Vendredi 08 janvier 2021
Mois après mois, le gestionnaire du réseau de transport de l’électricité en France n’avait cessé ses mises en garde : le début d’année sera marqué par des tensions sur l’approvisionnement en électricité du pays. Dès juin, RTE (Réseau de transport d’électricité) avait mis en évidence une « situation inédite de risque » pour l’hiver 2020-2021. Le pessimisme s’est réduit à l’automne, mais la situation reste très tendue.
La baisse des températures, qui se répercute sur la consommation nationale n’est pas l’explication première. Du fait de la crise sanitaire et du confinement du printemps, le calendrier de maintenance du parc nucléaire a été retardé et c’est avec un nombre anormalement haut de réacteurs à l’arrêt (jusqu’à un cinquième du parc), que la France entre dans les mois les plus redoutés par RTE : janvier et février.
Alerte rouge ce vendredi
Ce vendredi, avec des températures inférieures de quatre degrés aux normales saisonnières, Ecowatt, sorte de Météo France ou de Bison Futé de l’approvisionnement en électricité, adresse un signal rouge aux Français, afin qu’ils abaissent leur consommation. Chasse au gaspillage et à l’éclairage dans les pièces inoccupées, invitation à décaler l’utilisation d’appareils ménagers : RTE assure qu’ « aucune coupure n’est prévue » mais invite à la plus grande prudence. La marge de sécurité est en effet réduite : la consommation nationale était attendue à 88 gigawatts, un niveau proche de la production estimée à 88,2 gigawatts.
Au cours de l’année écoulée, les sénateurs spécialisés des questions d’énergie avaient pris conscience de ce scénario difficile et avaient tiré la sonnette d’alarme. Ce fut le cas dernièrement pendant les débats budgétaires de novembre. « Il faut espérer que l’hiver 2020-2021 ne soit pas trop rigoureux, sinon nous allons être en grande difficulté. Mais je veux aller plus loin et dire que le risque d’importer de l’électricité produite à partir du charbon est très élevé : cela serait le comble », s’inquiétait le sénateur LR Daniel Gremillet, rapporteur des crédits de la mission Energie, à la commission des affaires économiques.
« On peut peut-être aussi déjeuner dehors et dormir à la belle étoile », ironise le sénateur Alain Cadec
Preuve de l’importance qu’il accorde à ce sujet, le groupe Les Républicains a choisi d’inscrire cette thématique à l’agenda au moment de la reprise des travaux parlementaires du 12 janvier. Dans le cadre de cette semaine de contrôle, ils ont convoqué un débat en hémicycle sur « le risque de black-out énergétique ». L’appel hivernal à la modération de RTE rend le débat plus d’actualité que jamais. Et sur Twitter, il a déjà commencé. « Dans la rubrique « on ose tout », ce matin le gouvernement nous dit : Il va faire plus froid donc coupez le chauffage pour économiser l’électricité !! On peut peut-être aussi déjeuner dehors et dormir à la belle étoile !! » s’est ainsi emporté sur Twitter le sénateur LR Alain Cadec. Sa région, la Bretagne, fait d’ailleurs partie de l’un des points les plus vulnérables du pays dans le réseau électrique, de par sa faible production locale.
D’autres remettent en question, de façon plus générale, la politique énergétique du gouvernement et font le lien entre la situation de tension actuelle sur le réseau et les arbitrages des années passées. « Rouvrez Fessenheim », demande ainsi Catherine Procaccia (LR). Les deux réacteurs de la centrale, définitivement à l’arrêt depuis juin, avaient une puissance cumulée de 1,8 gigawatt. Cette disparition pèse toutefois beaucoup moins lourd dans la balance que la dizaine de gigawatts manquante à cause du report du Grand carénage, selon les calculs de RTE.
« Diminuer le nucléaire, oui, mais est-ce le bon tempo ? »
Oratrice pour le groupe Union centriste, lors du débat de mardi, la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques Denise Saint-Pé compte aussi aborder la question du nucléaire, dont 14 réacteurs sont appelés à fermer d’ici 2035. « Soyons pragmatiques. Diminuer le nucléaire, oui, mais est-ce le bon tempo ? Les décisions ne doivent pas être prises à l’emporte-pièce. Quelles seront les conséquences demain ? La précarité énergétique prend de plus en plus d’importance », s’inquiète-t-elle.
Autre sujet à surveiller, selon elle : la RE 2020, la réglementation qui va régir les performances environnementales des bâtiments neufs à partir de l’été 2021. « Quelle place laissera-t-on au gaz ? On ne peut pas penser qu’il n’y aura que du tout électrique en France. Sinon, on n’y arrivera pas au moment des pointes », explique-t-elle.
En amorce des débats sur le projet de loi de finances, le sénateur communiste Fabien Gay insistait aussi sur l’importance de ne pas précipiter l’arrêt des centrales à charbon dans ce contexte, tout en regrettant les retards accumulés par l’EPR de Flamanville ou certains projets de valorisation de déchets agricoles. Le sénateur de Seine-Saint-Denis juge aussi que les mesures conjoncturelles ne pourraient pas suffire. « Nous pourrons recourir au délestage et à l’effacement, avec les entreprises, mais cela ne réglera pas tout », avait-il mis en garde.
En effet, outre l’appel au civisme, par des petits gestes quotidiens individuels, RTE peut activer des leviers beaucoup plus puissants. Arrêt de la consommation dans les sites industriels sous contrat, baisse de 5 % de la tension du réseau, et enfin des coupures ciblées sur certains points du territoire (le délestage). L’industrie représente 17 % de la consommation nationale d’électricité, moins que l’habitat qui en totalise 35,7 %, selon Voltalis, l’un des principaux acteurs de l’optimisation en temps réel de la consommation d’électricité.
Quand le Sénat pointait les mesures « tardives et limitées » du gouvernement en juin
Quand la proposition de plan de relance de la commission des affaires économiques avait été présentée au Sénat en juin, les sénateurs avaient formulé des propositions pour « garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité ». Ils avaient regretté les mesures au « caractère tardif et limité » prises par le gouvernement. Comparant les objectifs votés dans la loi énergie-climat, la cellule de la commission avait ainsi regretté le manque la faible capacité d’effacement électrique du pays, c’est-à-dire le nombre d’entreprises pouvant arrêter certaines productions en cas de turbulences sur le réseau, en échange d’un soutien public. Autre déception des sénateurs : le fait que les appareils de régulation de chauffage soient un temps sortis du champ du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE).
Appelant à poursuivre la recherche dans le nucléaire et investir dans le stockage de l’électricité (un défi technologique complexe), la commission a par ailleurs demandé que le Parlement soit « pleinement associé aux travaux stratégiques » de l’exécutif. D’autant que des réformes majeures sont en vue : nouvelle régulation économique du nucléaire ou encore projet « Hercule » au sein du groupe EDF, qui pourrait éclater l’exploitant en plusieurs branches d’activité. Dans l’hémicycle du Sénat, ce dernier sujet occupe de plus en plus les esprits. « Plutôt que d’organiser le black-out du service public avec le projet Hercule, le gouvernement devrait investir massivement », s’est exclamé ce vendredi le sénateur PCF Fabien Gay. Le groupe CRCE (communiste, républicain, citoyen et écologiste) l’a aussi inscrit à l’agenda. L’hémicycle en débattra le mercredi 13.