Sécheresse : "Je crois qu'on n'a pas compris ce qui arrive devant nous", alerte une hydrologue

 

 


Sur franceinfo, Emma Haziza alerte sur le dérèglement climatique qui pourrait bouleverser nos habitudes alimentaires et énergétiques, alors que plusieurs régions françaises souffrent déjà de sécheresse.

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L'hydrologue Emma Haziza sur franceinfo, le 29 mars 2022. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"Je crois qu'on n'a pas compris ce qui arrive devant nous avec ces évolutions de température", alerte mardi sur franceinfo l'hydrologue Emma Haziza, alors que plusieurs régions françaises souffrent déjà de sécheresse. "On n'a surtout pas compris ce que signifie le manque d'eau", lance cette spécialiste de l’adaptation de nos sociétés aux bouleversements climatiques. Selon elle, cette transformation du climat pose à la fois "la question de notre résilience alimentaire" et "la question énergétique".

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franceinfo : Le printemps vient de commencer mais la sécheresse est déjà là dans plusieurs départements, avec parfois des incendies de végétations, quelles sont les régions concernées ?

Emma Haziza : Les principales régions concernées aujourd'hui sont les Pyrénées-Orientales, toute la Provence jusqu'à Nice, et puis le Poitou-Charentes est particulièrement touché. Tout simplement parce que durant la période de recharge hivernale de nos nappes souterraines, il y a eu un déficit de pluviométrie extrêmement important. Si ça ne s'est pas rechargé, toutes les pluies qui arrivent ensuite sont réutilisées par la végétation pour donner cette luxuriante végétation printanière mais cette pluie n'a plus le temps de rejoindre les nappes.

C'est anormal d'observer ce type de sécheresse dès le mois de mars ?

C'est anormal mais cette anormalité devient la normalité. Depuis 2017, on a des sécheresses historiques avec, à chaque fois, une forme de scénario un peu différent mais toujours les mêmes constats : des territoires où un cinquième des cours d'eau ont 40 % de débit en moins que la normale. On peut aller jusqu'à 75% de déficit de pluies dans les Pyrénées-Orientales. Les nappes sont extrêmement basses aussi. Si toutes ces masses d'eau qui sont censées tenir jusqu'à l'été, sont défaillantes dès le mois de mars, ça pose problème. Surtout, le paramètre aggravant c'est qu'à chaque canicule, on a un territoire qui plonge encore plus dans un état de sécheresse. Si on s'oriente vers un été plus chaud et plus sec, ce qui semble être le cas, on risque d'avoir à nouveau une sécheresse historique.

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Est-on certain que c'est le dérèglement climatique qui provoque ces phénomènes ?

Aujourd'hui, il n'y a vraiment plus de doute. Il suffit de regarder l'évolution mondiale des anomalies de températures pour voir que là où ça se réchauffe le plus, c'est l'Europe, l'Amérique du Nord, toute la zone du cercle arctique, surtout au niveau du pôle Nord. Donc, c'est surtout l'hémisphère Nord qui est le plus concerné par ces anomalies de températures. Et c'est difficile de s'adapter quand on est absolument pas prêt. Ceux qui ont l'habitude de subir des températures extrêmes sont capables de trouver des solutions très vite. Pour nous, ce n'est pas encore le cas.

Quelles peuvent-être les conséquences de la sécheresse sur les récoltes cet été ?

La question de notre résilience alimentaire se pose aujourd'hui parce qu'on ne dispose pas d'une agriculture capable de nourrir sa population. C'est le cas chez nous et aussi ailleurs. On a des sécheresses historiques actuellement au Maroc, en Tunisie, au Portugal. Des barrages hydroélectriques sont à l'arrêt depuis plusieurs mois au Portugal. La question de l'eau, c'est aussi une question d'électricité et d'alimentation, c'est un phénomène global. Si on va plus loin, la Chine et d'autres pays comme le Brésil ou le Canada l'année dernière sont soumis à des sécheresses historiques. Les réserves de blé ou d'autres denrées alimentaires qui vont ne pas être possibles sur le sol de chaque territoire, on va aller les chercher ailleurs mais si tout le monde se met à aller le chercher ailleurs, il y a un vrai problème. Notre seule solution est de faire en sorte de réformer notre agriculture pour nourrir notre population en premier lieu.

Est-ce que ce thème est présent dans la campagne présidentielle ?

C'est un sujet majeur mais je ne suis pas sûre de l'avoir beaucoup entendu lors de cette campagne présidentielle. Je l'ai entendu par la voix écologiste. Je crois qu'on n'a pas compris ce qui arrive devant nous avec ces évolutions de température et on n'a surtout pas compris ce que signifie le manque d'eau. Ça concerne à peu près quatre milliards d'êtres humains sur Terre mais nous, nous ne sommes pas habitués à ne pas avoir d'eau dans notre robinet. C'est une question d'énergie puisque la plupart des sources énergétiques s'alimentent en eau, notamment le nucléaire, les barrages hydroélectriques, mais l'eau est aussi nécessaire pour aller chercher du pétrole ou du gaz. Nous avons besoin de quantités d'eau astronomiques donc on voit très bien que se pose la question énergétique.