COP26 : succès pour les uns, condamnation à mort pour les autres

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Les négociations de la COP26 (Conference of the Parties 26) viennent enfin de se terminer ! Deux longues semaines où les discours, les promesses, les négociations se sont entremêlées pour finalement aboutir au Pacte de Glasgow.

Suivre la COP est une expérience enrichissante à tous les niveaux. Lire la source primaire est une chose. Lire ou écouter le traitement médiatique, les discours politiques et les interprétations est souvent une toute autre affaire. Pour Barbara Pompili ou Boris Johnson, cette COP26 est un succès. Pour d’autres, comme les délégués des Iles Marshall, c’est une condamnation à mort. Chacun peut interpréter et interprètera les 11 pages du Pacte de Glasgow comme il ou elle le souhaite, notamment en fonction de ses intérêts respectifs.

L’objectif ici est de donner les principales conclusions de la COP26, avec suffisamment de sources pour que vous puissiez creuser chaque sujet. Je ne reviendrai pas dans cet article sur les objectifs de la COP26 ni sur son organisation minable et tout le greenwashing autour, c’est déjà fait dans cet article !

Préambule : une COP n’est pas là pour sauver le monde

“Ça sert à rien !”, “C’est de la merde” ! “Ils vont rien changer !”. Tout le monde a un avis sur la COP26, même avant qu’elle commence. Il est vrai que la concentration en CO2 semble augmenter sans coup d’arrêt et que les COP n’ont jusqu’à maintenant pas vraiment inversé la tendance.

En revanche, imaginez ce qu’il se se serait passé sans ces COP ? Des Etats et entreprises qui continueraient à faire ce qu’ils veulent, sans aucune contrainte, ni contre pouvoir pour les citoyens ? Les avis étaient les mêmes concernant l’Accord de Paris lors de la COP21, et la conclusion est la même : c’est faux de dire que cela ne sert à rien.

La Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) a un rôle important et aura encore un rôle à jouer dans les décennies à venir. Quelques rappels utiles avant de rentrer dans les détails de cette COP26 :

  • La COP est inclusive (normalement) et permet de mettre tout le monde au même niveau : les Iles Fidji ont donc autant leur mot à dire que les Etats-Unis.
  • Les conclusions finales (ou Accord) sont acceptées unanimement, d’où la difficulté de mettre d’accord 200 parties en même temps.
  • Dans des négociations qui rassemblent autant de pays, une pression des pairs peut s’instaurer. Si un pays est le seul à vouloir annihiler un accord, il sera systématiquement pointé du doigt (comme ce fut le cas ici avec l’Inde et le charbon, nous y reviendrons)
  • Par leur pouvoir de décision, d’autres instances peuvent avoir autant de poids que les COP (OMC, les Accords de libre-échange entre pays, Accords bilatéraux comme lors de la COP26 concernant la déforestation ou le méthane, etc.)
  • Les COP ne peuvent pas tout résoudre. Chaque pays/entreprise/ONG/citoyen(ne), etc. a un rôle à jouer.

Voici une cartographie qui permet d’avoir une vision des pays, alliances et intérêts communs :

Voici une cartographie qui permet d'avoir une vision des pays, alliances et intérêts communs à la COP26
Crédit : Tan Copsey. Alternative sur Carbon Brief

Le diable se cache dans les détails

Si vous n’avez jamais suivi de négociations climatiques, il faut savoir que chaque mot est discuté, disputé, peut faire l’objet de plusieurs heures (voire journées) de négociations. C’est exactement le même principe et poids que le contenu du SPM d’un rapport du GIEC : “chaque phrase validée dans le résumé pour les décideurs (SPM) peut potentiellement avoir un impact de plusieurs milliards pour plusieurs pays“.

Aussi, vous constaterez un écart plus ou moins important entre le premier draft (brouillon) proposé et le résultat final. C’est courant, et parfois très énervant. Vous constaterez ainsi que le mot “urgence” a été retiré dans le titre “Pacte climatique de Glasgow”. Que les journalistes ont passé des heures à débattre pour savoir si le verbe “urges” (exhorter) était plus fort que le verbe “requests” (souhaiter)… Alors qu’on devrait simplement exiger que les Etats baissent leurs émissions de GES.

