Où
en sont les conséquences environnementales et sanitaires de l’accident
nucléaire de la centrale de Fukushima Daï Ichi, survenu le 11 mars 2011 ?
Une série de notes d’informations publiées par l’Institut de
radioprotection et de sûreté nucléaire permet de faire le point sur la
situation (ici sur la santé, et là sur l’environnement).
En voici un résumé (il n’y a rien ici sur l’état des installations et
les activités qui s’y déroulent, la gestion des déchets de sol
contaminés ou le coût de l’accident).
1- La mesure de la radioactivité dans l’environnement
La
surveillance du niveau de radioactivité dans l’air montre la poursuite
de sa diminution, en moyenne de 77% dans un périmètre de 80 km autour de
la centrale (cartes ci dessus). Les mesures dans les localités situées
dans les zones bleues sont similaires à celles que l’on trouve dans des
agglomérations ailleurs dans le monde : les débits de doses par heure
sont de 0.06 µSv/h (microsievert par heure) à Minami-sôma, 0.07 µSv/h à
Kôriyama et 0,12 µSv/h à Fukushima pour 0,05 µSv/h à Taipei, 0,11 µSv/h à
Séoul, 0,10 µSv/h à Londres… et 0,06 µSv/h à Paris le 11 mars dernier selon la balise de l’IRSN installée dans le 12ème arrondissement. ( Ou 0,10 µSv/h à Limoges le 16 mars).
Les mesures effectuées sur les produits
agricoles à l’échelle du Japon montrent qu’ils ne sont plus affectés par
les contaminations car les seuls dépassements des normes ne concernent
plus que des baies, du gibier et des champignons sauvages :
Les
produits agricoles ne présentent plus de contamination radioactive
supérieure au 100 Bq/kg à plus de 99%. En 2018/2019 seuls 313
échantillons (cueillettes de baies et champignons, gibier) dépassaient
le 100 Bq/kg (un litre de lait de vache normal affiche environ 80 Bq/kg,
un corps humain adulte environ 7 000 Bq).
Les produits de la mer sont dans le même cas avec zéro poisson au dessus de 100 Bq/kg depuis 2015 (sauf un en 2018).
Des mesures qui concordent avec la
diminution drastique de la contamination des eaux autour de la centrale
(attention, l’échelle des graphiques est en logarithme) :
Pour les poissons de rivières on compte encore quelques cas par an,
moins de dix, au delà de la barre des 100 Bq/kg contre plus de 200 en
2012 (rappel : un litre de lait de vache normal affiche environ 80
Bq/kg, un corps humain adulte 7 000 Bq – surtout le potassium 40 et le
carbone 14). 2- Les territoires contaminés
La
diminution de la radioactivité a modifié la gestion des zones
contaminées et permis ici et là des retours de populations, mais pour
l’instant très minoritaires. La plupart des zones 2 et 3 sont déclarées
« décontaminées » et les retours de populations possibles avec une levée
des consignes d’évacuation entre 2014 et 2017. En revanche la zone 1 –
dont le niveau de contamination en 2011 provoquait une dose annuelle
supérieure à 50 mSv – n’est pas considérée comme « ré-occupable » à
l’exception des zones en violet où des opérations de décontamination
poussées ont permis la création de « bases de reconstruction » (gares,
magasins, bâtiments collectifs…). En mars, les consignes d’évacuation
ont donc été levées pour les localités de Oduma, Tomioka et Futaba. Au
total, la zone évacuée s’est réduite de 1150 km² en 2011 à 336 km² en
2020.
Au
total, environ 95 000 personnes avaient quitté la zone d’évacuation
(mais il faut y ajouter environ 65 000 personnes qui vivaient en dehors
de cette zone d’évacuation et qui ont décidé de leur propre chef de
quitter leurs habitations pour se loger ailleurs dans la Préfecture de
Fukushima ou une autre région du Japon). Sur les habitants de la zone
d’évacuation, au plus 20% se sont ré-installées chez elles, confirmant
que la perte de territoires – modulée par des décisions collectives et
individuelles sur le niveau de contamination acceptable – constitue
l’une des conséquences les plus importantes d’un tel accident. Plusieurs
dizaines de milliers de Japonais sont toujours confrontés aux
difficultés sociales, psychologiques et économiques provoqués par ces
départs contraints ou volontaires – surtout que le gouvernement traite
différemment ces deux catégories au plan social.
3- les conséquences sanitaires pour les habitants
Les pouvoirs publics japonais poursuivent
la surveillance d’éventuelles conséquences sanitaires – radio-induites
ou non – sur les populations. A la surveillance générale à l’échelle de
la région (2 millions de personnes) s’ajoutent des observations
particulières pour les femmes enceintes ou ayant accouché lors de
l’accident (16 000), les populations des zones les plus exposées et les
360 000 enfants de la région âgés de moins de 18 ans en 2011 pour la
thyroïde.
