Neutralité carbone : l'Ademe écrit quatre récits possibles pour la France d'ici à 2050

 

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 30 novembre 2021    

Après négaWatt et RTE, c'est au tour de l'Agence de la transition écologique d'offrir sa vision de la France en 2050. Déclinée en quatre scénarios, plus ou moins sobres, elle ne s'arrête pas seulement au mix énergétique.

Les quatre scénarios de l'Ademe mettent en scène la société française dans trente ans.

« La neutralité carbone n'est pas qu'un sujet énergétique, a insisté Arnaud Leroy, président de l'Agence de la transition écologique (Ademe), ce mardi 30 novembre, en préambule de la présentation du rapport « Transition(s) 2050(1) ». C'est une erreur magistrale de ne s'arrêter qu'à cela et, à l'inverse, c'est l'atout de notre rapport face aux autres scénarios publiés à ce sujet. » Tout autant attendu que les rapports de RTE ou de l'association négaWatt sur le mix énergétique français, l'étude de l'Ademe délivre, à son tour, une vision prospective pour atteindre la neutralité carbone en France d'ici à 2050.

Déclinée en quatre scénarios ou « récits », plus ou moins sobres, cette analyse se place néanmoins en complémentarité avec les travaux précédents, se focalisant davantage sur le sujet de la transition sociétale que simplement énergétique. L'Ademe prévoit toutefois d'aborder la question du mix électrique, dans un rapport additionnel à paraître fin janvier 2022, ainsi que l'impact macro-économique de chaque scénario élaboré – dont « les résultats préliminaires sont plutôt positifs », affirme Arnaud Leroy – d'ici à fin mars 2022. En outre, une analyse étendue en dehors des limites de la France métropolitaine sera aussi proposée dans un second temps.

Penser le futur de la société

Durant ses deux années de travaux, l'Ademe et ses collaborateurs se sont basés sur le rapport du Giec de 2018, établissant plusieurs tendances possibles de l'augmentation de la température mondiale, ainsi que sur les objectifs fixés par la loi Énergie-climat et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). S'appuyant sur ce cadre d'analyse, ils en ont tiré quatre scénarios possibles (S1 à S4) à mettre en scène par la société française dans moins de trente ans.

Parmi les points qu'ont en commun chaque « récit », chacun réduit, avec plus ou moins d'efforts, les émissions résiduelles de gaz à effet de serre : d'un facteur six ou sept, par rapport à aujourd'hui, dans les trois premiers, et d'un facteur quatre, dans le quatrième. Ce dernier ne s'avère néanmoins pas compatible avec la SNBC, à quelques années près, tandis que seuls les deux premiers scénarios (S1 et S2) réussissent à remplir l'objectif de réduction nouvellement imposé par le paquet européen « Fit-for-55 » d'ici à 2030.

La consommation énergétique oscille entre une baisse de 25 à 55 % selon les scénarios – avec, notamment, une chute de 70 % dans le secteur des transports dans le scénario S1. Par ailleurs, quel que soit le type d'énergies produites (électricité, chaleur, gaz, etc.), l'Ademe compte sur 70 à 88 % d'énergies renouvelables dans le mix énergétique 2050. Pour cela, elle envisage notamment une augmentation de 30 à 40 % de la production de bois-énergie, par rapport à 2015, ainsi qu'une hausse de 80 % de la part de gaz décarboné (à mettre en perspective avec une réduction d'un facteur trois de la consommation de gaz naturel).

Où positionner le curseur de la sobriété ?

Le premier scénario, intitulé « génération frugale » (ou S1), est le plus sobre de tous. « La sobriété heurte le mode de pensée dominant du consumérisme, étaye l'Ademe dans son rapport. Ce qui semble une privation pour une génération ou un individu peut au contraire apparaître comme une évidence pour un autre. Il faut trouver un consensus social et modifier les imaginaires. » Le niveau de sobriété de ce S1 se traduit par une réduction de 55 % de la consommation énergétique finale mesurée en 2015, l'année symbolique de l'Accord de Paris. Cela représente une division par deux par rapport au niveau actuel : 790 térawattheures par an (TWh/an) contre environ 1 600 TWh/an.

“ Il faut trouver un consensus social et modifier les imaginaires ” Ademe
Pour y parvenir, l'Ademe préconise notamment de diviser par trois la consommation de viande, d'effectuer la moitié des trajets à vélo ou à pied, mais également de rénover 80 % du parc immobilier en bâtiments basse consommation (BBC) « en une étape ». Cette modification drastique des modes de vie passe aussi par une mobilisation importante des puits naturels de carbone, comme les forêts. En 2050, la France serait ainsi capable de réaliser un bilan carbone négatif, de - 42 millions de tonnes d'équivalent CO2 par an (MtCO2eq/an) contre 401 MtCO2eq/an en 2015.

