L’habitat individuel qui a beaucoup réduit la taille de ses parcelles, devra s’adapter aux nouvelles exigences de la future Loi visant à limiter l’artificialisation des terres. Décryptage…
« On considère aujourd’hui que 6,4 % du territoire est artificialisé » a rappelé Yann le Corfec, délégué à l’aménagement du Pôle habitat FFB* qui a présenté les enjeux de l'objectif zéro artificialisation nette (ou ZAN), lors des derniers challenges du pôle habitat FFB.
De fait, 20 à 30 000 hectares de surfaces agricoles ou naturelles sont consommées chaque année pour différents besoins. Ceux de l’habitat représentent 50 % des terres « consommées » contre 16 % pour l’infrastructure (routes, aménagements voieries…) et 5 % pour les services marchands. Toutefois, ces chiffres pourraient être multipliées de 1 à 4 selon les bases de données utilisées.
« Or, parallèlement, l’habitat individuel aménagé a réduit la taille de ses parcelles de 40 % en quelques années », souligne Yann le Corfec, délégué national à l’aménagement et au foncier (Pôle habitat FFB). Et une menace semble peser sur les constructeurs et promoteurs, d’autant qu’une définition très large des zones artificialisées, incluant les jardins et espaces verts, avait été initialement prise en compte.
Quoi qu’il en soit, on connaît bien les conséquences de l’artificialisation : elle induit la perte de la biodiversité, la dégradation des sols, la pollution et accélère le changement climatique. Lutter contre l'artificialisation demeure donc un enjeu de taille pour l'ensemble des décideurs dits responsables.
Yann le Corfec, délégué à l’aménagement du Pôle habitat FFB* a présenté les enjeux du principe d’artificialisation zéro nette, lors des challenges du Pôle Habitat FFB en décembre 2020 ©DR
A la recherche d’une définition consensuelle de l’artificialisation
Une définition consensuelle est donc nécessaire ainsi qu’une politique objective de lutte contre l’artificialisation des sols privilégiant la sobriété foncière eu égard aux enjeux climatiques, souligne le spécialiste du Pôle Habitat FFB.
Dès 2011, une feuille de route européenne a d’ailleurs vu le jour fixant des objectifs en matière de ZAN à atteindre avant 2050. La France a toutefois préféré anticiper cette trajectoire avant 2030, avec le Plan national biodiversité. Il se traduit notamment par une circulaire prise par le Premier ministre le 29 juillet 2019, rappelle Yann le Corfec.
La circulaire fait pression sur les élus en matière de « gestion économe de documents d’urbanisme » mais elle se heurte à l’absence d’une définition bien partagée de la notion d’artificialisation. Par ailleurs, elle ne prend pas en compte la diversité des situations locales.
Une concertation destinée à trouver un consensus a ainsi été engagée dans le cadre d’un Groupe de travail avec les trois ministères concernés (Transition écologique et solidaire, Logement et Agriculture) et à laquelle a participé le Pôle habitat FFB.
La Convention citoyenne pour le climat émet des propositions
Parallèlement, la Convention citoyenne pour le climat (CCC), constituée en octobre 2019 par le Conseil économique, social et environnemental sur demande du Premier ministre, a remis le 20 juin 2020 ses propositions notamment en matière de lutte contre l’artificialisation des sols (7 propositions spécifiques).
Objectif général : définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990). Autre objectif : agir pour la biodiversité, la protection des forêts périurbaines et l’agriculture de proximité ; Enfin, il s’agit de rendre les centres-villes plus attractifs et mixtes socialement (nature en ville et revitalisation des commerces)
Le gouvernement a rendu ses premiers arbitrages et le Président Emmanuel Macron s’est déclaré favorable à la mise en œuvre des propositions relatives à la lutte contre l’artificialisation, tout en rappelant l’objectif ZAN du plan Biodiversité.
