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Vendredi dernier, les tensions dues au froid sur le système électrique français, ont conduit RTE a inciter les Français à réduire leur consommation afin de sécuriser l’équilibre avec la production. Une alerte qui a fait fleurir cent les polémiques sur les réseaux sociaux numériques. Les partisans des différentes technologies de production ont multiplié les formules assassines… pour celles qu’ils déprisent. Et souligné les avantages de celles qu’ils préfèrent. Un combat de rue peu informatif, où, dans le meilleur des cas, chacun isole consciencieusement les éléments de réalité qui confirment son opinion – vive ou haro sur le nucléaire, l’éolien et le solaire ! , fallait-il vraiment fermer les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ? – en évitant soigneusement de présenter une vision globale du sujet.
Une telle vision suppose de regarder les faits dans la durée – au moins une année de fonctionnement d’un système électrique. Et de prendre en considération l’ensemble des problèmes à résoudre : l’impact climatique, environnemental, les coûts, la sécurité d’approvisionnement immédiate et de long terme, la dépendance aux importations, l’insertion du système électrique dans l’équation énergétique globale du pays…
Boulot graphique
Le sujet étant vaste, cette note ne pourra pas le traiter avec une telle vision globale. Je me limiterai à un aspect : l’impact climatique. Donc, les émissions de CO2. Mais avec une vision étendue sur 2020, permettant de jauger réellement les systèmes électriques actuels et non en chipant tel ou tel moment particulièrement favorable ou défavorable à une technologie choisie. Par chance, Thomas Auriel a fait le boulot graphique qui permet, en deux images, de montrer cet impact pour 11 systèmes électriques européens et pour toute l’année 2020.
Voici tout d’abord une vision simple de l’impact climatique des 11 systèmes électriques obtenu en combinant la quantité d’électricité produite avec les émissions totales de CO2 ( L’auteur du graphique a utilisé la valeur médiane des analyses en cycle de vie complet des différentes technologies que publie le GIEC (p 1335 de l’annexe III du rapport du Groupe-3). Cette médiane masque des disparités, il s’agit donc d’un ordre de grandeur et non d’un calcul précis réalisé pour chaque système électrique. En première approche, cet ordre de grandeur est correct).
Cette première vision globale permet de comparer l’impact climatique des différents systèmes électriques de ces 12 pays européens en s’affranchissant de l’effet taille de chacun. Le graphique incite en effet à une lecture qui se focalise sur la hauteur des colonnes, indépendamment de leur surface totale. Cette hauteur, qui mesure les émissions de CO2 en grammes par kWh produit, livre une information claire quant à l’intensité carbone de chaque système électrique pour une année complète. Les mauvais élèves de la classe sont ceux qui se hissent le plus haut : Pologne, Allemagne et Italie. Leurs émissions vont d’environ 350 à plus de 700 g/kWh. Une telle intensité contribue à hisser parmi les plus élevées du monde par habitant leurs émissions globales de gaz à effet de serre, et interdit d’espérer un effet positif de l’électrification d’activités utilisant le gaz, le charbon et le pétrole. Construire une usine de batteries pour des automobiles électriques utilisées sur place est ainsi un non-sens climatique pour ces pays.
Pas de temps horaire
Toutefois, ce premier graphique ne nous dit pas grand chose sur la manière dont cette moyenne annuelle est réalisée. Les systèmes électriques sont-ils des émetteurs stables ou cette moyenne cache t-elle une variabilité importante, liée à des moyens de productions utilisés de manière également variable au cours de l’année, des mois, des jours, des semaines voire des heures ? C’est un second graphique qui va répondre à cette question, cruciale pour comprendre où se situent les problèmes.
Le graphique ci-dessus est particulièrement instructif pour les systèmes électriques des 11 pays représentés : Belgique, Allemagne, Danemark, Espagne, France, R-U, Italie, Norvège, Pologne, Portugal et Suède. D’un seul coup d’œil, il est en effet possible de jauger non seulement cet impact par l’émission moyenne de CO2 de chaque système électrique pour l’année entière (le rond à coté du nom du pays), mais surtout de mesurer la variation de cet impact avec un pas de temps horaire tout au long de l’année (chaque point du graphique correspond à l’émission de CO2 sur une heure de production).
Ce graphique nous dit que seul trois systèmes électriques européens, ceux du bas du graphique, sont d’ores et déjà compatibles avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Ces derniers – dont celui de ne pas dépasser 2°C d’augmentation de la température moyenne de la planète par rapport à celle d’avant la Révolution industrielle (en pratique celle mesurée pour les années 1880 à 1920, voir graphique ci-dessus) – supposent en effet des systèmes électriques quasi décarbonés et capables de fournir l’énergie de remplacement pour certains des usages massifs du pétrole, du gaz et du charbon, en particulier pour les transports, le contrôle thermique des bâtiments et les processus industriels. Ces trois pays sont la Norvège, la Suède et la France. Tout au long de l’année 2020, et malgré des variations considérables des niveaux de production, ces trois systèmes électriques demeurent vertueux quant à leurs impacts climatiques.