Les dépistages systématiques de cancers
de la thyroïde chez les enfants en ont bien sûr détecté beaucoup plus
(environ 15 fois, avec 102 thyroïdes opérées d’enfants entre 6 et 18
ans) qu’en l’absence d’un tel dépistage lors de la première vague
destinée à établir un état zéro… mais pas plus que dans trois autres
régions du Japon (Aomori, Hiroshima et Yamanashi) indemnes de
contamination et testées pour comparaison. Cette observation était
attendue, elle correspond à ce qui a été mesuré dans d’autres pays,
comme la Corée du Sud, lorsque l’on réalise des dépistages
systématiques. Les trois autres vagues de dépistage (2014/2016, puis
2016/2018, puis 2018/2020) ont logiquement affiché une diminution
importante du nombre de cancers diagnostiqués (51 puis 24, puis 8,
chiffre provisoire). Ces chiffres signifient qu’il n’y a pour l’instant
aucun signe de survenue de cancers de la thyroïde infantiles due à
l’exposition à la radioactivité, dont le niveau est jugé trop bas pour
avoir provoqué un phénomène similaire à celui observé à Tchernobyl
(environ 7 000 enfants opérés).
En outre nombreux « détails » des cancers
de la thyroïde infantiles détectés et opérés – âge des enfants
atteints, profils oncogéniques similaires à une population non exposée
et très différents de ceux de Tchernobyl – font penser qu’ils ne sont
pas radio-induits.
Les médecins estiment qu’ils n’auraient
pas du opérer autant de cas de la première vague de dépistage, nombre de
ces cancers auraient pu évoluer favorablement et ainsi éviter
l’opération et la médication à vie. Comme le précise l’IRSN «le
cancer de la thyroïde progresse généralement lentement, ne provoque de
symptômes que lorsqu’il est à un stade avancé et il est peu létal. Ces
cancers diagnostiqués lors d’un dépistage correspondent à ce que les
cancérologues appellent des cancers indolents ou quiescents. La
détection précoce de ces nodules tumoraux n’améliore pas la santé ni la
survie des patients, mais peut au contraire diminuer leur qualité de vie
à cause d’un traitement médical et/ou de complications de chirurgie. Le
dépistage entraîne donc un sur-diagnostic des cancers thyroïdiens,
c’est-à-dire une détection de cas pour lesquels il n’y a aucun bénéfice
médical.» Du coup, les spécialistes estiment désormais qu’en cas
d’exposition à la radioactivité à ce niveau lors d’un accident, il vaut
mieux éviter le dépistage systématique et se concentrer sur les
individus à haut risque.
Les bilans de santé sur les populations
évacuées montrent une amélioration générale, physiologique et
psychologique, due à la stabilisation de leurs conditions de vie. Il n’y
a aucun signe particulier pour les naissances prématurées, les
fausses-couches et les malformations congénitales. Le stress et
l’inquiétude – en particulier chez les femmes enceintes lors de
l’accident – ont diminué régulièrement depuis 2011, mais suscitent
encore des besoins de soutien psychologique. Le document de l’IRSN note
que «A la question «Pour quelle raison ne souhaitez-vous pas entamer
une autre grossesse ? », seulement 1,6 % des femmes interrogées en 2015
évoquent une peur liée aux conséquences d’une exposition à la
radioactivité, alors qu’elles étaient 14,8 % à l’évoquer en 2012».
4- Que faire de l’eau ?
Ainsi, un article paru dans The Conversation
sur le devenir des eaux contaminées stockées sur le site de la centrale
est étonnant. Il relate correctement la problématique de
l’accroissement des volumes et de la saturation des conteneurs. Il fait
écho aux débats au Japon sur la solution consistant à déverser cette eau
dans la mer, certains la préconisant, d’autres s’y opposant. Mais ce
qui est étrange, c’est que cet article ne dit absolument rien du niveau
de contamination de ces eaux. Comme si les opérations de décontamination
n’avaient pas lieu. Or, les procédés utilisés ont permis de séparer de
l’essentiel du volume d’eau stocké l’essentiel de la radioactivité qu’il
contenait (elle est alors concentrée dans les effluents du procédés et
des volumes d’eau réduits). L’argumentaire des partisans du relâchement
dans l’océan se résume ainsi : la décontamination n’est pas parfaite, à
100%, mais largement suffisante pour que ce déversement n’ait pas
d’effets notables sur le niveau de radioactivité des eaux marines, où la
dilution sera rapide. Celui des opposants s’appuie soit sur un principe
(tout relâchement serait « mal ») ou réglementaire : les niveaux de
contaminations sont supérieurs aux autorisations de rejets… calculés
pour des installations en fonctionnement normal.
Dans le détail, les eaux qui pourraient
être relâchées contiennent du tritium, de l’hydrogène radioactif dont
l’effet biologique est très faible. C’est d’ailleurs pour cela que les
installations nucléaires ont des autorisations de rejets pour le
tritium. L’usine d’Orano, à la Hague peut ainsi rejeter en mer des
quantités de tritium similaires (et même supérieures) à celles qui sont
contenues dans l’eau stockée à Fukushima. Les autres radio-éléments
encore contenus dans l’eau décontaminée dépassent les réglementations,
notamment parce que la fréquence des remplacements de filtres a été
diminué pour atteindre des niveaux de radioprotection très élevés pour
les travailleurs sur le site. La diminution drastique des niveaux
d’irradiations dans les eaux à proximité immédiate de la centrale
dévastée et les très faibles niveaux de contamination des produits de la
pêche confirment que la dilution dans l’océan est une méthode efficace
pour gérer cette radioactivité. De peu d’effets biologiques, le
déversement étalé sur un an et la dilution rapide dans l’océan
élimineraient le risque d’une défaillance du stockage qui se traduirait
par une contamination localisée nettement plus problématique.