Taxonomie. Deux groupes d’experts émettent un avis favorable sur le nucléaire

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 EN DIRECT 06.07.2021

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Taxonomie,
Nucléaire en Europe,
Transition énergétique
Maruan Basic (Sfen) - Crédit photo ©Shutterstock

Le 2 juillet 2021, un nouvel épisode est venu s’ajouter dans le feuilleton bruxellois autour du projet de taxonomie, le classement européen des investissements verts. Deux groupes d’experts confirment, dans l'ensemble, les conclusions du Centre commun de recherche (CCR) de mars 2021 qui vise à inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie européenne via un nouvel acte délégué.

C’est une saga qui nécessite d’avoir tous les épisodes en tête pour ne pas s’y perdre. En 2018, sous l’ancienne mandature européenne déjà, la Commission européenne (CE) s’était engagée à établir un label européen des investissements verts (taxonomie). Concrètement ce label vise à définir les activités considérées comme durables dans chaque secteur donné. 70 secteurs sont concernés dans des domaines aussi diversifiés que l'énergie, la sylviculture, l'industrie manufacturière, les transports, la construction, etc.

Pour établir cette classification, la Commission avait mandaté un premier groupe d’experts techniques sur la finance durable[1] (le TEG, Technical expert group) qui avait rendu ses conclusions en mars 2020. Le TEG a conclu que la contribution du nucléaire à la lutte contre le changement climatique était indéniable mais que, à ce stade, « les faits concernant l'énergie nucléaire étaient complexes et plus difficiles à évaluer dans le cadre de la taxonomie » en ce qui concerne les impacts potentiels sur d’autres objectifs environnementaux (biodiversité, préservation des milieux…). Il a donc recommandé que des travaux techniques plus poussés soient entrepris, par des experts ayant une bonne connaissance du cycle de vie (ACV), sur le critère du « non-préjudice significatif à l’environnement » (Do No Significant Harm, DNSH). La Commission a donc demandé au Centre commun de recherche (CCR)[2] de rédiger un rapport technique sur ce critère.

En mars 2021, un an après le rapport du TEG, le CCR rendait à son tour sa copie. Les conclusions sont sans ambiguïté « [l’analyse] n'a révélé aucune preuve scientifique que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie ».

Sur cette base, deux groupes d’experts de la Commission européenne ont eu pour mission d’analyser les travaux du CCR. Il s’agit du groupe d'experts de l'article 31 du Traité Euratom[3] et le Comité scientifique sur la santé, l'environnement et les risques émergents (SCHEER)[4].

Les groupes d’experts confirment les conclusions du CCR

Le 2 juillet, les deux nouvelles expertises viennent, dans l’ensemble, corroborer les études précédentes.

« Le groupe d’experts de l’Article 31 étant composé d'experts indépendants en radioprotection et en santé publique, nous trouvons leurs conclusions très rassurantes », déclare Yves Desbazeille, directeur général de FORATOM[5]. « Par exemple, selon leur analyse, le cadre juridique européen existant offre une protection adéquate en termes de santé publique et d'environnement dans l'UE. Pour les activités hors d'Europe, ils constatent que les normes internationales offrent un niveau de protection comparable ».

En outre, les experts de l'article 31 confirment le point de vue du CCR selon lequel le stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde est une solution appropriée et sûre pour la gestion des déchets de haute activité, en rappelant que la technologie est déjà disponible aujourd'hui.

L'avis du SCHEER est en général conforme avec le CCR en ce qui concerne les impacts non radiologiques du nucléaire et le fait qu'il ne représente pas un « dommage inévitable » pour la santé humaine et l'environnement, bien qu'il note que certaines informations peuvent faire défaut.

« Le SCHEER s'est interrogé sur la question de savoir si l'évaluation du nucléaire sur la base des critères existants de la taxonomie est suffisante pour démontrer qu'il ne « fait aucun dommage significatif » ajoute M. Desbazeille « Sans entrer dans le détail de cette requête, il est important de garder à l'esprit que la taxonomie appelle au maintien de la neutralité technologique. En tant que tel, le CCR a évalué le nucléaire conformément aux critères de taxonomie. Si une évaluation plus approfondie est nécessaire, elle devrait alors s'appliquer à toutes les technologies de la taxonomie, et pas seulement au nucléaire ».

Offensive allemande et nouvel acte délégué

Un groupe de cinq États membres de l'UE, emmenés par l'Allemagne, a envoyé une lettre à la Commission européenne fin juin demandant que l'énergie nucléaire soit exclue de la taxonomie.

La lettre[6], que le média européen Euractiv a pu se procurer, est signée par les ministres de l'environnement, ou de l'énergie, d'Autriche, du Danemark, d'Allemagne, du Luxembourg et d'Espagne. Tous soulignent, selon eux, des « lacunes » dans le rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne.

Pour autant, la Commission avait annoncé dès l’année dernière que la question du nucléaire sera traitée « sur la base d’une expertise scientifique » à travers la procédure des actes délégués. Dit autrement, la Commission décidera d’élargir le label vert européen à l’énergie nucléaire selon les conclusions des différents rapports scientifiques qu’elle a commandé, en premier lieu celui du CCR. En tout état de cause, et même si la date n’est pas encore annoncée, la Commission devrait décider d’inclure l’énergie nucléaire au travers d’un nouvel acte délégué maintenant que le CCR, et les deux nouvelles expertises de l’Article 31 et du SCHEER, ont donné leur feu vert.

Le 8 juillet 2021, 87 parlementaires européens ont appelé la Commission européenne à suivre les recommandations des comités scientifiques et d'inclure le nucléaire dans la taxonomie européenne des investissements verts. Faire de l’Union européenne une économie climatiquement neutre d'ici 2050 nécessitera des investissements conséquents dans les technologies énergétiques propres. Selon les estimations de la Commission européenne en 2020, 260 milliards d'euros d'investissements annuels supplémentaires sont nécessaires pour atteindre l’objectif intermédiaire de réduction des gaz à effet de serre de 40 % d'ici 2030, un objectif réhaussé depuis à 55 %. Dans cette perspective, l’énergie nucléaire apparait comme l’atout indispensable, aux côtés des énergies renouvelables, pour gagner la bataille du climat.

[1] https://ec.europa.eu/info/publications/sustainable-finance-technical-exp...

[2] Joint Research Centre (JCR) en anglais.

[3]https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/business_economy_euro/bank...

[4]https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/business_economy_euro/bank...

[5] https://www.foratom.org/press-release/sustainable-finance-taxonomy-exper...

[6] https://www.euractiv.com/wp-content/uploads/sites/2/2021/07/Joint-minist...