Trois systèmes différents
Or, ces trois systèmes sont assez différents. La Norvège produit presque toute son électricité, plus de 95%, avec de l’hydraulique. La Suède recourt à un mix d’hydraulique, de nucléaire – environ 40% chacun – d’éolien (environ 11%) et de biomasse/déchets pour environ 8%. Quant à la France, si le détail de sa production 2020 n’a pas encore été publié par RTE, voici celui de 2019 :
Ces trois systèmes différents parviennent par des moyens variés à l’objectif climatique. Ils peuvent donc contribuer à décarboner des pans entiers de l’activité économique et de la vie quotidienne, et se substituer aux fossiles pour les usages actuels. C’est d’ailleurs ce que l’on peut observer pour les transports individuels en Norvège où plus de la moitié (54%) des véhicules neufs vendus en 2020 sont à propulsion électrique. Mais la caractéristique principale de ces systèmes électriques est la stabilité de leur production décarbonée tout au long de l’année, quelque soit le pas de temps observé.
Certains pays sont mauvais tout le temps. La Pologne par exemple. Au mieux, elle descend à 600 grammes par kWh produit. En revanche, d’autres pays montrent une très grande variation dans l’impact climatique de leur système électrique. C’est le cas de l’Allemagne, du Portugal ou du Danemark. Cette variabilité débouche sur une moyenne peu encourageante. Elle provient de mix électriques où la composante décarbonée est surtout fait d’éolien et de solaire, deux sources en vive croissance au niveau mondial et au fort potentiel. Toutefois, l’intermittence de ces sources rend difficile leur fonctionnement en base : en moyenne une éolienne terrestre va fonctionner à sa capacité maximale entre 20% et 25% du temps, et chuter régulièrement à moins de 10% de sa capacité, quant au solaire, il culmine à midi heure solaire pour descendre à zéro avec la nuit.
Un spécialiste de l’énergie, Nicolas Goldberg, montrait dans tweet, ce que signifie cette intermittence pour le système électrique allemand le samedi 9 janvier, pourtant jour et heure de faible consommation :
Pour compenser cette intermittence en l’absence d’une autre source décarbonée puissante (hydraulique au fil de l’eau par exemple) et sans utiliser de sources carbonées (charbon ou gaz), il faudrait disposer de très grandes capacités excédentaires par rapport à la consommation moyenne et les utiliser pour stocker de l’énergie sous forme électrique ou autre afin de la restituer en cas de vents faibles et de Soleil caché ou la nuit. De tels systèmes n’existent pas, pour l’instant, à l’échelle d’un pays de taille moyenne comme l’Allemagne, voire petit comme le Danemark.
Le black-out évité du 8 janvier 2021
Un incident majeur survenu sur le système électrique le 8 janvier 2021 vers 14h illustre un second problème lié aux productions éoliennes et solaires. Une brutale chute de tension, encore inexpliquée, survenue à l’Est du réseau électrique interconnecté européen (Entso-E), en Roumanie, a mis en péril l’ensemble du réseau. Pour parer le risque d’un black-out total, les systèmes automatisés et les responsables des réseaux ont isolé l’est du reste du réseau, coupé certains sites industriels gros consommateurs (16 sites en France pour un total de 1300 MW coupés par RTE) et activé des réserves de production, dites « marges de sécurité ». Ces réserves, pour un pays comme la France, doivent être d’environ 3 GW. Ces deux actions ont permis d’éviter un black-out dévastateur. Mais il faut noter que l’éolien et le solaire n’ont été d’aucun secours, ils ne disposent ni de réserves de puissance ni de régulation de fréquence. Seuls des moyens de production pilotables et rapidement mobilisables peuvent éviter la catastrophe : hydraulique de barrage et gaz pour l’essentiel.
L’année 2020 année spéciale pour l’électricité ? Oui, car elle comporte deux particularités : une année très chaude en Europe et des mois d’hiver en février et novembre et décembre particulièrement doux, et surtout la baisse des consommation et donc des productions dues à la crise sanitaires et aux confinements . Ces deux éléments ont contribué à diminuer les émissions des systèmes électriques comportant une part d’énergies éolienne et solaire car ces deux technologies sont très fortement subventionnées par un accès prioritaire aux réseaux. Mécaniquement, si la consommation totale baisse, leur part augmente donc. L’impact climatique des systèmes électriques aura donc été diminué en 2020, mais pour des raisons ayant peu à voir avec des décisions politiques visant à le diminuer.
Sylvestre Huet