Peu éloigné du S1, le scénario « coopérations territoriales » (S2) atténue légèrement cette transformation. La population française consomme moins de viande (mais suivant une division par deux) et habite autant de logements rénovés (mais selon une mobilisation individuelle, « par gestes »). Les villes moyennes sont préférées aux grandes agglomérations et deviennent des « villes du quart d'heure », dominées par les transports en commun. Du fait de cette plus grande insistance sur les circuits de proximité, le transport de marchandises observe une diminution de 35 % de la tonne-kilomètre. De plus, conjugué à un effort de « réindustrialisation dans les territoires », le S2 compte sur un recyclage des matières (acier, aluminium, plastique, carton, etc.) à hauteur de 80 %.

La consommation énergétique finale s'en trouve à peine plus élevée : 833 TWh/an. Quant au bilan carbone, la France resterait dans le négatif avec - 28 MtCO2eq/an, notamment grâce à l'équipement en captage du carbone de quelques usines très émettrices (comme les cimenteries).

La technologie comme planche de salut ?

Le scénario S3, ou « technologies vertes », table sur une optimisation des performances dans tous les secteurs sans modifier radicalement les comportements. La filière agricole, notamment, exploite davantage la biomasse, mobilisant des cultures énergétiques pour la méthanisation ou la production de biocarburants au détriment des puits de carbone forestiers. Par conséquent, une plus grande part du secteur industriel s'équipe en technologies de captage du carbone – même des unités moyennes de bioraffinerie, par exemple – ou fait appel à de l'hydrogène décarboné « en grande partie importé ». Pour être rénovées, les grandes villes sont « déconstruites puis reconstruites à la manière haussmannienne ».

L'électrification du parc automobile finit par augmenter le transport par personne de 13 % en kilomètres parcourus, par rapport à 2015. Malgré tout, les carburants fossiles comptent encore pour 10 % dans ce secteur. Et la société s'appuyant majoritairement sur le numérique, la demande énergétique des centres de données décuple par rapport à celle évaluée en 2020. En somme, selon ce S3, la consommation énergétique finale atteint 1074 TWh/an et le bilan carbone - 9 MtCO2eq/an.

Réparer pour moins changer

Enfin, le scénario S4, nommé « pari réparateur », reste celui qui se rapproche le plus de ce que l'Ademe qualifie de « scénario tendanciel » : à savoir, la version de l'histoire dans laquelle la société française n'opérerait aucun changement majeur jusqu'en 2050. En d'autres termes, ce scénario « témoin » nous enverrait « dans le mur, selon Valérie Quiniou, directrice exécutive prospective et recherche de l'Ademe. Il serait responsable de l'émission de 130 MtCO2eq/an en 2050 et serait donc loin d'atteindre la neutralité carbone. » Le bilan carbone du S4, lui, s'en approche mais avec un certain retard : + 1 MtCO2eq/an.

Le S4 mise en effet davantage sur des technologies de captage du carbone. Grâce aux techniques de bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS), la France serait ainsi capable de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 29 MtCO2eq/an. En parallèle, l'utilisation de moyens de captage du carbone directement dans l'atmosphère (DACCS) parviendrait à éviter l'émission de 27 MtCO2eq/an supplémentaires.

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Néanmoins, ces technologies représenteraient non seulement 6 % de la consommation d'électricité mais restent, encore aujourd'hui, très « immatures ». « La mise en place de telles technologies n'interviendra qu'à partir de 2040, souligne David Marshal, directeur exécutif adjoint de l'expertise et des programmes de l'Ademe. Cela signifie qu'entre 2020 et 2050, la France continuerait d'émettre jusqu'à deux milliards de tonnes de CO2 et reculerait de cinq ans l'objectif de neutralité carbone. »

Une telle éventualité – traduite par la consommation de 1 360 TWh/an – est alimentée par une exploitation à des fins seulement énergétiques des trois quarts de la biomasse non alimentaire ou encore un usage renforcé de la domotique, au détriment de la rénovation, pour optimiser la demande énergétique des bâtiments. Le numérique optimise, en outre, le parc automobile connecté, lequel est responsable d'une augmentation de 28 % des distances parcourues. En contrepartie, l'industrie s'aide très fortement du recyclage des matériaux et des technologies de captage du carbone.

Question de société, choix de société

« Il faut choisir sans attendre, en conclut Valérie Quiniou. La France doit rester à l'avant-garde en matière de climat. Par cet exercice, nous souhaitons prendre notre part de responsabilités et permettre à d'autres pays en voie de développement un sursis pour se mettre sur la bonne trajectoire climatique. ». Mais pour prendre cette responsabilité, il faut d'abord qu'elle puisse faire consensus au sein de la société française. Pour cela, le président de l'Ademe compte sur l'intégration de ces travaux dans les débats démocratiques à venir. « La décennie 2020-2030 est cruciale pour nous mettre sur les rails de la neutralité carbone, insiste Arnaud Leroy. Pour cela, une forte mobilisation financière doit déjà être mise en œuvre, au moins dans le quinquennat qui va s'ouvrir. Plus on tardera, plus cela sera cher, c'est de la théorie économique qu'il faut rappeler à nos citoyens. »

Félix Gouty

1/ Télécharger la synthèse du rapport de l'Ademe

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