C’est l’un des sujets les moins médiatisés et pourtant absolument crucial. Les banques réchauffent la planète et continuent de le faire sans jamais avoir de compte à rendre.
La 13e édition du rapport Banking on Climate Chaos vient d’être publiée et les chiffres sont comme chaque année faramineux. Un seul suffit à comprendre l’ampleur du désastre : les banques françaises ont alloué plus de 350 milliards de dollars aux énergies fossiles entre 2016 et 2021, dont 130 milliards aux 100 entreprises développant le plus de nouveaux projets d’énergies fossiles. Tout cela après l’Accord de Paris. C’est un scandale, et le mot est très certainement un euphémisme.
Tout le monde doit s’approprier les chiffres de ce rapport. Aussi bien les activistes climat que toutes les personnes qui ont un compte en banque. L’activité des banques a un impact dramatique sur le climat, la biodiversité, mais aussi sur de nombreux pays et peuples qui souffrent directement et indirectement de leurs activités.
Avant-Propos : contexte et mise en perspective
Avant d’entrer dans le détail des chiffres et des ordres de grandeur, il y a au moins 3 éléments importants à connaître.
Premièrement, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a déclaré en 2021 que « l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050 – auquel 44 des 60 banques concernées par ce rapport se sont engagées – ne nécessite « aucun nouveau champ pétrolier ou gazier« . Aucun signifie AUCUN. Nous allons pourtant constater que les banques ont partout dans le monde massivement soutenu les entreprises qui font le plus pour ouvrir de nouveaux champs pétroliers et gaziers.
Deuxièmement, comme souligné par Welsby & al. , « pour conserver 50% de chance d’arriver à une température de +1.5 °C, 90 % du charbon et 60 % du pétrole et du gaz connus doivent rester dans le sol ». Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il n’y a pas 150 solutions : mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles.
Troisième et dernier point, ce rapport insiste sur notre dépendance aux énergies fossiles dans laquelle les banques ont une responsabilité directe. Cette dépendance est non seulement responsable du changement climatique (rapports du GIEC), mais aussi indirectement de guerres comme récemment en Ukraine. L’expérience nous montre que malgré les annonces en fanfare de neutralité carbone en 2050 faites en 2021, le jeu du business as usual (et donc de l’inaction climatique) a été quasi systématiquement préféré au respect de l’Accord de Paris.
Une chose est désormais certaine : toute banque soutenant une entreprise qui développe les énergies fossiles est à l’origine du chaos climatique.
Comment lire ce rapport ?
Ce rapport présente le financement des banques commerciales et d’investissement pour l’industrie des énergies fossiles, et analyse les 60 plus grandes banques pertinentes du monde en termes d’actifs. Il agrège leurs principaux rôles en matière de prêts et de souscriptions de dettes et d’émissions d’actions.
La majorité du financement bancaire des énergies fossiles a pris la forme de souscription d’obligations et d’actions, et non de prêts. Cela indique une énorme faille pour toute politique bancaire qui ne s’applique qu’au portefeuille de prêts de la banque. Rappelons que leurs engagements de neutralité carbone ne couvrent globalement que le bilan, car leurs obligations sont plus larges : adoption de cibles de décarbonation et baisse d’exposition.
Concernant le périmètre, environ 2 700 filiales de 1 635 sociétés mères sont concernées, chacune ayant reçu un financement dirigé par l’une des 60 banques analysées et qui sont impliquées dans l’extraction, le transport, la transmission, la combustion, le commerce ou le stockage de toute énergie fossile ou d’électricité d’origine fossile.
Passons désormais aux montants…
Des ordres de grandeur criminels
Les chiffres qui vont suivre sont si importants qu’il est difficile d’imaginer ce que cela représente. Ils devront systématiquement être mis en face de chaque promesse, chaque parole des responsables « green », « RSE », « banque d’un monde qui change ». Voici quelques ordres de grandeur choquants du rapport, liste non exhaustive :
- Le financement des énergies fossiles par les 60 plus grandes banques du monde a atteint 4 582 milliards de dollars au cours des six années qui ont suivi l’adoption de l’Accord de Paris.
