Nos conseils pour identifier les discours complotistes et ne pas tomber dans leurs pièges

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En 2020, les discours expliquant la pandémie de Covid-19 par des complots ont séduit des millions d’adeptes. Leur succès tient moins à leur véracité qu’à des ficelles rhétoriques éprouvées. Notre guide pour les débusquer.

Par et

Publié le 22 décembre 2020 à 11h11 - Mis à jour le 23 décembre 2020 à 10h08

Temps de Lecture 10 min.

Netflix, tout comme Amazon Prime Video, propose des documentaires conspirationnistes.

« Un plan pour pucer l’humanité », « une stratégie pour nous museler », « un génocide planifié de nos anciens »… Depuis le début de l’année, les théories conspirationnistes prolifèrent, à l’image de celles présentées par le documentaire à succès Hold-up en novembre, ou par son ersatz sorti en décembre, Mal traités.

Leur point commun ? Dénoncer une prétendue machination secrète expliquant la pandémie et désigner des responsables : le plus souvent Big Pharma, George Soros, Bill Gates, ou encore, en France, le gouvernement.

Malgré leur simplisme, ces discours manipulateurs parviennent à séduire. Voici quelques clés pour les reconnaître et ne pas tomber dans leurs pièges.

1. Comment reconnaître les discours complotistes ?
2. Comment ne pas tomber dans leurs pièges ?
3. Comment démontrer leur imposture ?

1. Comment reconnaître les discours complotistes ?

Les théories du complot prennent de nombreuses formes, mais, souvent, ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre.

  • Une obsession pour ceux qui « tirent les ficelles »

« A qui profite le crime ? » « Quel est leur véritable objectif ? » La pensée complotiste aime débusquer de grands manitous qui tireraient les ficelles dans l’ombre. Ses productions désignent donc des responsables (de préférence des ennemis politiques) et leur prêtent un agenda caché maléfique : gagner un maximum d’argent, prendre le pouvoir, contrôler la population voire la réduire (comme Bill Gates, accusé de projet génocidaire).

Les adeptes de la mouvance QAnon sont ainsi persuadés qu’il existe un complot pédosataniste au sein du parti démocrate aux Etats-Unis, ainsi qu’une conspiration d’une élite occulte visant à instaurer un « nouvel ordre mondial », aux contours flous et menaçants.

Cette pensée manichéenne puise dans des scénarios de films et de jeux vidéo, comme Matrix. Mais elle fantasme le pouvoir d’une minorité. Ainsi, dans le cadre du Covid-19, elle rejette la responsabilité de la crise sanitaire sur le plus haut sommet de l’Etat, en occultant de multiples strates d’acteurs et en sous-estimant le poids de la bureaucratie et des organisations intermédiaires, qui peuvent être défaillantes – au risque de passer à côté de la complexité du réel.

  • La négation du hasard

« Tout est lié. » « Comme par hasard ! » « Quelle drôle de coïncidence… » « Reliez les points ! » Procéder par rapprochements, c’est l’une des caractéristiques les plus importantes du schéma complotiste, pour qui chaque coïncidence, chaque symbole – parfois un simple chiffre – trahit un complot général.

Certains relèvent d’un symbolisme grossier, comme la fascination d’une vidéo complotiste vis-à-vis d’un laboratoire de Wuhan ayant pour adresse le 666 de son avenue – soit le nombre du diable dans l’imaginaire chrétien occidental. D’autres sont plus subtils. Plusieurs théories ont ainsi associé le couple formé par Agnès Buzyn et Yves Lévy à la survenue de la pandémie mondiale, dans la mesure où la première avait classé la chloroquine dans les substances vénéneuses et où le second avait participé à l’inauguration du laboratoire P4 de Wuhan. En réalité, ces événements ne sont pas liés au Covid-19.

Autre exemple : de nombreuses publications citent une conférence de Bill Gates en 2015 sur le risque de pandémie pour affirmer que la crise du Covid-19 était prévue, voire planifiée. En réalité, cette conférence ne préparait pas la pandémie de 2020, mais faisait suite à celles de SARS-CoV-1 de 2003 et de H1N1 en 2009. Replacée dans la chronologie des événements, elle n’a plus rien d’une coïncidence.

Vérification : Les contre-vérités du documentaire « Hold-up »

Ce mode de pensée est très efficace pour susciter des interrogations, mais empêche de resituer les événements dans leur contexte, avec leurs rapports de causes à effets, leurs causes conjoncturelles et structurelles, la part de prévisible et de hasard.

