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Cuivre, cobalt, lithium, des dépendances aux métaux sont à anticiper du fait du déploiement massif des énergies renouvelables et des nouvelles formes de mobilités. Selon l’économiste Emmanuel Hache, porteur du projet ANR GENERATE, elles pourraient causer de nouveaux rapports de forces voire des tensions à l’échelle internationale.
- Les métaux : quelques définitions
- Les métaux et les énergies renouvelables
- Qu’est-ce qu’un métal critique ou stratégique ?
- Quels sont les métaux les plus menacés ?
- Le recyclage des métaux, et pourquoi pas la sobriété énergétique ?
- A retenir
LES METAUX : QUELQUES DEFINITIONS
Quelle terminologie employer pour les métaux ? Bref récapitulatif des différentes notions et grandes familles les concernant*.
Métaux de base, métaux précieux et métaux rares
Les métaux ne font pas l’objet d’une classification géologique parfaitement définie, mais ils peuvent néanmoins être rangés dans quatre grandes familles industrielles:
- Les métaux de base : fer (Fe), aluminium (Al), titane (Ti), magnésium (Mg), manganèse (Mn), chrome (Cr), zinc (Zn), plomb (Pb), cuivre (Cu), nickel (Ni), étain (Sn) ;
- Les métaux précieux : or (Au), argent (Ag), platine (Pt), palladium (Pd), iridium (Ir), osmium (Os), rhodium (Rh), ruthenium (Ru) ;
- Les métaux de l’énergie nucléaire que sont les actinides : uranium (U), thorium (Th), plutonium (Pu) ;
- Les métaux de spécialité : tous les autres métaux
Les métaux rares sont des éléments chimiques dont la « rareté » est estimée en fonction de leur abondance dans la croûte terrestre.
- Les métaux abondants sont ceux à plus de 1000 ppm (0,1%) : silicium, calcium, sodium, magnésium, potassium, fer, aluminium, titane.
- Les métaux rares ou peu abondants, les plus nombreux, sont ceux compris entre 1 et 1000 ppm (plomb, cuivre, zinc, nickel, cobalt, molybdène, tungstène, etc.)
- Les métaux très rares sont ceux dont la teneur est inférieure à 1 ppm et comprennent les métaux précieux (or, argent et les 6 platinoïdes – platine, palladium, rhodium, iridium, ruthénium, osmium) ainsi que l’antimoine, le sélénium et l’indium.
Les terres rares
Les terres rares, à ne pas confondre avec les métaux rares, ne le sont pas tant du fait de leur rareté mais parce qu’elles sont difficiles à extraire. Il s’agit d’un ensemble de 16 ou 17 métaux aux propriétés voisines, chimiquement assez réactifs et disposant de propriétés électromagnétiques les rendant indispensables pour des fabrications de haute technologie.
*Epuisement des métaux et minéraux : faut-il s'inquiéter ?, fiche technique de l’ADEME, juin 2017
LES METAUX ET LES ENERGIES RENOUVELABLES
Une idée répandue voudrait que l’usage des énergies renouvelables, parce qu’elles n’entrainent aucune concurrence d’usage, simplifiera la géopolitique énergétique de demain. Les conclusions du projet ANR GENERATE, mené par IFPEN entre 2017 et 2020, laissent entrevoir une réalité plus complexe.
D’abord, la transition énergétique actuelle est très lente à advenir parce qu’elle est mal définie. En réalité, la consommation énergétique relève davantage pour le moment d’un empilement énergétique constitué d’énergies fossiles et d’énergies renouvelables que d’un basculement.
Si la part relative du pétrole dans le mix énergétique mondial a baissé de 49,6 % à 33,1 %, son volume de consommation absolu a doublé depuis 1973.
Les grandes transitions énergétiques de l’histoire
Quatre transitions énergétiques ont marqué l’histoire des sociétés :
1. La domestication du feu il y a 400 000 ans ;
2. 5000 ans avant JC, l’irrigation et la traction animale ;
3. A la fin du 18ème siècle, le charbon supplante le bois et la force musculaire des hommes et des animaux domestiques ;
4. Une grappe d’innovations apparaît durant les deux
dernières décennies du XIXe siècle. Elles permettent la domestication de
l’électricité et la mise au point du moteur à combustion interne
fonctionnant à l’essence ou au diesel.