En d’autres termes, si vous souhaitez comprendre au mieux les négociations climatiques, avoir des connaissances en droit + politique + géopolitique + histoire + climat + manipulation + hypocrisie + détection de mensonges est le strict minimum, sinon, vous risquez de vous y perdre.

Rentrons maintenant en détail dans chaque grand volet de cette COP26.

Vers un monde à +2.4°C ?

Avant le début de la COP26, les engagements des Etats nous menaient vers un monde à +2.7°C. Désormais, suivant les nouvelles promesses (Nationally Determined Contributions, NDC) , nous serions selon Climate Action Tracker :

  • vers une trajectoire à +2.4°C (fourchette +1.9°C à +3.0°C) si les engagements de 2030 sont respectés,
  • vers une trajectoire à 1.8°C (1.5C à 2.6°C) si les engagements de neutralité carbone long terme sont respectés.
les nouvelles promesses (Nationally Determined Contributions, NDC) nous mènent vers un réchauffement de 2.4°C
Source : CAT

C’est toujours très insuffisant, c’est plein de promesses (qui n’engagent à rien puisqu’il n’y a toujours pas de sanction), mais sur le papier, c’est une amélioration.

En outre, l’interprétation des annonces des Etats fut parfois hasardeuse. Par exemple, lorsque l’Inde a annoncé sa neutralité carbone pour 2070, tout le monde s’est quasi unanimement moqué et arrêté sur le “2070”. C’est pourtant plutôt une bonne nouvelle : cela a permis de passer sous la barre symbolique des 2 degrés de réchauffement mondial. Il est tout de même important de rappeler qu’il y a 6 ans lors de la COP21, nous étions plutôt vers une trajectoire de +3.5°C.

Bien sûr, il faut rester prudent à plusieurs niveaux, notamment sur la méthode et prise en compte des NDC. L’Inde a par exemple fait son annonce de neutralité carbone en 2070, mais sans aucun plan précis. On ne sait toujours pas si cela concerne uniquement le CO2 ou tous les GES ! Dans la mesure où les actes ne sont jamais à la hauteur des promesses, il est indispensable d’exiger des précisions quant aux plans d’actions à court terme prévus par les Etats.

De l’optimisme des +1.8°C de l’Agence Internationale de l’Energie au +2.7 degrés que nous risquons d’avoir d’ici la fin du siècle, il y a un monde. Nous pourrons tout de même retenir qu’avec les promesses mises à jour, nous n’avons jamais autant augmenté les chances de réduire le réchauffement bien en dessous de 2°C.

Points d’attention

En ce qui concerne l’atténuation (réduction des émissions), le Pacte de Glasgow demande aux pays d’avoir pour 2022 des engagements de réduction des émissions renforcés. Il est écrit que nous devons réduire les émissions de 45% d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale autour de 2050.

Mais AUCUN pays n’a un plan concret de réduction d’émissions et aligné sur la trajectoire +1.5°C, sans que celui-ci ne soit accompagné d’émissions négatives ou l’accaparement des terres, des forêts ou des océans d’un autre pays. Rappelons-le : sans plan d’actions précis et à court terme, la neutralité carbone en 2050 est un leurre.

Ensuite, concernant la méthodologie “au degré près” : les chiffres exposés ci-dessus ne sont pas aussi simples qu’une infographie. Les résultats sont obtenus grâce à certains modèles, avec certaines hypothèses, et avec certaines incertitudes. Evitons à tout prix le JAITOUTCOMPRISME.

Enfin, un super travail du Washington Post est sorti en pleine COP26, montrant que certains pays publiaient des chiffres erronés de leurs émissions réelles. Philippe Ciais, chercheur au LSCE, souligne que nous pourrions ainsi passer à côté d’un quart des émissions mondiales.

Entre le manque de moyens de certains Etats et la malhonnêteté des autres qui préfèrent ne pas montrer qu’ils sont les plus gros pollueurs de la planète, c’est encore un avertissement qui rappelle que les promesses n’engagent que les personnes qui les croient.

