Covid 19: Désunion européenne : un désastre politique mais pas économique





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COVID-19 

GUILLAUME DUVAL

L’absence de réponse commune de l’Union européenne à la crise pose un problème politique majeur mais pas forcément économique, au moins dans l’immédiat.
Le sommet européen, tenu en visioconférence le 26 mars dernier, s’est terminé par un échec. Les 27 chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas réussi à s’entendre sur une réponse commune face à la crise économique déclenchée par l’épidémie de Covid-19. Ils se sont contentés de demander à l’Eurogroupe, les ministres de l’Economie et des Finances de la zone euro, de leur faire des propositions d’ici quinze jours.
Cette impasse a suscité de vives inquiétudes. Jacques Delors, ancien président emblématique de la Commission européenne, est, à 94 ans, sorti de son silence pour avertir solennellement que « le climat qui semble régner entre les chefs d’Etat et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne ».
Cette absence de réponse commune à la crise pose évidemment un problème politique majeur dans le contexte actuel vis-à-vis de l’opinion européenne, mais sur le terrain strictement économique la menace n’est pas immédiate. Et c’est la raison pour laquelle d’ailleurs, un accord est aussi difficile à trouver. Explications.

Réactions en ordre dispersé

Depuis le début de la crise du coronavirus, l’Union européenne est à la peine. Les instances communautaires n’ont pas de compétence en matière de santé et chaque pays a réagi de façon autonome face à la crise, adoptant au départ des politiques très différentes. Certains sont allés parfois jusqu’à interdire l’exportation de matériel médical chez les voisins et les cas d’entraide entre pays ont été rares.
L’Union a néanmoins lancé le 16 mars dernier un important programme d’achat en commun et en urgence de matériels critiques, et notamment de respirateurs artificiels. Sur le plan budgétaire, ses moyens sont limités, son budget ne pèse que 154 milliards d’euros, soit 1 % du PIB des 27 réunis.
La Commission a néanmoins réussi à mettre en place rapidement un fonds supplémentaire de 37 milliards d’euros, adopté au Parlement européen le 26 mars dernier, en mobilisant les crédits des fonds structurels inutilisés. Par ailleurs, l’exécutif européen a levé les restrictions aux politiques budgétaires associées au Pacte de stabilité et autorisé exceptionnellement les programmes d’aides d’Etat aux entreprises, théoriquement interdites par les traités.
Avec les compétences et les moyens limités dont elles disposent, les instances européennes ont donc plutôt déjà fait feu de tout bois ces dernières semaines. Mais face à l’ampleur et à la violence inédite du choc économique et social qui se profile du fait du confinement, ces efforts paraissent pourtant – légitimement – bien dérisoires.

Frange anti-Eurobonds

L’enjeu principal du sommet du 26 mars dernier était d’aller au-delà en décidant d’émettre en commun des « Eurobonds », des titres de dette sur les marchés financiers, destinés à financer les efforts budgétaires supplémentaires – considérables, de l’ordre de 10 points de PIB probablement – qui vont être nécessaires dans toute l’Europe pour faire face à la récession provoquée par cette crise.
Neuf pays – la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, la Grèce, l’Irlande, la Belgique et le Luxembourg – avaient signé ensemble une lettre en amont du Conseil européen pour demander la mise en place de ces titres communs. Ils ont été rejoints par cinq autres Etats : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et Chypre. Mais ces quatorze pays se sont heurtés à la résistance acharnée de cinq autres – les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et Malte – emmenés en particulier par Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, qui ne voulaient pas en entendre parler.
Ces pays, qui se qualifient eux-mêmes de « frugaux » par opposition aux cigales d’Europe du Sud, considèrent qu’une telle mise en commun des dettes est contraire aux traités européens. Ils veulent que l’aide éventuelle apportée aux Etats les plus touchés par la crise du coronavirus – dans l’immédiat l’Italie et l’Espagne – passe exclusivement via le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté de 410 milliards d’euro, mis en place après la crise de la zone euro.
Mais l’aide apportée par le MES est soumise à une conditionnalité très stricte et au contrôle étroit des finances publiques du pays aidé, équivalent à une mise sous tutelle. Une solution totalement inacceptable pour les gouvernements italien et espagnol dans le contexte du coronavirus – une crise qui n’a, par nature, rien à voir avec une quelconque mauvaise gestion des finances publiques. Les noms d’oiseaux ont volé et à l’issue de cet affrontement le Premier ministre portugais Antonio Costa est allé jusqu’à qualifier de « répugnante » l’attitude du ministre des Finances néerlandais.

