Vers le site de la Gazette des communes
énergie
Publié le 07/05/2021 • dans : A la une, actus experts technique, France
La multiplication, en quelques mois, des projets de production et de consommation d’hydrogène part d’objectifs légitimes. Attention, toutefois, à ne pas se laisser griser par un nouveau phénomène de mode.Ma Gazette
« Ce n’est pas parce qu’une technologie est bonne qu’elle est choisie, mais parce qu’elle est choisie qu’on la considère comme bonne. » Déléguée générale de l’association France Hydrogène (ex-Afhypac), Christelle Werquin s’amuse d’une maxime plutôt favorable aux professionnels qu’elle représente, mais qui les a longtemps desservis. Même chez les pionniers de la transition énergétique, l’hydrogène a été vue, pendant des années, comme une technologie vieillotte. Peu performante. Coûteuse. Donc inutile, malgré sa capacité à stocker l’électricité renouvelable à production variable, et à verdir l’industrie et la mobilité aujourd’hui accros aux fossiles.
En début de quinquennat encore, Bercy a réfréné autant que possible l’enthousiasme de l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui a dû peser de son poids pour lancer un plan de 100 millions d’euros. Un pied glissé dans une porte désormais grande ouverte. En septembre, la France a débloqué 7,2 milliards d’euros d’argent public en un claquement de doigts – dont 2 milliards dans le cadre du plan de relance. Une somme à dépenser dans les dix prochaines années.
Répondre à un besoin réel
Les collectivités ont entendu le message. Nombreuses sont celles qui ont un projet dans les cartons. Mais attention : « L’hydrogène ne sera jamais l’alpha et l’oméga », souligne Bernard Gilabert, conseiller régional (PS) d’Occitanie, chargé de l’hydrogène, qui, contrairement aux apparences, fait partie des enthousiastes. Début avril, l’Occitanie et trois autres régions se sont associées à SNCF Voyageurs. Elles ont commandé chacune trois trains à hydrogène à Alstom. Objectif : remplacer les motrices diesel des tronçons non électrifiés. Malgré cet engouement, l’enjeu est d’apprendre à faire preuve de clairvoyance. Aujourd’hui, comme avant l’annonce du plan à 7,2 milliards, l’hydrogène est parfois pertinent. Parfois, il ne l’est pas !
Chargée de répartir la manne financière par ses appels à projets,
l’Agence de la transition écologique (Ademe) se dit « consciente qu’il
existe un effet de mode, dixit Luc Bodineau, coordinateur du programme
hydrogène. On s’assure que chaque financement répond à une nécessité.
Donc que chaque collectivité a pris le soin de définir son projet à
partir de ses besoins et des ressources de son territoire ».
En mode stationnaire, par exemple, les piles à combustible (qui
convertissent l’hydrogène en électricité) n’ont pas grand intérêt dans
un bâtiment connecté au réseau. Elles deviennent pertinentes dans des
cas identifiés : quand il s’agit de remplacer un groupe électrogène
diesel sur un chantier ou lors de manifestations en extérieur, ou
d’alimenter des bateaux à quai dans un port si aucun raccordement n’est
possible. Dans les zones non interconnectées d’outre-mer, le
développement conjoint de centrales photovoltaïques et de capacités de
stockage simplifie la gestion du réseau et limite le recours aux
systèmes de production fossile.
L’offre émerge tout juste
La règle est la même dans le monde de la mobilité. Dans un contexte d’extension des zones à faibles émissions (ZFE), l’hydrogène a, comme la solution 100 % électrique, le grand avantage de n’émettre aucune particule fine (et une quantité réduite de gaz à effet de serre lorsque la production est renouvelable). Pour autant, « quand, pour un même service, on peut s’appuyer sur des batteries, on le fait car le rendement est bien meilleur », résume Luc Bodineau.
L’hydrogène ne devient intéressant que si l’on a besoin de prolonger l’autonomie des véhicules. « Tous les modes de transport à usage intensif méritent d’être regardés de près », souligne Bernard Gilabert : taxis qui avalent les kilomètres, véhicules lourds qui nécessitent une autonomie du fait des distances parcourues ou de la rigueur climatique… L’option a été retenue par la communauté d’agglomération (CA) Pau Béarn Pyrénées (31 communes, 161 900 hab.) sur une nouvelle ligne de bus à haut niveau de service. Une procédure de dialogue compétitif a établi que, malgré un surcoût à l’unité, ces véhicules à hydrogène permettraient de réduire la taille de la flotte, avec huit bus contre douze en choisissant des modèles à batteries qui auraient été immobilisés durant les recharges.