“Phase out”, “phase down”, le charbon dans tous ses états

C’était l’un des objectifs de cette COP26 : programmer la sortie du charbon. Et les politiques ont eu le courage de le faire ! C’est historique ! Enfin, presque.

Il est déjà arrivé dans l’histoire que les énergies fossiles soient évoquées. En 1997 dans le Protocole de Kyoto, puis dans le draft de l’Accord de Paris en 2015, avant que les pays exportateurs (Arabie Saoudite en tête) insistent pour que la mention des “énergies fossiles” soit retirée du texte. A Glasgow, le mot charbon (coal) est resté, mais il faut voir de quelle manière.

Lors des trois derniers jours, le texte a été modifié 4 fois. Nous sommes passés de “accélérer l’élimination progressive du charbon et des subventions aux combustibles fossiles” à “accélérer les efforts en vue de l’abandon progressif de l’électricité produite à partir du charbon et la suppression progressive des subventions inefficaces en faveur des combustibles fossiles“.

COP26 : évolution des négociations sur le charbon
Evolution du Pacte de Glasgow concernant la sortie du charbon

Pour bien comprendre les subtilités :

  • Unabated : dans le cas de la production d’électricité à partir du charbon, on entend généralement par abattement l’utilisation du captage et du stockage du carbone (CSC). Traduction : pas de technologie CSC = pas de nouvelle subvention à un projet de centrale à charbon.
  • Phase out / Phase down : nous sommes passés de “sortir” à “réduire progressivement”. Aucune ambiguïté ici, c’est un mini scandale, compte tenu de l’impact du charbon dans le changement climatique.
  • Inefficient” : inefficace ? Mais qui décide que c’est inefficace ? Et selon quels critères ?
  • Pas de date ? Oui, pas de date. Mais ce genre de décision a tout de même une influence : ça commence à sentir mauvais pour le charbon, et les acteurs financiers prendront ce genre de décisions en compte avant d’aligner des milliards dans de nouveaux projets.

Précision nécessaire : les centrales à charbon et le CSC, historiquement, c’est pas vraiment une histoire qui roule (2 documents à lire ici, et ici). Mais si cela permet de justifier l’injustifiable à certains, pourquoi pas.

L’Inde pointée du doigt.. à juste titre ?

La presse occidentale a immédiatement et quasi unanimement pointé du doigt l’Inde (et la Chine) pour avoir changé à la dernière minute les termes du Pacte de Glasgow. C’est le jeu des négociations climatiques : tout le monde doit être d’accord, et les négociateurs l’ont bien compris. “Soit vous acceptez de passer de “phase out” à “phase down”, soit on ne signe pas, et c’est un échec retentissant pour votre mandat“. Comme toujours, c’est un peu plus compliqué que cela.

Ce sont les États-Unis et la Chine qui ont été les premiers à utiliser le terme “réduction progressive” dans leur accord bilatéral sur le climat, adopté en grande pompe au milieu de la COP26. Dans le final de cette COP, qui a duré plus d’une heure dans la salle plénière, la Chine a déclaré qu’elle souhaitait que le texte sur la réduction de l’utilisation du charbon soit plus proche de celui qu’elle avait accepté dans une déclaration commune avec les États-Unis.

Négociations de dernière minute entre John Kerry et Xie Zhenhua, envoyés spéciaux de leurs pays respectifs pour le climat  à la COP26
Négociations de dernière minute entre John Kerry et Xie Zhenhua, envoyés spéciaux de leurs pays respectifs pour le climat

Mais c’est à l’Inde qu’il est revenu de préciser le changement de dernière minute. Au lieu de convenir d’une “élimination progressive” de l’énergie au charbon, le ministre indien de l’environnement, Bhupender Yadav, a lu une nouvelle version du paragraphe qui utilise le terme “réduction progressive” pour décrire ce qui doit arriver à l’utilisation du charbon. Cette formulation a par la suite été retenue dans le texte final approuvé par près de 200 nations.