- Pour la seule année 2021, 742 milliards de dollars de financement des énergies fossiles.
- AUCUNE BAISSE notable des financements en 2021 comparé à 2020, et compte tenu des projets déjà et entreprises déjà financés, il y a un risque que 2022 ne soit pas une année favorable au climat.
- Les banques américaines continuent d’être les pires, avec les quatre premiers financeurs au monde (JPMorgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America), suivis par Morgan Stanley et Goldman Sachs dans le top 14. Ces six banques ont fourni 29 % du financement des énergies fossiles recensé en 2021.
- L’expansion pétrolière et gazière est remarquablement concentrée : les 20 premières entreprises sont responsables de plus de la moitié du développement des ressources et de plus de la moitié des dépenses d’investissement dans l’exploration.
Le classement ci-dessous liste les banques qui ont le plus financé les énergies fossiles depuis 2016 :
Les banques françaises, une honte internationale
Impossible n’est pas Français ! Malgré les centaines d’alertes des scientifiques sur les conséquences mortelles du réchauffement climatique, les grandes banques françaises continuent de jouer un rôle clé dans l’expansion fossile. Depuis la COP21 :
- Elles ont accordé 131 milliards de dollars de financement aux 100 entreprises qui développent le plus de nouveaux projets d’énergies fossiles.
- Elles font de la France le 3e pays à soutenir le plus le développement des énergies fossiles, derrière les États-Unis et la Chine.
- La place de Paris représente le 1er soutien de l’Union européenne à l’industrie des énergies fossiles, et talonne de très près celle de Londres. 87 % de ces capitaux proviennent de seulement 3 banques : BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole.
- Crédit Agricole est le 4ème banquier de Gazprom depuis 2018, et premier de Total
Mention spéciale à BNP Paribas, qui nous fait l’honneur de se distinguer. La banque est le 5e financeur mondial du développement des énergies fossiles, après 4 banques états-uniennes. BRAVO ! Ou plutôt pas bravo, c’est une honte internationale. Seul Bruno Le Maire, ministre de l’économie bloqué en 1970, peut se réjouir d’une telle prouesse.
Notons que BNPP est même première en Arctique, région qui se réchauffe 3 à 4 fois plus vite que le reste de la planète et dont l’évolution inquiète au plus haut niveau les climatologues. Mais que représente la survie d’une partie de l’humanité comparé au profit et à la joie des actionnaires ?
Banques, énergies fossiles et guerres
La Global Oil & Gas Exit montre que le développement des industries pétrolière et gazière est remarquablement concentré : les 20 premières entreprises sont responsables de plus de la moitié des ressources en cours de développement et des dépenses d’exploration de nouvelles réserves. Le soutien des banques à ces entreprises est également remarquablement concentré : les 10 premiers banquiers de ces 20 premières entreprises sont responsables de 63 % du financement des grandes banques de ces entreprises.
Le graphique ci-dessous est remarquable, et montre bien que l’enjeu dépasse celui des banques : il englobe tout le système économique mondial. Vous reconnaitrez des noms d’entreprises qui financent au quotidien des dictatures et parfois des guerres, comme la Russie qui a envahi l’Ukraine il y a désormais plus d’un mois.
TotalEnergies, Gazprom, Saudi Aramco, BP, ExxonMobil, Qatar Energy, PetroChina… que des entreprises bienveillantes qui sont sans aucun doute LA solution au réchauffement climatique, à en croire leurs présidents respectifs qui n’ont cessé de le répéter lors de la COP26. Une hypocrisie mise en lumière plus d’une fois, sans que cela ne crée une réelle indignation générale.
La Banque Postale, seule contre exemple ?
D’après l’Oil and Gas Policy Tracker, aucune banque française n’a mis en place de politique d’exclusion robuste, limitant de manière significative les soutiens aux principales entreprises responsables de l’expansion pétro-gazière. Non seulement les mesures prises par les grandes banques françaises ne couvrent que certaines parties de l’industrie pétrolière et gazière, mais elles n’impactent aucunement les majors du secteur qui prévoient encore des plans d’investissements massifs dans les énergies fossiles, y compris non conventionnelles.
