La Cour des comptes tire les leçons du chantier EPR de Flamanville : décryptage



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Rapport de la Cour des comptes,
EPR,

Valérie Faudon (SFEN) - © Photo EDF - Morin Alexis

La Cour des comptes publie un nouveau rapport, qui s’appuie à plusieurs reprises sur les notes techniques de la SFEN, sur les coûts de Flamanville 3 et plus généralement la filière EPR. Le rapport confirme les informations précédentes publiées par EDF à l’automne 2019, tout en élargissant le périmètre d’étude aux coûts financiers et à ceux de démarrage.

Elle analyse les leçons à tirer du chantier de l’EPR de Flamanville, déjà développées dans le rapport de JM Folz[1] d’octobre 2019, et dresse une liste de recommandations fortes pour la gouvernance du projet de construction de 6 EPR en cours d’instruction.

Des coûts de construction confirmés à 12,4 milliards d’euros

La Cour confirme le chiffre communiqué par EDF sur les coûts de construction [2]. Pour rappel, le coût de construction est constitué de la somme des dépenses d’ingénierie et de maîtrise d’œuvre comptées à partir de la date d’engagement à laquelle s’additionne le montant des contrats passés avec les entreprises participant à la construction. La Cour précise que ce montant intègre entre autres la réparation des soudures de traversée et les coûts de décalage de planning.

A titre de comparaison, la Cour évalue le coût de construction pour l’EPR finlandais (Olkiluoto 3) à 9,9 milliards d’euros. Le rapport Folz évaluait le coût de construction, à même périmètre, des deux réacteurs EPR de Taishan en Chine à 12,3 milliards d’euros, soit de l’ordre de 6 milliards d’euros par réacteur.

La Cour note qu’un certain nombre de coûts sont naturellement imputés sur le seul EPR de Flamanville, compte tenu de l’absence d’effet de série. Il s’agit là d’un effet aggravant, déjà noté par la SFEN dans sa note sur les coûts du nouveau nucléaire, qui précisait qu’une construction d’une paire de réacteurs sur un même site permettait d’économiser 15% des coûts de construction, à la fois grâce à un partage de coûts fixes (ex : études, outillage) et aussi par des gains d’efficacité opérationnelle. La construction en cours des EPR à Hinkley Point C témoigne de ces gains économiques. Par exemple, la construction du radier de l’unité 2 a été 30% plus rapide que pour l’unité 1[3].

La Cour reprend un certain nombre d’analyses déjà présentes dans le rapport Folz sur les causes des retards et des surcoûts du chantier

Elle insiste ainsi sur la « perte de compétences techniques et de culture qualité de la filière », liée en particulier à l’écart d’une quinzaine d’années entre les lancements des chantiers de Civaux 2 et de Flamanville 3. Elle remarque que « les acteurs n’en avaient pas conscience au début des années 2000. ». Pour rappel, la filière nucléaire a annoncé en décembre 2019[4]  un plan d’envergure, doté d’un budget initial de 100 millions d’euros étalé sur 2020-2021, qui répond point par point aux recommandations du rapport Folz, afin de permettre à la filière nucléaire de retrouver le plus haut niveau de rigueur et de qualité.

Un des points saillants des deux rapports est aussi le manque de continuité stratégique de l’Etat durant la genèse du projet, qui conduit à une situation de « stop and go » aux effets désastreux. Rappelons que le travail de conception du nouveau réacteur franco-allemand de 1993 à 1997, a été suivi par une mise en sourdine des activités de 1997 à 2002 du fait de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement non favorable au nucléaire, puis un redémarrage des activités avec le changement de majorité politique en 2002. A ce moment, la Cour note « une précipitation » des décisions, comme si les acteurs tenaient à profiter d’une fenêtre d’opportunité qui pourrait se clore, à la prochaine élection. Un tel environnement décisionnel n’est certainement pas propice à la préparation sereine d’un projet de cette importance.

La Cour élargit son paramètre d’étude à d’autres catégories de coûts

Au-delà des frais de construction proprement dit, la Cour élargit le périmètre de son étude à des « coûts complémentaires de construction » : les frais financiers (4,2 milliards d’euros) et les frais de mise en service du réacteur (2,5 milliards d’euros). Elle fait d’ailleurs largement référence au travaux de la SFEN dans ce domaine[5].

