La Chine accélère son programme d’ensemencement des nuages

 

 
 
Géo-ingénierie : les apprenti-sorciers du climat
 

Mercredi 9 décembre, la Chine a annoncé son intention de déployer son programme d’ensemencement des nuages, jusqu’alors testé de façon très ciblée, sur plus de la moitié de son territoire d’ici 2025. 

Objectif : éviter les sécheresses et les chutes de grêle qui peuvent affecter sa production agricole.

- 16 décembre 2020

Pékin, été 2008. Plus d’un millier d’obus chargés d’iodure d’argent sont tirés durant huit heures. Il s’agit de clarifier le ciel de la capitale chinoise pour éviter que des précipitations ne viennent perturber la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, que la ville s’apprête alors à accueillir.

Depuis cette date, quasiment tous les grands événements internationaux organisés sur place sont précédés de leur rituelle séance d’ensemencement des nuages. Ce fut le cas notamment en 2014, quelques jours avant le sommet des pays de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC), tandis que le ciel de Beijing était noyé dans ce smog caractéristique qui donne régulièrement une allure apocalyptique à la capitale chinoise.

Cinq ans plus tard, en octobre 2019, à l’occasion du 70e anniversaire de la République populaire, rebelote : pas question que la pluie ne vienne gâcher les célébrations en cette journée destinée à montrer à la face du monde la puissance militaire de la Chine.

1,5 fois l’Inde

Jusqu’alors, le recours de la Chine à cette technique de géo-ingénierie, dont les premières expérimentations par le parti communiste chinois remontent aux années 1960, était limité géographiquement et dans le temps. Mais mercredi 9 décembre, la Chine a annoncé son intention de développer rapidement et massivement son programme d’ensemencement des nuages. Cette fois, il s’agit d’être en capacité d’intervenir d’ici 2025 sur une zone de 5,5 millions de km2, soit plus de la moitié de la superficie du pays (et 1,5 fois celle de l’Inde).

La technique est toujours la même : injecter dans les nuages présentant un taux d’humidité particulièrement élevé de petites quantités d’iodure d’argent. De quoi accélérer la condensation des particules et générer artificiellement des précipitations. 

Mais cette fois, il ne s’agit plus seulement de garantir une météo optimale aux athlètes, aux soldats ou aux chefs d’États de l’APEC. L’ensemencement des nuages doit permettre de minimiser les pertes dues aux catastrophes naturelles, notamment les épisodes de sécheresse et les chutes de grêle qui peuvent être particulièrement destructrices en Chine. En 2019, l’agence de presse Chine nouvelle avait d’ailleurs fait état d’une réduction de 70% des dégâts causés par la grêle sur les cultures dans la province du Xinjiang grâce à cette technique de manipulation de la météo. 

À terme, à l’horizon 2035, l’ambition de la Chine est de faciliter, grâce à la géo-ingénierie, la restauration des écosystèmes naturels, et de redynamiser ainsi plusieurs régions dont l’économie repose sur leur production agricole.

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Un paysan chinois dans une rizière du Yunnan / Natalia Chernenko on Unsplash

« Rivière du ciel »

Si cette extension du programme chinois est spectaculaire, on ne peut pas dire pour autant qu’il s’agisse d’une surprise. En 2017, le pays avait déjà investi 168 millions de dollars dans un programme censé permettre le déploiement d’avions, de lance-roquettes et de dispositifs de commande numérique afin d’intervenir météorologiquement sur 10% du territoire chinois.

Parmi les zones sensibles concernées par ce programme, on trouve le plateau tibétain, qui constitue la principale réserve d’eau douce du pays. Des chercheurs chinois travaillent ainsi depuis plusieurs années sur un plan baptisé Tianhe (« Rivière du ciel ») visant à détourner la vapeur d’eau du fleuve Yangtsé vers le fleuve Jaune, où elle serait alors transformée en eau de pluie, explique le quotidien britannique The Guardian. Un dispositif censé permettre d’éviter les pénuries d’eau dans le nord du pays mais qui risque d’attiser les tensions régionales, notamment avec l’Inde, puisqu’il aurait un impact sur le débit des fleuves Mékong, Salween et Brahmapoutre. L’ampleur du programme en cours de déploiement risque en effet de perturber l’ensemble du système météorologique de la région. L’Inde a ainsi évoqué un risque de « militarisation de la météo », déjà identifié de longue date par les géopolitologues comme un facteur potentiel de guerre dans le futur

Au-delà de ces tensions diplomatiques, l’incertitude demeure également sur les conséquences écologiques possibles d’un recours massif à l’ensemencement des nuages tel que l’envisage la Chine, notamment pour les sols et les rivières.

En affirmant ses ambitions à moyen terme en matière de géo-ingénierie, la Chine acte sa volonté d’agir « en aval » sur le climat. Espérons que le pays montrera la même volonté – et débloquera autant de moyens – pour agir également « en amont » et tenir sa promesse de devenir neutre en carbone en 2060. Pour l’instant, la Chine est loin du compte. D’après le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, dévoilé mercredi 9 décembre – elle représente toujours plus d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et se distingue même par… une augmentation de ses rejets carbonés de 3,1 % pour l’année 2019.

Mercredi 9 décembre, la Chine a annoncé son intention de déployer son programme d’ensemencement des nuages, jusqu’alors testé de façon très ciblée, sur plus de la moitié de son territoire d’ici 2025. Objectif : éviter les sécheresses et les chutes de grêle qui peuvent affecter sa production agricole.

- 16 décembre 2020