Alors que le prochain passage à la réglementation environnementale (RE2020) déclenche une volée de bois vert de la part des acteurs des matériaux conventionnels, on peut se poser légitimement la question de la pertinence écologique du bois dans la construction.
Ces dernières années, nous avons régulièrement publié des articles à propos du bois. En s’intéressant aux tendances d’utilisation, en maison bois individuelle comme en immeuble bois, en décortiquant le vrai du faux sur les maisons bois, ou avec des techniques comme le panneau CLT, bois lamellé croisé. Nous avons même dénoncé différentes solutions de construction bois qui se disent écologiques avec des matériaux loin de l’être réellement.
Et évidemment le bois déclenche régulièrement, dans nos commentaires ou sur les réseaux sociaux, des avis souvent tranchés de nos lecteurs préoccupés par l’impact de la déforestation. Bien que l’on puisse voir le bois comme un matériau de construction du futur, faut-il pourtant se demander : est-il possible de continuer de couper des arbres et d’utiliser leur bois tout en caractérisant cette pratique de « durable » ?
Traduit de l’article de Eduardo Souza sur Archdaily
Une telle préoccupation n’est pas infondée. L’utilisation de bois est souvent associée à la déforestation, ce qui ne détruit pas seulement les écosystèmes et les habitats, mais provoque également des changements climatiques très redoutés. Un rapport de WWF [1] estime que la quantité de bois extraite dans le monde pourrait être amenée à tripler d’ici 2050. La demande de bois et de papier tend à augmenter avec la croissance démographique et économique des pays en développement. De plus, il est attendu que l’utilisation du bois augmente pour la fabrication de biocarburants, produits pharmaceutiques, plastiques, cosmétiques, produits électroniques et textiles.
Le rapport de l’ONU Situation des forêts du monde 2020 [2] constate que depuis 1990, 420 millions d’hectares de forêt ont été perdus lors de la conversion des terres à d’autres usages, bien que la vitesse de déforestation ait ralenti au cours des trois dernières décennies : entre 2015 et 2020, la vitesse de déforestation était estimée à 10 millions d’hectares par an, contre 16 millions dans les années 1990. Cependant, la superficie totale de forêts primaires dans le monde a diminué de plus de 80 millions d’hectares depuis 1990. Par ailleurs, plus de 100 millions d’hectares de forêts ont été irréversiblement affectés par des incendies, des insectes nuisibles, des maladies, la sécheresse, des espèces invasives et des événements climatiques. Selon WWF, en 2019, les tropiques ont perdu l’équivalent de 30 terrains de football de forêt chaque minute (eng).
La raison principale de la déforestation est l’expansion de l’agriculture et de l’élevage ; les feux de forêt ont également monté en fréquence et en intensité ces dernières années. Les exploitations forestières non durables renforcent également les dégradations. La situation semble peu réjouissante, mais dans le cas de la construction, il est toujours important de garder à l’esprit que construire nécessite presque toujours de détruire. Chaque décision dans un projet produira un certain impact sur l’environnement, et comprendre comment réduire cet impact est vital pour une réelle durabilité de long terme. Le bois est un matériau adéquat pour améliorer la durabilité puisque même avec de la déforestation, les bâtiments en bois sont largement préférables à ceux construits en béton, en brique, en aluminium ou en acier.
D’abord, le bois est un matériau renouvelable, si son extraction est réalisée avec soin. Cela signifie que la forêt devrait continuer de croître normalement même si quelques arbres sont coupés, contrairement aux ressources non renouvelables comme le pétrole, le charbon, la pierre ou d’autres ressources naturelles. Si la gestion durable des forêts est mise en place et que les arbres sont plantés fréquemment, nous aurons toujours du bois disponible.
Lorsque les plantes réalisent la photosynthèse, elles absorbent le CO2 de l’atmosphère et le stockent dans le bois. C’est ce qu’on appelle « la séquestration du carbone ». Le taux de séquestration est plus important au début de la croissance de la plante. Ainsi, faire pousser des forêts est un moyen durable de réduire l’effet de serre, bien plus que les anciennes forêts. (Évidemment, garder les anciennes forêts intactes tant que possible est essentiel, notamment pour maintenir un équilibre écologique). Comme le relève Think Wood (eng), une gestion active des forêts, aussi appelé l’éclaircie, atténue les feux de forêt, réduit les émissions de dioxyde de carbone, reconstitue les cours d’eau dans la région, agrandit l’habitat de la vie sauvage, et crée des emplois dans les zones rurales.
Un autre avantage du bois est sa faible quantité d’énergie grise (eng), qui réfère à la somme totale d’émissions de gaz à effet de serre attribuée à un matériau tout au long de son cycle de vie. Contrairement à l’acier ou au béton par exemple, le bois nécessite une quantité minime d’énergie pour sa transformation.
Une longue étude académique (pdf eng), résumée dans ce texte (eng), a constaté que remplacer d’autres matériaux de construction avec du bois pouvait réduire de 14 à 31% les émissions mondiales de dioxyde de carbone et de 12 à 19% la consommation mondiale d’énergies fossiles.
Mais ce procédé nécessite d’être prudent. Si les forêts sont cultivées plus rapidement qu’elles ne se reconstituent avec de nouveaux arbres, il est possible de faire face à une pénurie de bois. En tant professionnels de la construction et/ou maîtres d’ouvrage, il est essentiel de s’informer sur l’origine de tous les matériaux avec lesquels on travaille. Le designer doit être le premier à se rendre compte que non seulement la qualité et le coût des matériaux sont importants, mais aussi leur provenance et la méthode d’extraction. Un autre avantage du bois : beaucoup d’espèces de bois peuvent être réutilisées si elles sont récupérées et séparées des autres déchets. Les autres déchets peuvent également être collectés et utilisés pour faire des panneaux de particule et d’autres produits modernes en bois composite.
Lorsque la demande de bois neuf est élevée, les certifications sont un bon moyen de s’assurer que la source d’approvisionnement est fiable et gérée durablement. La certification la plus courante est celle de FSC (Forest Stewardship Council), une organisation à but non lucratif qui promeut la gestion responsable des forêts dans le monde entier, empêchant ainsi tout dommage aux écosystèmes, aux cours d’eau, à la vie sauvage, et aux arbres eux-mêmes. Le bois certifié aura le label FSC rattaché à son site d’origine. Plus de 380 millions d’hectares dans le monde sont certifiés FSC. Selon WWF (pdf eng), environ 30% de la production mondiale de forêts est certifiée, dont 13% par FSC.
Les défis du monde actuel liés à la surexploitation et l’excès de consommation de ressources nous obligent à repenser beaucoup de vérités longtemps incontestées. Mais malgré les enjeux de la déforestation, le bois peut toujours être un matériau durable, tant qu’il est extrait et traité de façon consciencieuse et respectueuse.
[1] Wood as a Sustainable Building Material. Journal Forest Products. September 2009, Vol. 59, No. 9. Disponible ici.
[2] Food and Agriculture Organization of the United Nations. The State of the World’s Forests 2020. Disponible ici.
Avec la participation de Nina Pelletier à la traduction.