Ces transitions énergétiques sont le résultat d’une addition plutôt que d’une succession,
les nouvelles sources primaires d’énergie venant s’ajouter aux sources
préexistantes. Cet empilement s’accélère depuis la révolution
industrielle.
Par ailleurs, les ressorts de la transition énergétique sont complexes.
Le progrès technique et l’efficacité énergétique associés aux EnR
(Energies renouvelables) induisent un phénomène désigné par le terme « d’effet rebond
» qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, fait que leur essor
ne se traduit pas forcément par une baisse de la consommation en
ressources.
Le saviez-vous ?
La théorie de l’effet rebond ou paradoxe de l’efficacité énergétique apparaît sous la plume de l’économiste britannique William Stanley Jevons dans son livre Sur la question du charbon
(1865). Après avoir observé que les progrès techniques relatifs à la
machine à vapeur ne faisaient pas baisser la consommation de charbon, il
énonce que les technologies plus efficaces, alors qu’elles
permettent d’opérer des économies d’énergies par unité de production,
augmentent paradoxalement la consommation totale d’énergie consommée.
En effet, l’effet d’efficacité énergétique est compensé par la
diffusion large de la technologie. L’effet rebond est étudié de manière
approfondie dans le secteur de l’automobile et du logement.
Citons les innovations technologiques qui, développées pour accompagner la transition énergétique, font appel à ces différents minerais et métaux raffinés :
- les véhicules électrifiés : cobalt, cuivre, lanthane, lithium ;
- les piles à combustible : platine, palladium, rhodium ;
- les technologies de l’éolien : cuivre, néodyme, dysprosium, terbium ;
- l’aéronautique : titane ;
- les technologies du solaire photovoltaïque : silicium, cuivre, cadmium, indium, gallium ;
- les batteries : lithium, cobalt, nickel.
Les EnR se déploient massivement du fait bien entendu des impératifs du
changement climatique, et plus particulièrement des objectifs mondiaux
de décarbonation du secteur électrique, des nombreuses innovations
technologiques (digitalisation, smart grids), de la volonté des
investisseurs de réduire l’empreinte environnementale de leurs
entreprises et d’une demande sociale forte en la matière. Le
développement des EnR s’accompagne par ailleurs d’une baisse mécanique de leurs coûts, en raison notamment de leur large diffusion.
Selon l’IRENA, le coût de l’électricité issu des technologies EnR pourrait continuer à diminuer d’ici 2035 (entre 25 % et 60 % selon les technologies)
La croissance de production des EnR à des coûts de plus en plus avantageux entrainent de fait de nouvelles dépendances notamment pour ce qui concerne les matériaux dits « critiques » ou stratégiques.
A ce propos, l’équipe du projet GENERATE s’interroge : finalement, la transition énergétique n’est-elle pas en réalité en train de remplacer la dépendance aux ressources fossiles par une autre ?
QU’EST-CE QU’UN METAL CRITIQUE OU STRATEGIQUE ?
La criticité est une approche basée sur une évaluation des risques liés à la production, l’utilisation ou la gestion de fin de vie d’une matière première (Graedel et Nuss, 2014) . Une matière première est critique quand elle est :
- utilisée dans de nombreux secteurs de l’industrie ;
- difficilement substituable à court terme ;
- objet de nombreuses applications industrielles ;
- dotée d’une grande valeur économique.
Enfin, ses réserves et sa production sont concentrées géographiquement.
La notion de criticité n’est pas universelle. La criticité d’une matière première peut varier d’un pays à l’autre, car elle se rapporte en réalité à quatre niveaux de risque, autrement dit quatre types de criticité :
- géologique : la multitude des usages de matériaux critiques fait craindre des pénuries ;
- économique : la cartellisation des marchés - quand de nombreux marchés dépendent de peu de producteurs - impacte les pays consommateurs ;
- stratégique : les réserves de matériaux, quand elles sont concentrées géographiquement, peuvent entraver les innovations engagées par certains pays dans des secteurs stratégiques ;
- environnementale : quid des émissions polluantes, de la consommation en énergie et en eau
pour la production de ces matériaux ? Ces questions sont encore peu
abordées aujourd’hui alors qu’elles constituent un enjeu majeur pour la
transition énergétique.
