La crise de l’hôpital : quels enseignements ?

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La dépense courante de santé comprend toutes les dépenses engagées pour la santé, qu’elles soient financées par la puissance publique ou par un financeur privé.

Elle s’établit à 275,9 milliards d’euros en 2018 [1]. Elle est composée à 73,7% par la consommation de  soins et de biens  médicaux (CSBM – en gros les médicaments, les rendez-vous chez le médecin et les séjours à l’hôpital) et comprend également les soins de longue durée, les soins aux personnes âgées, les soins aux personnes handicapées, les coûts de gestion du système de santé, les indemnités journalières pour arrêts de travail versées en cas de maladie, de maternité et d’accident du travail, et d’autres dépenses en faveur du système de soins (recherche médicale et pharmaceutique, formation des professionnels de santé, dépenses de prévention, …). La dépense courante de santé englobe ainsi une bonne partie des dépenses que la collectivité (toi, moi, elle, lui, nous) est prête à consacrer à la solidarité vis-à-vis des plus fragiles : malades, personnes âgées, personnes en situation de handicap, … La CSBM, poste de dépenses le plus important, est financée à 78,1% par la sécurité sociale, à 13,4% par les organismes complémentaires (mutuelles, assurances,…), à 1,5% par l’Etat et à 7% par les ménages eux-mêmes – ce qui constitue un des niveaux les plus bas de l’OCDE.

Pendant de nombreuses années, la progression des dépenses courantes de santé a été plus forte que la croissance de la richesse produite : entre 2001 et 2018, les dépenses courantes de santé ont augmenté de 70%, quand le Produit Intérieur Brut (PIB) augmentait « seulement » de 23%. En conséquence, les dépenses courantes de santé qui représentaient 9% du PIB en 2001 représentent désormais 12,1% du PIB.

Premier enseignement lorsque l’on regarde l’évolution comparée des dépenses de santé et du PIB : il n’y a pas de taux d’évolution négatif des dépenses de santé, contrairement au PIB. Dit autrement, une fois un niveau de dépenses atteint, il n’a encore jamais été envisagé de revenir en arrière, en tout cas jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, le décrochage observé sur le PIB en 2008 et 2009 ne s’est pas accompagné d’une diminution des dépenses de santé. Il est assez facile d’imaginer que la population ne tolérerait pas une diminution des soins financés du genre : « ah non ! la crise financière a détruit de la richesse, donc on ne rembourse plus la chirurgie du cancer du sein ». Une éventuelle décroissance du PIB devrait donc aboutir mécaniquement à une progression très forte de la part de la richesse nationale consacrée aux dépenses de santé… ou à des négociations à haut risque entre le gouvernement du moment, les professionnels du secteur et la population.

Par ailleurs, malgré le fait qu’une part de plus en plus importante est consacrée à financer les dépenses de santé, plusieurs exemples au cours des derniers mois laissent apparaître que le système de santé en général, et l’hôpital en particulier, est au bord de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme un effondrement : une dégradation rapide et subie du niveau du service rendu, dans le cadre réglementaire et financier tel qu’on le connaît depuis des décennies. Par exemple :
  • En décembre 2019, une étude, portant sur des médecins en poste dans des hôpitaux et cliniques du Sud et de l'Est franciliens, dont l’objectif est d’ « évaluer leurs niveaux de stress au travail, d'anxiété, de dépression et d'épuisement professionnel » conclue que les taux de prévalence étaient de 49% pour l'épuisement personnel, 44% pour l'épuisement lié au travail et 40,9% pour l'épuisement interpersonnel (relation avec les patients, les collègues, les équipes, etc.)(https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165178119315318)

Pourquoi le système de santé vit-il ce qui apparaît donc comme un effondrement, alors que, comme on l’a vu, les dépenses de santé augmentent rapidement, en tout cas plus rapidement que le PIB ? Tout simplement, parce que l’évolution « tendancielle » de la dépense de santé se situe en fait entre 4% et 5%. Trois raisons principales expliquent ce décalage PIB / dépenses de santé :
  • Le vieillissement de la population ;
  • La chronicisation de certaines conditions : on ne meurt plus des maladies qui nous tuaient il y a 50 ans, mais on vit avec, généralement en prenant des médicaments pendant longtemps et en allant souvent à l’hôpital ;
  • Le coût des traitements qui augmentent de plus en plus. Les médicaments coûtent de plus en plus chers car ils sont de plus en plus difficiles à trouver et à développer, alors qu’ils sont efficaces sur une partie de plus en plus restreinte des patients.