Les Eurobonds peuvent attendre

Ce qui explique paradoxalement la violence de cette bataille, et l’incapacité à la résoudre pour l’instant, c’est qu’en réalité il n’y a pas – ou plus exactement il n’y a plus – d’urgence pour le moment à mettre en place des mesures de ce type.
Ce qui avait fait en effet resurgir le débat sur les Eurobonds, latent depuis dix ans, c’était la brusque flambée des taux d’intérêt sur les titres de dette italienne qui avait suivi la conférence de presse ratée de Christine Lagarde, la présidente de la BCE le 12 mars dernier. Ce jour-là, elle avait affirmé que  « La BCE n’est pas là pour resserrer le “spread” », l’écart des taux d’intérêt entre les dettes publiques des différents pays de la zone euro.
Immédiatement, les acteurs financiers s’étaient inquiétés de la situation de l’Italie, dramatiquement touchée par le coronavirus, alors que sa dette publique atteint déjà 137 % du PIB. Et les taux d’intérêt sur la dette italienne sont montés de 1,2 % par an le 11 mars à 2,4 % le 17, un doublement en moins d’une semaine. Ce doublement représente à terme une dépense supplémentaire de 1,6 points de PIB annuels pour les finances publiques italiennes si cet écart se maintient. C’est intenable. La dette espagnole avait commencé elle aussi à subir le même genre d’attaque spéculative.
Les Eurobonds pourraient répondre à ce souci : grâce à eux on pourrait financer au même taux les déficits causés par la crise du coronavirus en Allemagne et en Italie. Problème cependant : ce taux serait très inférieur à celui que l’Italie seule pourrait obtenir, mais il serait en revanche probablement supérieur à celui dont l’Allemagne ou les Pays-Bas peuvent bénéficier seuls. Ces derniers seraient donc pénalisés et leurs dirigeants (mais aussi leur opinion publique chauffée à blanc depuis dix ans contre les « cigales » d’Europe du Sud) n’y sont guère enclins.
Si la survie de la zone euro était en jeu, on pourrait sans doute tordre le bras aux radins et surmonter cette résistance, mais ce n’est plus le cas pour l’instant. Après le bug du 12 mars dernier, la BCE a corrigé le tir. Elle a annoncé le 18 mars qu’elle allait injecter 750 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie européenne d’ici la fin de l’année, 7 points de PIB de la zone euro.
Francfort a rendu publique le 26 mars dernier les conditions associées à ce Pandemic emergency purchase program (PEPP) : elle a assoupli considérablement ses conditions habituelles pour le rachat de titres en faisant sauter en particulier la limite du tiers des titres émis qu’elle ne devait pas dépasser (qui aurait pu limiter ses achats de titres publics) et s’est accordée une grande flexibilité dans l’orientation de ses achats, qui pourraient déroger temporairement à sa clef de répartition habituelle entre pays.
Ces deux éléments combinés ont suffi pour l’instant à rassurer les acteurs des marchés financiers sur la volonté de la BCE d’éviter que les spreads se creusent et le 27 mars dernier, les taux d’intérêt sur la dette italienne étaient revenus à 1,3 % par an, quasiment le même niveau que le 11 mars. Les Eurobonds peuvent donc en effet attendre pour l’instant. Le club des radins européens a évidemment tort sur le plan politique – l’image de l’Union qu’ils donnent aux peuples européens est catastrophique dans le contexte actuel –, mais pas forcément sur le plan économique…