Or les technologies bas-carbone (stockage, connectivité, efficacité
énergétique, catalyse, production et transport d’électricité, nucléaire,
etc.) que les politiques énergétiques mondiales substituent aux
technologies traditionnelles ne sont pas moins gourmandes en matériaux, bien au contraire.
20 kg de cuivre sont nécessaires pour fabriquer un véhicule thermique, 40 kg pour un véhicule hybride et environ 80 kg pour un véhicule électrique.
De fait, la transition énergétique promet de continuer à exercer une
pression forte sur les ressources. Partant de ce constat, Emmanuel Hache
et son équipe ont établi un modèle permettant d’évaluer la demande en matériaux à l’horizon 2050.
Comment ça marche ?
Le modèle TIAM-IFPEN (TIMES Integrated Assessment Model), un modèle de
programmation linéaire de type « bottom-up », a été développé à IFP
Energies nouvelles (IFPEN). Il s'agit d'un modèle mondial multirégional
qui dispose d´une base technologique riche pour apprécier les dynamiques
du système énergétique mondial, de l'extraction des ressources à
l'utilisation finale de l'énergie, sur une période à long terme de plus
de 100 ans. Il permet d’évaluer les conséquences de différentes
orientations énergétiques et environnementales avec une représentation
explicite et détaillée des technologies et des types d’énergies. Dans le
cadre du projet GENERATE, l’équipe IFPEN a élaboré l’ensemble des
chaines de valeur de différents matériaux (cobalt, cuivre, lithium,
nickel et terres rares) dans le modèle TIAM-IFPEN pour évaluer, à
l’horizon 2050, leurs demandes sous différents scénarios (2°C et 4°C) en
incluant des hypothèses sur différents types de mobilité (soutenable et
business as usual) et sur le recyclage.
QUELS SONT LES METAUX LES PLUS MENACES ?
Le modèle apporte un nouvel éclairage sur les conséquences de la transition énergétique.
Il établit des niveaux de pression différenciés sur les ressources
étudiées, et révèle que les métaux communs peuvent aussi être soumis à
des risques significatifs.
Cuivre
Alors que la littérature économique s’était jusqu’ici davantage préoccupée du lithium ou des terres rares, le modèle met en évidence que le cuivre pourrait être le métal le plus contraint dans la dynamique de transition énergétique.
Près de 90 % des ressources en cuivre connues aujourd’hui seraient extraites d’ici 2050 dans un scénario 2°C.
Cette prévision est moins liée à la consommation de cuivre dans le
réseau électrique et les transports (moins du tiers de la consommation
globale), qu’à celle dans les secteurs des biens de consommation, de l’industrie et de la construction qui devraient continuer à croître significativement dans les décennies à venir.
Cobalt
Le cobalt présente un niveau de criticité géologique élevé qui doit être relativisé selon le type de batteries utilisé dans le secteur du transport. Le risque qui pèse sur ce minerai est de prime abord géopolitique du
fait de ses problématiques d’approvisionnement, la production minière
étant concentrée en République démocratique du Congo (RDC), un pays très
instable politiquement.
L’indicateur* sur le cobalt varie dans le scénario 2°C de 64,7 % à 83,2 % selon le taux de pénétration des batteries à faible contenu en cobalt.
*Ratio : Consommation cumulée de cobalt/Ressources connues actuellement
Lithium
Le lithium a, pour sa part, une criticité géologique faible puisque près de 70 % des ressources seraient encore disponibles à l’horizon 2050 dans un scénario 2°C.
Pour ce métal, la criticité économique interpelle
davantage : la concentration des réserves de lithium et des acteurs sur
le marché, les stratégies différenciées des producteurs (Argentine,
Australie, Bolivie et Chili), la faible profondeur du marché financier
ou encore l’absence de transparence des prix pourraient, dans le futur,
nuire à la sécurité d’approvisionnement en lithium.