  • Le rejet de la contradiction

« Media Fake News », « experts collabos », « merdias », « vendus »… Le raisonnement complotiste n’accepte pas la remise en question : tout élément contredisant ses thèses est balayé d’un revers de la main, et ceux qui la portent disqualifiés avec véhémence. Les membres du conseil scientifique sont par exemple décriés pour leurs liens financiers supposés ou réels avec les laboratoires pharmaceutiques, sans que leur expertise scientifique soit jamais entendue sur le fond.

Entretien avec Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy Watch : « Il faut impérativement cesser de trouver des excuses au complotisme »

De même, les médias traditionnels sont accusés d’être partiaux ou manipulés. Par exemple, pour les partisans de ces théories, Le Monde serait aux ordres de Bill Gates. Dans le cadre d’un partenariat avec Le Monde Afrique, la fondation Gates octroie depuis fin 2014 une bourse annuelle pour aider au financement de sujets sur le développement. Pour l’année 2020, la rédaction Afrique devrait percevoir quelque 600 000 euros : une somme à mettre en regard des 300 millions de chiffre d’affaires annuel du groupe, qui n’empêche en rien d’écrire des articles critiques à son sujet.

A l’inverse, les complotistes idéalisent les sites allant dans leur sens, comme le média covidosceptique FranceSoir, épinglé pour sa dérive complotiste par ConspiracyWatch et jugé moyennement fiable par l’institut NewsGuard. De ce point de vue, le complotisme n’est pas une pensée qui valorise le doute (contrairement à ce qu’elle prétend), mais au contraire un discours de certitudes excluant.

Décryptage : « FranceSoir », le nouveau repaire des « Covid-sceptiques »

2. Comment ne pas tomber dans leurs pièges ?

Les théories du complot peuvent se montrer très séduisantes et convaincre des publics très divers, quels que soient leur catégorie socioprofessionnelle ou leur niveau d’éducation. Résister à leurs sirènes demande vigilance, sang-froid, esprit critique et méthodologie.

  • Ne pas raisonner à l’affect

Même un documentaire qui semble très professionnel – comme le sont Hold-up et Mal Traités – peut être trompeur. Il convient de ne pas se laisser impressionner par l’effet d’accumulation, par l’émotion suscitée, ni par l’abondance apparente de références citées. Face à chaque affirmation il faut se poser les bonnes questions : quelle en est la source ? Quel en est le contexte ? A-t-elle été partagée ailleurs, et par qui ? Est-ce une personne ou un site fiable ? Ces faits sont-ils avérés ? Quelles sont les autres explications possibles ? En quelques clics, il est parfois facile de remonter à la source d’une information et de s’apercevoir que des liens établis sont grossiers ou infondés.

Mais attention, tout n’est pas nécessairement faux dans un contenu complotiste : c’est ce qui le rend à la fois plus efficace et plus insidieux. Ainsi, le documentaire Hold-up prospère sur des controverses légitimes (comme la gestion gouvernementale décriée des masques), en leur adjoignant de nombreuses rumeurs ainsi que de fausses informations.

  • Se méfier de l’effet de bulle sur Internet

« Faites vos propres recherches », « Tout est sourcé », « Tout est disponible en ligne » : ces injonctions sont classiques. Elles flattent l’ego du receveur, entretenu dans l’illusion de son indépendance d’esprit. Sauf que nombre de contenus complotistes renvoient sur Internet à d’autres contenus complotistes, créant un sentiment de confirmation trompeur. Pour conserver une distance critique, il faut s’imposer de sortir de cette bulle et chercher un regard extérieur.

Sur l’actualité liée au Covid-19, il existe plusieurs revues scientifiques anglophones de référence comme The Lancet, Nature et The New England Journal of Medecine. Même ces sources ne sont pas infaillibles, comme l’a rappelé le « LancetGate » (la reprise d’une étude frauduleuse ayant incriminé à tort l’hydroxychloroquine), mais, dans ce cas, elles font amende honorable. En français, on peut consulter l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) ainsi que les sites d’instituts scientifiques de référence, tels que l’Inserm et le CNRS.

Des articles de vérification sont publiés dans les rubriques spécialisées de médias professionnels (outre Les Décodeurs, citons nos confrères AFP Factuel, CheckNews, Vrai ou Fake ou encore Fake off). Vous vous méfiez de la presse ? Des amateurs et des bénévoles assurent eux aussi une veille quant à la désinformation, que ce soit sous la forme d’un site collaboratif (HoaxBuster), de comptes Twitter ou de chaînes YouTube (Hygiène Mentale, Débunker des étoiles, Défakator…).

3. Comment démontrer leur imposture ?

L’étape suivante consiste à se muer en détecteur de mensonges et à vérifier le contenu des messages relayés. Cela demande de l’entraînement : les contenus complotistes prennent de nombreuses libertés avec la vérité, mais ils le font avec habilité. Il faut se plonger dans le détail de leurs publications pour identifier leurs astuces.