Les frais financiers sont constitués principalement d’intérêts intercalaires (4,22 milliards d’euros). La SFEN est surprise par cette analyse comptable de la Cour des Comptes. En effet, sur le plan économique les intérêts intercalaires sont les intérêts dus à l’organisme auprès duquel le porteur d’un projet a emprunté pour le financer, à partir du moment où cet organisme débloque des fonds (il ne s’agit pas à ce stade de rembourser le prêt proprement dit). Rappelons que dans le cas de Flamanville, EDF n’a pas emprunté à un organisme extérieur (par exemple une banque) pour financer le projet, lequel a été entièrement financé sur fonds propres.

Cette précision de la Cour présente néanmoins l’intérêt d’attirer l’attention sur la question de ces intérêts intercalaires, dans le cadre de l’instruction en cours, prévu dans la PPE, sur le renouvellement du parc nucléaire et la construction de 3 nouvelles paires d'EPR. Dans sa note sur le coût du nouveau nucléaire[6], la SFEN soulignait l’importance de ces frais estimés à 20% du coût d’investissement final. Non seulement ils interviennent à un moment où l’investisseur n’a pas encore de revenus, mais leur montant est corrélé à la durée du chantier : un retard sur la construction entraine une augmentation de ces frais. De nouveaux schémas sont actuellement à l’étude à la fois au Royaume Uni et dans les pays d’Europe centrale sur des mécanismes permettant de soulager l’investisseur de cette charge, et plus généralement de réduire les frais financiers, pour les prochaines construction de réacteurs nucléaires.

Au-delà des frais financiers, la Cour aborde les « frais de mise en service du réacteur ». Le rapport Folz précisait que le coût de construction, tel qu’il était calculé, ne comprenait en effet ni différentes dépenses annexes comme les pièces de rechange et le premier chargement de combustible, ni les dépenses supportées par l’exploitant avant la mise en service industrielle, comme le coût des personnels présents sur le site en phase de pré-exploitation et les charges fiscales supportées depuis l’autorisation administrative. Ces dépenses, présentées par la Cour dans son rapport, sont traditionnellement considérées déjà comme des dépenses d’exploitation, et non des coûts de construction de l’installation. Pour utiliser une image très simple, on pourrait considérer que la construction correspondrait à la fabrication d’une automobile, et que les autres dépenses correspondraient au passage du permis de conduire et au plein d’essence.

La Cour évalue le coût de production au MWh entre 110 et 120 € pour l’EPR de Flamanville 

Très supérieure à l’estimation initiale, l’évaluation du coût final établit la borne supérieure du coût futur du nouveau nucléaire, correspondant à une tête de série. Il faut en ceci le comparer à l’éolien offshore tête de série entre 140 et 150€/MWh, sachant que, dans le cadre de Flamanville, on parle d’un moyen de production pilotable, ayant une valeur supérieure au sein du système électrique.

La Cour des Comptes était d’ailleurs revenue en détail dans un rapport de 2018[7] sur les coûts des différentes filières renouvelables. Ce rapport faisait état d’ « un soutien financier très élevé » avec 121 Mds d’Euros engagés entre 2018 et l’échéance des contrats et « pesant sur les marges financières de l’État ». A contrario, la construction de l’EPR de Flamanville a été entièrement portée par les finances d’EDF.

Qu’en déduire au niveau des perspectives pour les futurs EPR français ? La SFEN, dans sa note de mars 2018, estimait qu’il était possible, par des effets de série et d’innovation, de réduire les coûts de construction de l’ordre de 30%. Elle estimait aussi que les coûts de financement, par un meilleur partage des risques, pouvaient être réduits de 50%. Elle estimait que, au regard de l’historique du parc français, des retours d’expérience récents, et de ce que l’on peut constater dans d’autres industries, il était raisonnable de fixer pour objectif d’atteindre un coût futur de 70EUR/MWh, à condition de mettre en œuvre un véritable programme industriel, avec un cadencement optimisé  des constructions et un soutien continu de l’Etat stratège.  Un tel potentiel de réduction des coûts est d’ailleurs jugé réaliste dans un récent rapport de l’OCDE-AEN[8] publié début Juillet.