5 acteurs contrôlent 90 % du marché du lithium
Nickel
Le nickel présente, pour sa part, une criticité géologique moyenne avec environ 41 à 39 % de ressources encore disponibles à l’horizon 2050 dans un scénario 2°C.
L’ensemble des matériaux étudiés consomment de l’eau dans une situation de concurrence d’usage. La criticité environnementale est forte sur cette ressource pour l’ensemble des métaux étudiés.
LE RECYCLAGE DES METAUX, ET POURQUOI PAS LA SOBRIETE ENERGETIQUE ?
Dans la dynamique de transition énergétique et au regard des
résultats portant sur la criticité, le projet GENERATE montre que les
politiques publiques ont une grande importance, notamment celles qui
s’orientent vers la mobilité soutenable ou vers le recyclage.
Elles permettent de réduire les contraintes sur les ressources et
nécessitent donc une attention marquée. Ainsi, sur le cuivre, le modèle
estime qu’une orientation vers la mobilité soutenable, dans le cadre
d’un scénario à 2 °C, permettrait de réduire d’environ 20 % la consommation de ce métal dans le secteur du transport.
Une étude estime à 100 millions le nombre de téléphones (composés en partie de cobalt, de cuivre et de métaux rares) gardés dans les tiroirs qui pourraient être recyclés en France.
Les résultats montrent également que, tous minerais confondus, de fortes pressions risquent de peser sur les ressources en eau, ce qui pourrait en retour limiter la transition énergétique internationale.
Au regard de ces conclusions, le projet GENERATE invite à repenser la transition énergétique pour
sortir du schéma d’addition énergétique actuel ainsi qu’à se poser la
question de la sobriété des systèmes énergétiques et économiques.
En 2018, l’OCDE évaluait la consommation de matériaux à 33 kilogrammes par jour et par personne. Elle pourrait monter à 45 kilogrammes en 2060 selon cette organisation
Ces enjeux devront intégrer les réflexions associées aux prochaines négociations climatiques.
La détention d’une ressource minière (cobalt, cuivre, lithium, nickel,
etc.) ou de brevets de technologies de décarbonation pourrait constituer
des actifs intéressants et des clés de négociations pertinentes dans le
cadre d’un accord climat post-COP21.
A RETENIR
1. Les technologies bas-carbone sont plus gourmandes en matériaux que
les technologies traditionnelles et l’efficacité énergétique liée au
développement des énergies renouvelables s’accompagne elle aussi d’une
augmentation de la consommation de ressources minérales.
2. La criticité d’un métal n’est pas universelle et peut varier d’un pays à l’autre, mais également dans le temps avec le progrès technique observé.
3. Selon le modèle, ce n’est pas le lithium, mais le cuivre qui est le métal le plus contraint géologiquement par la transition énergétique. Le lithium est davantage contraint économiquement et le cobalt géopolitiquement.
4. Les solutions collectives et individuelles de recyclage des métaux, de mobilité soutenable et, au-delà, de sobriété énergétique, ont pleinement leur place dans les actions à envisager pour notre avenir énergétique.
Pour aller plus loin
- Les matériaux de la transition énergétique, The Conversation
- Pourquoi parle-t-on de criticité des matériaux ? The Conversation
- Sobriété : à quand un Yuka pour comparer les matériaux dans nos produits ? The Conversation
- Les pressions sur l’eau, face ignorée de la transition énergétique, The Conversation
D’autres économistes abordent la question de la transition énergétique sous l’angle géopolitique, parmi lesquels David Criekemans et Daniel Scholten en Europe, ou Meghan O’Sullivan aux Etats-Unis.
L’aluminium dans la transition énergétique : quel avenir pour ce métal « roi du monde moderne » ?
Le nickel dans la transition énergétique : pourquoi parle-t-on de métal du diable ?
Le lithium dans la transition énergétique : au-delà de la question des ressources ?
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Le cuivre dans la transition énergétique : un métal essentiel, structurel et géopolitique !
Le cobalt dans la transition énergétique : quels risques d’approvisionnements ?
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