  • Traquer les études scientifiques peu sérieuses

« Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la science », « selon une étude très sérieuse menée sur 3 000 personnes… » : le recours à des publications académiques est un ressort classique de la rhétorique complotiste. Celui-là est permis par la masse de « preprint », ces études scientifiques à la qualité très variable publiées sur Internet sans avoir été relues ou validées par des spécialistes.

L’exemple le plus marquant en 2020 est celui d’un « preprint » indien de janvier, lequel rapprochait le SARS-CoV-2 (responsable du Covid-19) du VIH (le virus du sida). Décriée par des experts en génétique (les points communs entre les deux virus sont en réalité minimes et insignifiants), cette étude a été retirée et disqualifiée (« withdrawn », en anglais), mais elle a continué à alimenter la rumeur d’un lien entre Covid et sida.

Un autre procédé consiste à citer des études sérieuses et validées, mais en déformant leurs conclusions. Ainsi, en novembre, une étude danoise sur le port du masque a été exploitée par la complosphère pour arguer que ces derniers étaient inefficaces – à tel point que son principal auteur a dû préciser que ce n’était en aucun cas le propos de son étude –, d’où l’importance de vérifier directement la source originale et non pas ses interprétations.

  • Faire des recherches sur les « experts » cités

« Ce n’est pas n’importe qui qui le dit », « un expert de renommée mondiale en virologie »… L’argument d’autorité est un procédé fréquemment utilisé. Les mérites des experts cités peuvent être tout à fait réels. C’est le cas des nombreuses distinctions obtenues par le professeur Didier Raoult, très populaire dans la complosphère. Mais les discours complotistes occultent volontiers la part d’ombre de ces personnalités – comme, chez M. Raoult, un volume de publications jugé suspicieux par ses pairs, une méthodologie dans ses études jugée faible, ou encore des suspicions de conflit d’intérêts avec le journal qui les publie.

Nombre d’experts mis en avant dans les publications très partagées sur les réseaux ou dans les documentaires complotistes ont été déjugés par leurs pairs. Le virologue Luc Montagnier, qui avait reçu le prix Nobel 2008 pour avoir en 1983 codécouvert le virus du sida avec Françoise Barré-Sinoussi, tient ainsi depuis une quinzaine d’années des propos farfelus, de telle sorte qu’il a été publiquement rappelé à l’ordre par plus de cent académiciens en 2017. L’Inserm s’est par ailleurs désolidarisé de la généticienne Alexandra Henrion-Claude après des vidéos complotistes relatives au Covid-19. Récemment, enfin, le professeur Christian Perronne a été démis de ses fonctions de chef de service par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.

Portrait : Qui est vraiment Christian Perronne, médecin référent des complotistes ?

Il arrive aussi que des scientifiques ou des médecins soient présentés comme « experts » sans avoir de compétences liées au domaine en question. Au début de la pandémie de Covid-19, une chaîne complotiste suisse, KlaTV, avait présenté comme virologue un médecin qui était en fait dermatologue. Dans Hold-up, un militant anti-5G, Olivier Vuillemin, était pour sa part présenté comme « expert en fraude scientifique » puis comme « métrologue de la santé », sans qu’il puisse justifier d’aucun titre en rapport avec de tels qualificatifs.

  • Consulter les « preuves » données

La même prudence doit s’appliquer à l’examen de ce qui est présenté comme des « preuves ». Il arrive que celles-là n’aient aucun rapport avec le discours tenu ou qu’elles soient datées. En 2020, l’exemple le plus spectaculaire a été celui d’une vidéo accusant l’Institut Pasteur d’avoir créé le SARS-CoV-2. Sauf que le brevet de 2003 sur lequel reposait cette accusation concernait un autre coronavirus. Plus récemment, un complotiste influent affirmait, vidéo à l’appui, que l’immunologue américain Anthony Fauci était défavorable au port du masque : en fait, la vidéo datait de mars, et M. Fauci avait changé d’avis depuis.

Gare également aux « preuves » qui peuvent être mises en scène ou truquées. Ainsi, dans une séquence vidéo faisant état de la vaccination de la première ministre du Queensland (Australie) – largement partagée –, le passage montrant l’inoculation a été supprimé, pour faire croire que celle-là se serait en réalité soustraite au vaccin. Encore une fois, il est conseillé, face à tout document photo ou vidéo, de rechercher l’original ou la séquence plus longue.

D’une manière générale, les discours complotistes excellent à offrir des réponses simples et souvent manichéennes à des situations complexes ou à des événements inédits. Pour se prémunir de l’attrait des explications faciles, il faut accepter que tout ne puisse s’expliquer sur le moment. Comme l’a montré la crise du Covid-19, le temps de la science est un temps long, et la prudence est de rigueur.

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