La sobriété, un allié de la transition écologique des territoires

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16 juillet 2021    

Et si la sobriété pouvait aider les territoires à réaliser leur transition écologique ? C'est ce que propose l'Ademe qui cherche à s'éloigner des clichés pour relever le défi de l'adaptation au changement climatique.

Si au village elle a mauvaise réputation, c'est surtout parce qu'elle véhicule des images négatives d'austérité et de privation. Dans l'imaginaire commun, la sobriété, ce n'est pas fun. Et pourtant, l'idée d'une société plus sobre fait doucement son chemin. Aujourd'hui, dans un contexte de ressources limitées et de changement global, elle pourrait prendre un nouveau sens.

" La sobriété consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l'environnement. Elle doit nous pousser à faire évoluer nos modes de production et de consommation et plus globalement nos modes de vie, à l'échelle individuelle et collective", explique l'Ademe. Mais ce concept correspond-il à une réalité ou à un simple effet de mode ?

Une tendance qui croît et se maintient

D'après le baromètre des préoccupations(1) des Français réalisé par Greenflex et l'Ademe, 93 % des personnes interrogées pensent qu'il faut revoir tout ou une partie de notre modèle économique. Parmi eux, la moitié déclarent qu'il faut le repenser entièrement et sortir du mythe de la croissance infinie. Et enfin, une grande partie des Français (86 %) aimeraient vivre dans une société où la consommation prend moins de place. La tendance n'est pas neuve : selon l'Ademe, elle se maintient en légère croissance depuis quelques années. Malgré l'épidémie de coronavirus, les préoccupations concernant l'environnement se hissent au niveau de celles sur la santé. Autant de statistiques qui semblent montrer une véritable envie de changement et de véritables préoccupations environnementales de la part des Français.

Une tendance qui n'a donc rien d'anecdotique et qui pousse l'Agence à penser la sobriété comme un des outils permettant de réaliser la transition écologique. Selon elle, adopter la sobriété permettrait aux territoires de réaliser 10 à 30 % des objectifs énergie climat. Car, entre autres acteurs, les collectivités sont bien placées pour agir au travers de leurs investissements à long terme. Ce sont elles qui décident de l'organisation des activités sur leur territoire (PLU, SCoT) et qui sont capables de mobiliser les acteurs locaux et de favoriser l'évolution des comportements.

"La sobriété c'est vertueux financièrement"

Mais pourquoi la sobriété intéresserait-elle les collectivités ? Pourquoi s'imposer un arrêt de la croissance et du développement ? "Du côté de la collectivité ou de l'action publique, la sobriété c'est vertueux financièrement, argue Sébastien Maire, délégué général de l'association France villes durables qui regroupe collectivités, entreprises, experts et agences d‘État. Depuis des années, les paradigmes disent qu'il faut développer les territoires pour qu'ils soient attractifs mais cela ne s'accompagne pas forcément d'une amélioration de la qualité de vie pour les habitants. C'est même parfois l'inverse". Et la sobriété présente des avantages : améliorer la qualité de vie en évitant de très lourds projets de développement, coûteux en argent public.

De plus, la plupart de ces gros projets nécessiteraient au moins 15-20 ans avant d'être rentabilisés sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui n'est pas compatible avec les délais rapportés par les experts du climat, qui sont plutôt de 10-15 ans avant que la sobriété ne s'impose d'elle-même. Sébastien Maire ajoute : "Choisir des solutions basées sur la nature, ou sur du low-tech, est moins coûteux en maintenance, en contrats, etc. Finalement, la sobriété c'est aussi une façon de limiter la dépense publique tout en ayant le confort et l'amélioration de la qualité de vie pour les habitants".

Les économies, souvent la porte d'entrée vers la sobriété

Sans aller aussi loin, les solutions(2) de sobriété sont variables et doivent s'adapter aux territoires. Il existe de nombreux acteurs qui se sont donnés pour mission d'accompagner les collectivités dans leur démarche. L'Ademe en fait partie. Nul besoin d'être une grosse agglomération pour se lancer. En 2017, la commune d'Argentan a décidé de mener une expérience : éteindre l'éclairage public la nuit, à partir de 23 heures. Après avoir largement informé la population, elle a mis en place un numéro vert pour que les riverains puissent remonter les problèmes. Finalement, elle n'a eu que très peu de retours négatifs et elle économise à présent 90 000 euros d'électricité par an, 175 000 euros depuis que la commune a équipé ses éclairages de LEDs. En 2018, l'intercommunalité d'Argentan a signé un contrat d'objectif territorial avec l'Ademe qui intègre des objectifs de sobriété énergétique. Ainsi, l'intercommunalité a rationalisé ses bâtiments, ce qui lui a permis de réaliser une économie de surface immobilière de 599 m² et 2 019 MWh d'énergie par an.

Se poser la question des besoins

L'exemple d'Argentan illustre le concept de sobriété d'usage, l'une des quatre facettes de la sobriété qui consiste à adapter l'utilisation des équipements aux usages qui en sont réellement faits. Mais il existe d'autres facettes qui, elles aussi, poussent à se poser la question du "juste besoin". Cela se traduit par l'élimination du superflu et l'optimisation des ressources pour répondre aux besoins identifiés plus haut. Et ce, dans les limites planétaires.

Ces facettes fonctionnement aussi bien séparément qu'37401. Ainsi, la sobriété dimensionnelle vise à mettre en cohérence la taille des équipements avec le besoin réel des usagers. Adapter le nombre d'écoles au nombre d'élèves peut par exemple rentrer dans cette catégorie. Avec une bonne communication, l'une des communes aidées par l'Ademe, dotée de quatre écoles largement sous-exploitées, a pu en fermer une en évitant une levée de boucliers. La sobriété structurelle consiste en l'optimisation de l'organisation du territoire en rationalisant l'espace. Par exemple, en réhabilitant d'anciens logements au centre-ville au lieu d'en construire de nouveaux en périphérie, une collectivité peut éviter de grignoter les terres cultivables. Enfin, la sobriété conviviale prône la mutualisation des équipements et de leur utilisation comme le font le coworking et le covoiturage.

Limites planétaires et réticences

Les limites planétaires sont une composante majeure de cette vision des territoires. Elle implique donc de prendre en compte les particularités climatiques de chaque territoire dans les plans d'aménagement mais aussi d'y intégrer des solutions pour les aléas climatiques futurs.

Cependant, si les projets de sobriété semblent conquérir une part croissante de la population et commencent à gagner l'échelle des collectivités, il reste toutefois un certain paradoxe. En effet, malgré une volonté de changement de la société très marquée, seulement 58 % des Français(3) pensent qu'il faudra changer nos modes de vie pour faire face au changement climatique. Autrement dit, un peu moins de la moitié de la population ne voit aucun intérêt à une société plus sobre. D'ailleurs, 60 % des Français "souhaitent se payer plus souvent des choses qui leur font envie", d'après le baromètre Greenflex et Ademe. "Pourquoi s'imposer la frugalité ? Tant qu'on n'a pas compris ce qui nous arrive dans la figure de manière concrète, on n'est pas motivé pour changer aussi radicalement de trajectoire", remarque Sébastien Maire. Pour les collectivités qui souhaiteraient aller vers un modèle économique plus sobre, il est donc indispensable de prendre ces profils en compte et de communiquer pour construire un récit positif autour de la sobriété.

Fanny Bouchaud