Même si plusieurs pays, dont la Suisse et les Iles Marshall, se sont immédiatement plaints du fait que d’autres délégations avaient été bloquées pour rouvrir le texte, l’Inde et ses compagnons de route ont obtenu gain de cause. COP inclusive, je vous dis.

Le monde brûle, et nous regardons l’Inde…

Voir la presse occidentale pointer du doigt l’Inde depuis quelques jours sans faire son auto-critique est assez révélateur. Pourquoi accuser l’Inde de tous les maux, alors qu’ils ont des émissions par habitant très faibles, une dépendance régionale très forte au charbon (70%+ de son électricité).. et qu’une partie de son charbon est notamment importé de Chine ?

Crédit : Glen Peters

De plus, fustiger l’Inde de la sorte alors qu’ils ne sont responsables que de 3% des émissions historiques, venant des Etats-Unis et de l’Europe, c’est pour le moins… culotté. Surtout lorsque ces mêmes pays refusent d’apporter l’aide financière nécessaire aux pays en voie de développement, dont l’Inde.

Nous pourrions surtout souligner deux autres points importants. Premièrement, comme l’a fait remarquer Arnaud Gossement, avec ou sans l’amendement indien, “il s’agit d’une obligation de moyen très générale, exprimée dans une décision sans valeur juridique directe et valable pour les seuls projets sans CSC et sans calendrier“. Deuxièmement, pourquoi tant d’attention portée sur “phase down” vs “phase out” sur le charbon, et pas sur toutes les énergies fossiles ? Serait-ce parce que les donneurs de leçons ne pourraient plus vraiment donner des leçons ?

Et le pétrole ? Et le Gaz ?

Un enfant de 10 ans est capable de comprendre que pour mettre fin au réchauffement climatique, il faut sortir progressivement des énergies fossiles. Ce n’est pas le cas des négociateurs de la COP26, qui visiblement n’ont pas pu écrire les mots “pétrole” ou “gaz” dans le Pacte de Glasgow. Ce n’est bien sûr pas par ignorance : c’est voulu depuis plus de 20 ans.

Il a par ailleurs fallu attendre la fin de la COP26 pour que la France rejoigne 39 pays dans un accord mettant fin aux financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone d’ici à la fin 2022. On estime que cela représente environ 15 milliards de dollars.

La deuxième semaine de négociations a vu également naître l’Alliance BOGA, pour “Beyond Oil and Gas” (“après le pétrole et le gaz”), qui réunit une dizaine de pays, dont la France. Beaucoup de bruit autour de cette annonce. En regardant en détail, les membres représentent à peine 1% de la production mondiale de pétrole…

Le gouvernement Macron, condamné pour inaction climatique, a fait preuve de son habituel “en même temps” tout au long de cette COP. L’exemple le plus frappant est l’annonce de Barbara Pompili déclarant à la presse française que la France rejoint la coalition qui met fin aux subventions publiques aux énergies fossiles à l’étranger d’ici à fin 2022. Super nouvelle ! Avant d’avoir un peu plus de détails dans les heures qui suivent :

Il faudra donc s’assurer que l’annonce du gouvernement s’inscrive bien dans la loi française, et de quelle façon. Rappelons également que cela n’engage que les subventions publiques. Les banques françaises peuvent continuer à subventionner les énergies fossiles sans pour l’instant être trop inquiétées, à coup de dizaines de milliards chaque année.

Malheureusement, la France n’est pas la seule à faire du “en même temps”. L’Union Européenne, en pleine COP26, a donné son aval à 30 projets gaziers pour un montant total de 13 milliards d’euros. Ça valait le coup de pointer du doigt l’Inde, non ?

Conclusion : c’est sans aucun doute un échec de ne pas mentionner le gaz et pétrole à l’écrit, même si c’est bien plus difficile à dire qu’à faire. De ne toujours pas mentionner une seule fois l’Energy Charter Threaty, qui est pourtant un immense blocage pour respecter nos engagements climatiques, est également problématique. De quoi ravir les 503 lobbyistes des industries fossiles à la COP26, sûrement là pour s’assurer que les négociations se passent bien.