La Convention citoyenne pour le climat (CCC), constituée en octobre 2019 par le Conseil économique, social et environnemental sur demande du Premier ministre, a remis le 20 juin 2020 ses propositions notamment en matière de lutte contre l’artificialisation des sols (7 propositions spécifiques). ©DR
Un projet de loi spécifique sur l’Ecologie et le développement durable en 2021
Concrètement, un projet de loi spécifique sur l’Ecologie et le développement durable devrait voir le jour en 2021. Il reprendra 115 des 149 propositions de la CCC dont 10 mesures relatives à la sobriété foncière contenues dans le thème « Se Loger ».
Quelles sont les mesures phares du projet ? La première mesure doit arrêter une définition partagée de l’artificialisation. Premier indice : les zones de pleine terre sont considérées comme non artificialisées… mais il reste à définir la notion de « pleine terre ».
Le Pôle Habitat milite pour que l’on ne considère pas la notion uniquement sous l’angle de la consommation foncière. Explication : les parcs, jardins et toitures végétalisées sont des espaces de valorisation environnementale. Ainsi, une approche fine est nécessaire, notamment pour prendre en compte les espaces en pleine terre comme les jardins des maisons individuelles, à exclure des zones artificialisées.
La seconde mesure a pour but de consolider l’observatoire national de l’artificialisation. Et là encore, la profession des Constructeurs insiste sur la nécessité d’une analyse fine, à l’échelle de la parcelle, puisqu’un tiers des espaces considérés comme artificialisés sont en fait des espaces enherbés. Il faudra également cartographier les friches industrielles et utiliser les outils tels que Cartofrich et Urbanvitaliz.
Les jardins, toitures végétalisées et parcs doivent être exclues des zones dites artificialisées afin d’éviter de considérer la notion de ZAN uniquement sous l’angle de la la consommation foncière, milite le Pôle Habitat FFB Photo : Panneau solaire sur toit végétalisé © Arnaud 25
Réduire de 50 % la trajectoire d’artificialisation à l’échelle nationale
La 3e mesure vise à réduire de 50 % la trajectoire d’artificialisation à l’échelle nationale sur 10 ans, en prenant en compte la trajectoire locale sur les 10 dernières années. Cette trajectoire sera définie par le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) qui deviendrait le document pivot de la maîtrise de l’artificialisation.
La déclinaison de cet objectif devra être intégrée dans les documents locaux d’urbanisme par un lien de compatibilité (et non un lien de conformité, pour favoriser la libre administration des collectivités territoriales et ne pas condamner les collectivités plus vertueuses)
Pour appréhender cette trajectoire de réduction de 50 % de l’artificialisation, le maire (ou président de l’intercommunalité) devra présenter annuellement en conseil municipal un rapport local sur le rythme d’artificialisation.
Pas de surface commerciale supérieure à 1000 m2
La mesure 4 doit permettre d’encadrer fortement toute nouvelle artificialisation pour les activités commerciales, en dehors des cas de déficit manifeste d’offre… Ainsi, il ne sera plus possible de créer des surfaces commerciales supérieures à 1000 m2 (inscrit dans la loi), sauf dérogation accordée en cas de friche inexistante en centre-ville ou périphérie.
Une dérogation qui sera d’ailleurs proscrite pour les surfaces de vente supérieures à 10 000 m2… dans l’objectif de réhabiliter les zones d’activité économiques obsolètes (moyens renforcés accordés aux préfets).
La mesure 4 doit permettre d’encadrer fortement toute nouvelle artificialisation pour les activités commerciales, en dehors des cas de déficit manifeste d’offre. ©Segece - Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org
Ne pas stigmatiser l’habitat individuel et prévoir la réversibilité des bâtiments
La mesure 5, plutôt favorable aux constructeurs, prévoit de lancer un grand concours pour sélectionner des démonstrateurs répondant aux grands enjeux de transformation pour la ville de demain. S’y ajoutera une stratégie de communication positive à destination des élus locaux et du grand public.
« L’idée derrière cette mesure est de ne pas stigmatiser l’habitat individuel, qui est plébiscité par 80 % des français » explique Yann le Corfec. « De la même manière, les périphéries urbaines ne doivent pas non plus être stigmatisées car leur développement traduit des enjeux de dynamisme local importants pour les élus. Et les services publics peuvent être conservés grâce à ces nouveaux habitants » souligne le responsable.