La Cour fait un certain nombre de recommandations essentielles pour le futur programme de construction de 3 paires d'EPR en cours d’instruction

Parmi ses recommandations, la SFEN note trois points particulièrement :

La question de la rentabilité : la Cour recommande de « calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l’EPR2 et d’en assurer le suivi ». Cette question est liée bien sûr à la maîtrise des coûts, mais aussi bien sûr à la nécessité de pourvoir prédire les prix de vente futurs de l’électricité et de permettre des modalités de financement adéquates. Ainsi la Cour note qu’EDF « ne pourra plus s’engager sans garanties sur le revenu que lui procurera l’exploitation de ses réacteurs », soit un système similaire aussi à celui dont bénéficient dès aujourd’hui les énergies solaires et éoliennes en France, pour un coût pour l’Etat de l’ordre de 6Mds d’euros/an.  Cette question est d’autant plus importante que les récents scénarios[9] 2050 réalisés par le cabinet Compass Lexecon pour la SFEN montrent que l’accroissement futur de la part des énergies solaires et éoliennes dans le mix électrique se traduira par une volatilité accrue des prix de gros de l’électricité.  
Le coût du futur programme de construction de 6 EPR est estimé pour la première fois de manière publique pour un montant de 46 milliards sur 20 ans, soit un montant de l’ordre de 2Mds d’euros par an, pour l’ensemble des acteurs. La SFEN estime qu’il s’agit là d’un investissement raisonnable pour une capacité de près de 10GW de production pilotable bas-carbone, avec une durée d’exploitation prévue pour 60 ans.


La Cour recommande une « analyse complète du système électrique  à l’horizon 2050 », présentant entre autres les enjeux et les solutions en termes de sécurité d’approvisionnement. Les scénarios de Compass Lexecon montrent que, dans un climat d’incertitudes liées à la stratégie des voisins, les difficultés à prédire la demande, et les incertitudes sur les technologies, les trajectoires avec faible renouvellement ou abandon de l’option nucléaire exposent la France à des risques très importants en termes de sécurité d’approvisionnement. La France pourrait devoir lancer en urgence, au milieu des années 30, un programme de construction de centrales à gaz, fortement émettrices de gaz à effet de serre, renchérissant notre dépendance au gaz importés. Au-delà, perdre l’option nucléaire et la capacité industrielle française et européenne à construire des nouveaux réacteurs constitueraient une perte de souveraineté importante sur une des technologies reconnues par les grandes institutions internationales comme nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques. Sans parler des enjeux économiques et sociaux liés à l’abandon de notre troisième filière industrielle.

En conclusion, la Cour des Comptes insiste sur l’importance d’une gouvernance forte de l’Etat sur les prochains projets de constructions. La SFEN estime qu’il est en effet crucial que l’Etat s’engage sans tarder sur des projets clefs à la fois pour la relance économique, la résilience future de notre système électrique, et l’atteinte de nos objectifs de neutralité carbone. Ce sujet est d’autant plus important dans le contexte actuel de la relance post-COVID alors que l’ensemble du tissu industriel français risque d’être durablement impacté par cette crise.

 

 

 

[1] Rapport de Jean-Martin Folz « La construction de l’EPR de Flamanville » à Bruno Le Maire et à Jean-Bernard Lévy, 28/10/2019.

[2] Par souci de cohérence avec les informations rendues publiques par EDF, les coûts à terminaison ont été exprimés par la Cour en euros, 2015.

[3] https://www.edfenergy.com/sites/default/files/hpc_efficiencies_brochure_...

[4] https://www.sfen.org/rgn/publication-rapport-folz-octobre-edf-presente-e...

[5] Note SFEN ; Les coûts de construction du nouveau nucléaire.

[6] Note technique sur le coût du nouveau nucléaire, SFEN, mars 2018.

[7] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-04/20180418-rapport-sou...

[8] Unlocking reductions in the construction cost of nuclear : a practical guide for stakeholders ».

[9] Note technique SFEN : « Peut-on prendre le risque de ne pas renouveler le parc nucléaire français ? », juin 2020.