L’équation devient plus complexe lorsque l’on considère l’option biogaz naturel véhicule (bioGNV), technologie qui émet des particules, mais est éprouvée et donc moins onéreuse. « Avec l’hydrogène, on manque de concurrence et de prestataires. Il existe par exemple un seul modèle d’utilitaire, une Renault Kangoo. Nous en avons commandé une, que l’on attend depuis deux ans », témoigne Manuel Dahinden, chef de projet au Grand Chambéry (38 communes, 135 300 hab.). La communauté d’agglomération a misé sur les deux technologies mais, tandis qu’elle envisage de convertir progressivement ses bennes à ordures ménagères diesel au bioGNV, son soutien à l’hydrogène reste plus modeste. Après avoir testé une dizaine de vélos, « un bon moyen de créer des échanges avec les habitants », l’interco se contentera pour le moment d’acheter un véhicule et d’organiser une commande groupée permettant à plusieurs collectivités du territoire de faire un premier pas. « On est davantage dans le soutien à l’innovation », insiste Manuel Dahinden.
A chacun son projet ? Non !
L’enthousiasme est plus marqué dans la métropole dijonnaise ou chez Trifyl (358 communes, 327 000 hab.), un établissement public de traitement de déchets qui couvre principalement le Tarn. « Nous allons répondre à l’appel à projets européen Corridor H2 avec un point de production et deux points de distribution d’hydrogène le long de l’A68, sur l’axe Toulouse-Lyon, indique Bruno Roussel, le directeur général des services de Trifyl. Nous nous devons d’accompagner la croissance des usages. Sinon, les prix ne diminuent pas et c’est le serpent qui se mord la queue. Pas de demande, donc pas de production et inversement. »
L’enjeu, pour les collectivités qui imitent Trifyl, n’est donc pas d’avoir « son projet hydrogène », « une idée que l’on pourfend », prévient Luc Bodineau. Il s’agit de créer des écosystèmes territoriaux cohérents, compétitifs et renouvelables ou, a minima, décarbonés. Et qui contribuent si possible, avant d’augmenter la part du gâteau, à verdir la consommation d’hydrogène de l’industrie locale (aujourd’hui à 95 % d’origine fossile, voir le graphique). Dans le Tarn, l’établissement public mise sur l’économie circulaire et produit son hydrogène à partir de biogaz issu de la valorisation des déchets. Ailleurs, l’idée est plutôt de s’appuyer sur des parcs de production d’électricité renouvelable, qu’il faut donc construire. Pour trouver des partenaires et prendre les bonnes décisions, « France Hydrogène dispose de douze délégations régionales », indique Christelle Werquin, consciente de la nécessité de viser juste. Et du fait qu’au-delà des maximes, c’est quand une technologie est bonne qu’il faut la choisir.
Focus
« Si l’on veut de l’hydrogène vert, il faut produire plus d’électricité renouvelable »
Emmanuel Goy, ambassadeur de l’association Négawatt
« L’hydrogène figure à la marge dans la démarche Négawatt qui est d’abord basée sur la sobriété, l’efficacité et la production d’énergie renouvelable. Il peut y trouver une place à partir de 2035, pour le stockage intersaisonnier nécessaire pour atteindre 100 % d’électricité renouvelable. On peut considérer que c’est un quatrième palier, mais il arrive après la massification des solutions matures, comme la rénovation des bâtiments, le solaire ou les alternatives à la voiture individuelle. Ne laissons pas penser que l’on aurait enfin trouvé la solution pour décarboner l’économie sans effort. Si l’on veut de l’hydrogène vert, il faut produire plus d’électricité renouvelable. Cela doit rester la priorité, avec la maîtrise de l’énergie, pour ce mandat et le suivant. Ne négligeons pas non plus la question des rendements. En l’état actuel des techniques, un véhicule a besoin de trois fois plus d’électricité en utilisant de l’hydrogène qu’en s’appuyant sur une batterie. C’est un ordre de grandeur qui n’est pas anodin. »
Focus
Le soutien de l’Ademe
275 millions d’euros seront distribués par l’Ademe via ses appels à projets d’ici à la fin 2023 pour aider les collectivités à créer des écosystèmes territoriaux. S’y ajouteront 350 millions d’euros pour financer des briques technologiques d’ici à la fin 2022, plutôt du côté des industriels, mais les acteurs publics peuvent s’y associer.
1 MW, c’est la puissance minimale des électrolyseurs soutenus par l’Ademe, qui correspond aux besoins d’une flotte d’une dizaine de véhicules lourds. Ces équipements sont encore chers pour les communes modestes.