Le méthane est enfin mentionné

Le méthane était l’un des principaux enjeux de cette COP26, le GIEC ayant mis l’accent dessus lors de son dernier rapport en août dernier. Il est enfin mentionné à l’écrit, et c’est une première historique.

Outre sa mention dans le Pacte de Glasgow, le Global Methane Pledge a officiellement été lancé, suivi par 109 pays qui se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30% d’ici à 2030 par rapport à 2020. C’est également une bonne nouvelle, même si certains pays très importants manquent à l’appel, dont la Russie. Pour rappel, il faudrait une baisse de 50% des émissions mondiales de méthane pour réduire le réchauffement mondial d’environ 0.2°C d’ici 2050.

Le graphique montre l’avantage en termes d’atténuation des réductions d’émissions de méthane (lignes rouges) et l’avantage supplémentaire pour le climat de l’élimination progressive du charbon d’ici à 2040, en plus d’un engagement de réduction de 30 % du méthane (lignes noires). Les réductions d’émissions de méthane sont appliquées linéairement sur la période 2020-30.
Source : Piers Forster

Ces informations confirment par ailleurs que nous avons bel et bien notre avenir climatique entre nos mains et que si inertie il y a, elle est avant tout politique. A nouveau, quasiment aucun détail n’est donné sur le plan d’actions pour mener à bien ces objectifs. Il est indispensable que les pays donnent des détails et soient transparents sur les méthodes de calculs utilisées.

Les 100 milliards passent encore à la trappe

C’était l’un des objectifs indispensables à atteindre pour considérer cette COP26 comme un succès : financer les Etats en voie de développement à hauteur de 100 milliards par an. C’est prévu depuis 2009, et les pays ‘riches’ n’ont encore une fois pas réussi à se mettre d’accord pendant les deux semaines de négociations :

Ce ne sont pas les “profonds regrets” qui rattraperont ce scandale. Cette aide annuelle de 100 milliards est prévue depuis 2009, et cela n’a jamais été le cas jusqu’à maintenant. Pour rappel, ces pays auront besoin de trillions de dollars pour financer l’atténuation et l’adaptation. L’argumentaire officiel pour se défendre est assez pitoyable. C’est inexcusable, injustifiable.

Comment expliquer à ces pays qu’il n’y a pas d’argent, alors que l’argent magique est arrivé par centaines de milliards depuis que la Covid a menacé nos économies en janvier 2020 ? La Covid serait une plus grande menace que le changement climatique peut-être ? Espérons que les pays du Nord arrivent à retrouver les 11 000 milliards de fraude fiscale des Pandora Papers…

En attendant, les pays sont “exhortés” à fournir l’aide des 100 milliards urgemment jusqu’en 2025, sans qu’aucune compensation pour le manquer à gagner ne soit stipulée.

Pertes et dommages

On considère les Loss and Damage (Pertes et dommages) comme le 3ème volet important du changement climatique, après l’atténuation et l’adaptation. C’est un point important demandé par de nombreux pays qui sont déjà impactés par le changement climatique, et qui exigent réparation des aléas climatiques pour lesquels il est impossible de s’adapter. Les montants demandés sont totalement justifiés, faisant écho à la justice climatique : les pays les plus émetteurs doivent payer pour les dégâts qu’ils provoquent et provoqueront.

Le réseau de Santiago (Santiago network) avait été créé lors de la COP25 à Madrid, avec des liens vers des organisations qui pourraient soutenir les pertes et dommages. Il était attendu une action forte lors de cette COP26 et comme à leur habitude, les pays riches ont échoué.

Pourtant, une proposition de création d’un “Glasgow Loss and Damage Facility” a été soumise par les 138 pays en développement, représentant 5 milliards de personnes. C’était même prévu dans le draft du Pacte de Glasgow, avant que cela ne soit retiré du texte final par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Source : Pacte de Glasgow

Les Etats demandaient des milliards, ils auront finalement quelques millions, et “un dialogue”. A mettre en parallèle bien sûr avec les voyages de plusieurs dizaines de millions de dollars de Jeff Bezos et Richard Branson qui s’envolent dans l’espace. #COPinclusive.