Aucune, sauf La Banque Postale. Il y a quelques mois, la banque a annoncé une politique novatrice qui suspend son soutien à toutes les entreprises qui développent le pétrole et le gaz, et qui engage la banque à abandonner complètement le financement du pétrole et du gaz d’ici 2030. C’est un engagement fort pour une banque dont les actifs s’élèvent à 901,7 milliards de dollars. A suivre bien sûr, les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient.
Dans une moindre mesure, des banques telles que le Crédit Agricole et Nordea Bank ont pris des engagements similaires concernant le charbon. Le Crédit Mutuel a également adopté une politique d’exclusion du financement des promoteurs de mines de charbon, d’usines et d’infrastructures, mais n’a pas encore inscrit sur une liste noire complète les sociétés d’expansion pétrolière et gazière. De biens maigres consolations lorsque l’on connait les ordres de grandeur et les profits engrangés par les 60 banques de ce rapport.
Existe-t-il des solutions ?
Le rapport indique 4 mesures à prendre pour garder une chance de respecter l’Accord de Paris. Celles-ci sont obligatoires si nous souhaitons limiter le réchauffement à +1.5°C :
- Interdire tout financement pour tous les projets d’expansion des énergies fossiles et pour toutes les entreprises qui étendent l’extraction et l’infrastructure des énergies fossiles tout au long de la chaîne de valeur.
- Commencer immédiatement à réduire à zéro tout financement des énergies fossiles, selon un calendrier explicite et aligné sur la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C, en commençant par l’extraction et l’énergie du charbon, ainsi que le financement des projets existants et des entreprises actives dans le pétrole des sables bitumineux, le pétrole et le gaz de l’Arctique, le pétrole et le gaz offshore, le pétrole et le gaz fracturés et le GNL.
- Mesurer, fixer et publier des objectifs pour annuler l’impact climatique absolu de l’ensemble des activités de financement sur un calendrier aligné sur 1,5°C, y compris des objectifs à court, moyen et long terme.
- Interdire tout financement de projets et d’entreprises qui violent les droits humains, y compris les droits des autochtones. Respecter pleinement tous les droits humains, en particulier les droits des peuples autochtones, y compris leurs droits à l’eau et à leurs terres et le droit à un consentement libre, préalable et éclairé, tel qu’énoncé dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Les solutions sont évidentes et connues depuis des décennies. Ce n’est qu’une question de volonté politique. Les dirigeants qui jouent la carte du chantage à l’emploi écologique jouent en réalité le jeu de l’inaction et ne seront probablement plus aux responsabilités pour en assumer les conséquences.
Le mot de la fin
Les dirigeant(e)s des banques du monde entier ont le devoir de faire plus. De faire mieux que des promesses qu’ils ne tiendront jamais, ou de jouer l’avenir de la planète sur des promesses technologiques dans lesquelles ils n’investissent même pas de manière significative. Le devoir moral de ne pas laisser une Terre inhabitable pour une partie de l’humanité dans les années à venir. Si la plupart des décideurs ne seront plus là pour être jugés, pouvoir prendre sa retraite autrement qu’avec 50 degrés l’été en France ne semble pas être l’idée la plus stupide qui soit.
Tous les citoyen(nes) doivent s’approprier les ordres de grandeur de financement des banques aux énergies fossiles et demander des comptes aux banques, y compris les banques françaises qui participent activement au réchauffement de la planète. Aussi, et par conséquent, toute personne qui vient relativiser la nécessaire baisse de financement des énergies fossiles est un ou une ennemi(e) du climat, et a probablement des intérêts à jouer le statu quo.
Le GIEC l’a rappelé dans son dernier rapport : « tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipée en matière d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique manquera une brève occasion, qui se referme rapidement, de garantir un avenir vivable et durable pour tous ».