Ce qui signifie qu’une croissance des dépenses courantes de santé inférieure à ce niveau, même si elle est supérieure à la croissance du PIB, met le système de santé sous contrainte.

Nous avons donc devant les yeux un exemple très concret des effets que peut générer une évolution des besoins supérieure aux moyens que nous sommes collectivement prêts à lui dédier. S’il existait de nombreux gisements de productivité dans les établissements de santé et dans l’organisation des soins en général, ceux-ci ont été largement captés au cours des dix dernières années et le modèle semble atteindre ses limites. Il est de plus en plus nécessaire de réfléchir aux moyens de répondre aux besoins croissants en santé, tout en diminuant l’intensité en ressources mobilisées, humaines ou matérielles. Ça ressemble très franchement à la définition de la décroissance, et l’on pourrait fixer cet objectif, mot pour mot, dans bon nombre de secteurs (énergie, transport, industrie, …).

La crise écologique et la crise de l’hôpital présentent ainsi des similitudes : les réponses aux crises de court terme que traversent les « systèmes » (eco-systèmes, système de santé, système climatique, …), auxquelles il faut répondre dans le cadre du système « thermo-industriel » actuel doivent être dissociées des actions à engager sur le long terme pour inventer une nouvelle organisation et construire des systèmes plus résilients. Si la production de richesses se contracte, il y a fort à parier que d’autres secteurs de nos économies rentreront dans l’injonction contradictoire que rencontre le système de santé depuis quelques années « besoins qui augmentent vs. ressources qui diminuent – ou qui augmentent moins vite ». Dès lors, alors que de nombreux spécialistes anticipent justement une décroissance du PIB en lien avec la diminution (subie ou maîtrisée) de notre consommation énergétique [2], quels enseignements peut-on tirer de ce décrochage en avance de phase du secteur de la santé, qui mettra d’autres secteurs de nos économies sous contrainte ?

La transformation du système de santé peut-elle constituer un exemple concret d’adaptation pour les autres secteurs ? En ce sens, les propositions récentes faites par le ministère de la santé [3] pour réorganiser les soins autour de la prise en charge de proximité et pour transférer une partie des soins à d’autres professionnels plus nombreux (infirmières, pharmaciens, sages-femmes, …) exerçant dans des environnements moins technologiques vont dans le bon sens. C’est de plus un sujet sur lequel la France semble accuser un certain retard par rapport aux autres pays développés [4]. Le développement des structures non spécialisées du type centres de santé, maisons médicales, hôpitaux de proximité et maisons de naissances au sein desquelles tous les professionnels de proximité se retrouvent avec l’objectif d’éviter au maximum aux patients les épisodes aigus (donc consommateurs de ressources et très coûteux) semble être la bonne réponse. C’est une transformation à l’inverse de la façon dont est structuré notre système de la santé, organisé surtout autour de l’hôpital. Et qui sera difficile à mener quand la fermeture d’une maternité ou d’un plateau de chirurgie est encore vécue comme une régression, par les élus et par les populations des territoires concernés. De nombreux exemples de réorganisation existent cependant dans des territoires pourtant vieillissants et avec peu de médecins.

Ces orientations résonnent aussi avec les conclusions de certains experts des systèmes et du climat, pour qui il est nécessaire de « dé-spécialiser » nos économies afin de les rendre plus résilientes. Plusieurs secteurs pourraient ainsi s’inspirer de la transformation du système de santé en cours pour rechercher une meilleure articulation entre production et services de proximité et ceux plus spécialisés (ou de recours selon le terme consacré pour la santé), qui n’ont pas vocation à être disponibles partout. Les évolutions du système de santé en cours peuvent être une source d’inspiration pour permettre de structurer la réflexion autour de ces notions pour la production de denrées alimentaires, de biens de consommation, d’énergie, voire de services financiers (emprunts, production de monnaie, assurances…).



[1] https://www.scoresante.org/

[2] https://www.lemonde.fr/blog/petrole/2019/02/04/pic-petrolier-probable-dici-a-2025-selon-lagence-internationale-de-lenergie/

[3] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/masante2022/

[4] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche42.pdf