NB : nous le savons, c’est le cadre de l’Accord de Paris que des entreprises et Etats ont pu être attaqués en justice (dont le gouvernement Macron, condamné pour inaction climatique). Admettre qu’il y a des dégâts irréversibles pour les pays riches, c’est également ouvrir la porte à des procès et réclamations des pays qui subissent les aléas climatiques…

Fin de la déforestation en 2030 : bonne nouvelle ?

Le 2 novembre, plus d’une centaine de pays se sont engagés à faire en sorte que la déforestation soit totalement stoppée sur la planète à l’horizon 2030. Plus de 10 milliards d’euros d’argent public et près de 6 milliards d’argent privé seraient prévus sur la période 2021-2025.

Cependant, il y a encore une fois de quoi être sur la réserve lors de ces annonces. Ces engagements font écho à la déclaration de New York sur les forêts et sont non contraignants. Les Etats vont-ils vraiment mettre des plans d’action contre la déforestation dans les années à venir ? Peut-on croire que Bolsonaro, même s’il le souhaitait, pourrait effectuer un revirement total de sa politique, lorsque l’on sait que c’est tout le système économique de la déforestation en Amazonie qui est corrompu ?

Le chercheur François-Michel Le Tourneau nous donne également quelques précisions et ordres de grandeur intéressants concernant les montants alloués :

Pour s’en rendre compte, on peut proposer deux comparaisons. La première est l’effort de la France pour lutter contre l’orpaillage clandestin en Guyane, qui s’élève à 70 millions d’euros par an. Si un effort équivalent devait être consenti pour l’Amazonie brésilienne, qui est 50 fois plus grande, il faudrait 3,5 milliards d’euros chaque année, soit plus que la dotation proposée à Glasgow pour toutes les forêts du monde. On le voit, ces fonds ne suffiront pas si l’on veut attaquer la question au plan global.

En second lieu, l’ONG Global Witness a mené une investigation dont il ressort que les institutions financières internationales ont investi plus de 157 milliards de dollars dans des entreprises liées à la déforestation entre 2016 et 2020. Soit au moins dix fois plus en montant annuel que l’engagement de Glasgow..

Comme pour les autres annonces, il faudra suivre dans les prochains mois les actes des pays signataires pour vérifier si les promesses seront transformées en réalité sur le terrain.

Marchés carbone : enfin un accord sur l’article 6

Après plus de quatre ans de négociations, les pays ont finalement conclu un accord sur l’article 6 de l’Accord de Paris, qui porte sur la coopération internationale, notamment via les marchés carbone. Obtenir un consensus sur cet article est extrêmement difficile tellement les intérêts sont divers et variés. Des modifications ont eu lieu jusqu’au dernier jour, où les intérêts financiers de plusieurs milliards de dollars pouvaient faire capoter l’accord.

Un article dédié sera publié sur Bon Pote car il est impossible de comprendre les tenants et aboutissants en quelques lignes. Voici tout de même les principaux points à retenir :

  • L’Article 6 est le moteur de la coopération internationale de l’Accord de Paris. Il est vital car les pays peuvent réduire les émissions plus rapidement et avec bien plus de résultats en coopérant que seuls.
  • L’accord porte sur la manière dont les pays collaborent pour réduire leurs émissions et peuvent échanger ces efforts entre eux, voire vendre les crédits à des entreprises.
  • Qui dit compensation dit moyen pour les Etats et entreprises les plus émetteurs de continuer à émettre autant sans vraiment faire d’effort d’atténuation. Ce point d’attention est connu depuis l’Accord de Paris.
  • En ce qui concerne les marchés carbone, qui permettent aux pays riches d’acheter des “compensations” (comme la plantation d’arbres) pour éviter le coût de la réduction des émissions, l’accord comble tout de même certaines lacunes. Il prévoit notamment des règles d’intégrité environnementale légèrement plus strictes et une certaine protection des populations autochtones.
  • Il n’y a qu’une annulation partielle des crédits laissés par l’ancien protocole de Kyoto, et un plafonnement partiel des nouveaux crédits. Cela signifie que des crédits carbone obtenus depuis 2013 pourront être réutilisés via l’Accord de Paris, pour un total atteignant jusqu’à 320 millions de tonnes de CO2e…

L’immense majorité des ONGs a dénoncé les risques de greenwashing de cet accord, qui risque de servir d’alibi aux Etats et entreprises qui joueront sur la neutralité carbone. Pourquoi réduire ses émissions lorsque l’on peut compenser à bas prix ?

Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article de Carbon Brief ou ce résumé en français de Thomas Baïetto.

Sans oublier…

Le Pacte de Glasgow ne fait peut-être qu’une dizaine de pages mais des dizaines de pages pourraient être écrites sur chaque point pour décrypter la complexité des négociations et des conséquences engendrées. D’autres moments ont aussi marqué ces deux semaines et sont parfois un peu passés sous le radar médiatique.

Premièrement, l’effort de transparence demandé aux Etats (Transparency). A partir de 2024, le cadre pour publier ses promesses (NDC) sera beaucoup plus strict, et les Etats auront des calendriers et des formats communs. Cela signifie que tout le monde pourra voir ce que les autres pays font. Si les chiffres sont publiés correctement, les promesses en l’air devraient faire un peu moins sensation dans les années à venir.

Deuxièmement, plusieurs scientifiques ont salué que les conclusions des rapports du GIEC figurent pour la première fois dans un texte. Le point 3 ci-dessous met l’accent sur le fait que le réchauffement climatique n’est pas pour 2050, mais a déjà des effets bien présents à seulement +1.1°C de réchauffement mondial. Espérons que les limites physiques soient un peu plus prises en compte que le bla-bla-bla habituel des Etats qui ont bien trop tendance à se cacher derrière le greenwashing.

Mention des travaux du GIEC dans le pacte de Glasgow - COP26
Source : Pacte de Glasgow

Certaines informations ont en revanche fait beaucoup (trop) de bruit, comme “l’Accord entre la Chine et les Etats-Unis”. Une première ! Ce n’est malheureusement pas un accord, mais plutôt une simple déclaration, qui n’est d’ailleurs pas une première : les deux Etats avaient produit une déclaration semblable avant la COP21.

Il y a également eu des milliers de réactions à la suite du discours final d’Alok Sharma, président de la COP26, qui retenait ses larmes à la clôture de cette COP26 :

Ses larmes étaient très certainement sincères : une pression mondiale pendant deux semaines, peu de repos, des négociations éreintantes… Un sentiment d’humanité qui contraste légèrement avec ses décisions prises au Royaume-Uni pour bloquer de nombreuses lois pour lutter contre le changement climatique. Vraiment hâte qu’Emmanuel Macron se mette à pleurer pour la planète et qu’on fasse le bilan de son quinquennat !

Alors cette COP26, succès ou échec ?

Chacun(e) aura son avis sur cette COP26. Un succès sans précédent pour les un(e)s, un échec monumental pour les autres. Cette COP a apporté quelques bonnes nouvelles, mais aussi de très mauvaises. En pleine urgence climatique, tout ce qui ne prévoit pas de sortie progressive des énergies fossiles est par essence insuffisant et criminel.

Que les pays riches ne soient toujours pas parvenus à financer les 100 milliards annuels prévus depuis 12 ans est un vrai scandale, au même titre que le montant ridicule prévu pour les ‘pertes et dommages’. Cette COP26 était tout sauf inclusive, et ce sont encore les intérêts d’une minorité de pays qui ont dominé les intérêts d’une majorité des habitants de la planète. Certains pays n’ont d’ailleurs même pas attendu une semaine pour laisser entendre qu’ils ne respecteraient pas leurs promesses émises lors de la COP26… Surprenant non ?

Il ne faut pas attendre de miracles venant d’une COP et bien comprendre que la majorité des solutions viendront d’ailleurs, notamment de la mobilisation citoyenne. Il faut continuer à actionner tous les leviers possibles pour lutter contre le changement climatique, à tous les niveaux de nos sociétés. Les paris sont pris : ce ne sont ni la COP27 à Charm el-Cheikh ni la COP28 aux Emirats Arabes Unis qui mettront en place un plan de sortie progressive des énergies fossiles.