans chaque cellule.

Or, selon la tension choisie, cette chaleur-là peut exactement compenser l’endothermicité de la réaction d’électrolyse ! C’est le fameux « point thermo-neutre », qui vaut 1,3 volt pour la cellule. En d’autres termes, en-dessous de 1,3 volt, il faut fournir des watts pour maintenir la cellule chaude, mais au-dessus d’1,3 volt, la cellule génère de la chaleur.

Ainsi, lorsque nous avons conçu le système en 2014, nous avons mis en place des échangeurs thermiques performants et nous avons fait en sorte d’atteindre un point de fonctionnement légèrement exothermique (au-dessus d’1,3 volt donc). De cette manière, nous avons pu récupérer la thermique des gaz de sortie pour surchauffer la vapeur d’eau en entrée (passant de 150°C à 700°C). Le tout, sans consommer des watts électriques. Ce qui a permis d’obtenir l’excellent rendement mesuré.

L’électrolyseur s’auto-entretient thermiquement une fois que nous avons atteint le point de fonctionnement nominal. Par contre, pour démarrer l’installation, il faut commencer par lui apporter de l’énergie.

Stack d'électrolyse de la vapeur d'eau à haute températureStack d'électrolyse de la vapeur d'eau à haute température
© CEA / D.Guillaudin

Deux autre technologies d'électrolyseurs existent : l’alcaline et celle à  « Proton Exchange Membrane » (PEM). Pourquoi avoir parié sur la technologie à haute température ?

Nous avons démarré le projet il y a tout juste 15 ans, mus par l’idée qu’il était nécessaire de développer une technologie permettant une production d’hydrogène décarboné et à bas coût. Dès le début, nous avons eu la chance d’être accompagnés par des équipes technico-économiques qui ont évalué le coûts d'investissement et d'opération (Capex et Opex) de chaque technologie dans une vision industrielle. Très vite, la technologie d’électrolyse de la vapeur d’eau à haute température est apparue comme ayant un fort potentiel.

Cette technologie bénéficie de plusieurs atouts. Tout d’abord, l’énergie totale nécessaire pour casser une molécule de vapeur d’eau est moindre que pour casser une molécule d’eau liquide. Cela engendre un premier gain au niveau du rendement. Il existe un autre intérêt à travailler à haute température : plus l’environnement est chaud, plus la part de l’énergie électrique pouvant être remplacée par l’énergie thermique est élevée, ce qui est également avantageux pour le rendement.

À titre de comparaison, les technologies alcalines et PEM se situent entre 72 % et 80 % de rendement en pouvoir calorifique supérieur (PCS), tandis que notre électrolyseur atteint 99 % : une vingtaine de points de plus !

Au-delà de l’efficacité énergétique, quelles sont les autres avantages de cette technologie ?

C’est une technologie réversible : au lieu de faire entrer de la vapeur d’eau pour produire de l’hydrogène et de l’oxygène, il est possible de générer de l’électricité et de la chaleur à partir d’un combustible (par exemple, l’hydrogène, mais également divers combustibles alternatifs, le gaz naturel, le biogaz, le méthanol, l’ammoniac…). Dit autrement, l’électrolyseur peut devenir une pile à combustible.

Deuxième spécificité : cette technologie peut électrolyser du dioxyde de carbone (CO2), donc co-électrolyser de la vapeur d’eau et du CO2 en même temps. Cela produit un mélange H2/CO, qui pourra ensuite être transformé en différentes molécules d’intérêt, liquides ou gazeuses, comme le méthane, le méthanol, le diesel, etc. Nous sommes en plein dans le « power-to-X », qui permet également de nous positionner sur le combustible renouvelable.

L’utilisation d’oxyde solide et l'architecture modulaire sont assez communes pour les électrolyseurs à haute température. Qu’est-ce qui distingue la technologie du CEA ?

Nous détenons un portefeuille de plus de 40 brevets sur notre électrolyseur ! Notre premier élément de différenciation concerne le choix des cellules. Nous avons vite constaté, via les études technico-économiques, que la densité de puissance était un paramètre clef. Nos cellules sont donc particulièrement performantes par rapport à l’état de l’art.

Au niveau du design, nous avons également fait des choix technologiques de rupture, toujours dans une logique d’industrialisation et de bas coût. Autour de chacune des cellules que l’on empile, nous plaçons des plaques métalliques (pour conduire le courant) ainsi que des « canaux », qui sont là pour distribuer les réactifs (la vapeur d’eau) et évacuer les produits (H2 et O2). Nous devons également mettre en place des étanchéités pour que l’hydrogène, que nous avons eu tant de mal à produire, ne se recombine pas avec l’oxygène et que nous le récupérions dans son intégralité.

Or, quand certains instituts ou industriels ont opté pour des inter-connecteurs plutôt épais, nous avons choisi des tôles très, très minces. Les gains de fabrication, de matière, et même de compacité, sont substantiels !

Une ancienne directrice du CEA-Liten à Grenoble, Florence Lambert, a été nommée présidente de la société conjointe Genvia. Quelle est la suite de l'histoire pour le CEA ?

Nous avons atteint un point très important, mais l’histoire continue pour développer des stacks et des modules plus gros, plus performants, pour baisser les coûts, préparer les générations suivantes.

Dans cette optique, Genvia disposera d’une licence d’exploitation exclusive (dans son périmètre d’exploitation) et, dans une logique de continuité avec l’industrie, certains chercheurs du CEA vont rejoindre la joint-venture. Alors que notre stack actuel produit environ 100 grammes d’hydrogène par heure, nous sommes en train de développer un stack six fois plus puissant. Notre but est de mettre en marche un premier module composé de quatre stacks de puissance d’ici à cet été.

Sur la base de notre technologie, actuellement à TRL6, notre feuille de route commune avec Genvia nous amène à des démonstrateurs de 300 KW  déployés sur site à partir de 2022. À terme, Genvia vise des unités de plusieurs centaines de mégawatts à l’horizon 2030. À ce stade, les derniers calculs technico-économiques évaluent le prix de l’hydrogène sous les 2 euros du kg.

Pour ces fortes puissances, nous tenons à garder une approche modulaire, assurant plus de flexibilité dans le pilotage de ces installations, afin de pouvoir installer les électrolyseurs au plus près des clients finaux et des sources d’énergies renouvelables, décentralisées sur le territoire.

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