Il est possible de prévoir une expansion de ces zones avec une approche plus sobre et compacte et qui intègre des espaces végétalisés. « Ce qui suppose des parcelles plus petites, vertes et intégrant la mixité sociale », insiste Yann le Corfec. Avec un enjeu prédominant pour les constructeurs : le foncier sera moindre.
Enfin, autre mesure importante : le potentiel de réversibilité des bâtiments devra être évalué avant toute démolition. Et d’ailleurs, pour les constructions neuves, l’étude du potentiel de réversibilité deviendrait une pièce exigée au permis de construire.
Des rénovations à encourager en centre-bourg
La mesure 6 encourage l’extension des établissements publics fonciers locaux et d’état et sécurise leurs moyens. Quant à la mesure 7, elle renforce le cadre contractuel des opérations de revitalisation territoriale.
C’est dans ce cadre que s’inscrit le programme « Action cœur de ville » qui prévoit des interventions en partie soutenues par l’Etat en milieu urbain mais dont le rythme de croisière demeure faible.
« Il est difficile d’intervenir dans des secteurs qui ne permettent pas de niveaux de prix correspondant aux investissements à réaliser car on sait que la rénovation en centre-ville coûte cher » résume Yann le Corfec.
Construire des immeubles collectifs dans les zones pavillonnaires
Portée par la Convention collective des citoyens, la mesure visant à permettre la construction d’immeubles collectifs dans les zones pavillonnaires vise un objectif : densifier ces zones et donc limiter la consommation du foncier.
Mais, attention, souligne l’expert du Pôle habitat FFB : la mesure peut faire l’objet de recours contentieux car ces zones sont souvent mal adaptées à la densification au regard des réseaux existants.
Par ailleurs, la mesure peut engendrer une rupture du contrat social entre élus et habitants dans la mesure où la zone était destinée à de l’habitat individuel, souligne l’expert du Pôle Habitat. Ce dernier évalue entre 15 000 et 20 000 logements possibles avec cette mesure, mais « pas plus » car « on ne peut pas raser l’existant pour construire du collectif ».
L’une des multiples zones pavillonnaires en France où la CCC aimerait densifier l’habitat en construisant des logements collectifs, « ce qui semble difficile au regard des réseaux existants » juge le Pôle Habitat FFB ©Elementerre -wikipedia
Aménager les dispositifs fiscaux
La Mesure 9 a pour objectif d’aménager les dispositifs fiscaux et budgétaires pour inciter à une plus grande sobriété foncière, en complément des mesures fiscales favorables à la rénovation du bâti existant.
Il s’agit en matière de taxe d’aménagement, d’exonérer les places de stationnement intégrées au bâti dans le plan vertical ou aménagées en dessus ou et en dessous immeubles (collectifs, individuels ou tertiaires). L’entrée en vigueur de la mesure est prévue pour 2022, ce qui semble tardif selon le Pôle Habitat.
Enfin, notons parmi l’arsenal juridique et économique de l’Etat, les mesures intéressant le principe de sobriété foncière de France Relance 2020. La création d’un fond de 300 millions d’euros doit permettre le recyclage des friches industrielles et commerciales.
Enfin, une enveloppe de 350 millions d’euros est prévue sur 2 ans, sous la forme d’une aide, aux maires bâtisseurs autorisant des projets de construction de logements faisant la part belle à la densification.
« Il faudra modifier les pratiques professionnelles »
Pour Yann le Corfec, les principes de la ZAN ne doivent pas être appréhendés comme un principe empêchant la construction de logement, d’autant qu’il y a un fort besoin de logements neufs en France.
En revanche, les constructeurs devront modifier leurs pratiques professionnelles. Les formes urbaines devront être plus compactes et végétales, en incluant l’habitat individuel afin de répondre aux différents enjeux et satisfaire les demandes des Français.
« La France a besoin d’habitat moderne neuf avec davantage de logements et moins de foncier tout en respectant la fonctionnalité des sols. Il s’agit d’appliquer le principe de sobriété foncière en toute confiance, avec un gain net de biodiversité en adaptant les pratiques » conclut l’expert du Pôle Habitat.
Source : batirama.com / Fabienne Leroy