Réseaux mycorhiziens, sols et agriculture : une histoire à inventer !

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Nous avons détaillé dans le premier article sur les mycorhizes les différents rôles que peuvent jouer les champignons en s’associant avec des végétaux.

Il est important de comprendre que cette vision simpliste « un champignon et une plante » ne reflète en aucun cas la réalité.

Une plante est souvent colonisée par plusieurs espèces de champignons.

Ce cortège évolue en fonction de l’âge de la plante, mais aussi de différents facteurs abiotiques.

Dans cet article, nous verrons que ces réseaux peuvent être de puissants outils dans nos cultures !

Ce que vous allez apprendre

  • Comment fonctionnent les réseaux mycorhiziens
  • Quelles sont leurs rôles pour les plantes
  • En quoi leur présence ou non est essentielle à l’agriculture
  • Pourquoi leur prise en compte est essentielle à la sauvegarde de nos sols agricoles

Diversités fonctionnelles des réseaux mycorhiziens

Diversité fonctionnelle par rapport aux apports que réalise le champignon vis-à-vis de la plante

Réseau mycélien du champignon Rhizophagus irregularis inséré au milieu des cellules de son hôte végétal
Réseau mycélien du champignon Rhizophagus irregularis inséré au milieu des cellules de son hôte végétal Mylène Durant

Comme les plantes, les champignons ont des capacités différentes à extraire du sol l’un ou l’autre composé minéral.

Les estimations actuelles sont de l’ordre de 10 000 champignons mycorhiziens, une grande majorité étant des Basidiomycota, des Ascomycota et des Gloméromycota.

Ce dernier groupe compterait environ 200 à 250 espèces, responsable des endomycorhizes à arbuscules.

Cependant, l’étude des Gloméromycota n’en est qu’à ses débuts et il est fort probable que ce chiffre soit revu à la hausse dans les prochaines années.

Les facteurs environnementaux jouent également sur ses différentes facultés à mobiliser les éléments.

Voici quelques exemples de « spécialisation » :

  • Dans le milieu forestier, les familles des Boletaceae et des Russulaceae sont reconnues pour leur capacité à capter l’azote des protéines (par l’action de protéases) se trouvant dans le sol.

  • Les Tomentella (famille des Thelephoraceae) mobilisent l’azote des débris d’insectes et des autres champignons (par l’action de chitinases).

  • Cenococcum geophilum, l’un des Ascomycota les plus répandus, protège les jeunes radicelles du stress hydrique.

  • Les Glomeromycota, qui sont associés à la plupart de nos cultures, assurent l’approvisionnement en eau et en sels minéraux (plus particulièrement le phosphore).

La complémentarité fonctionnelle

Les symbiotes ne jouent pas tous le même rôle d’échange avec leur plante hôte. Les plantes ont donc tout intérêt à s’associer lors de leur croissance à plusieurs types de champignons.

Dans le cas des endomycorhizes à arbuscules, un petit groupe de champignons est capable de s’associer à un très grand nombre de plantes appartenant à l’ensemble des groupes de végétaux terrestres.

La résultante de cette diversité de symbiotes potentiels est que le système racinaire des plantes peut accueillir plusieurs types de mycorhizes différents.

Ce nombre a tendance à s’accroître durant la période de végétation et, pour les plantes pérennes, avec l’âge et l’extension de leur système racinaire.

Les champignons ne se font pas de cadeaux dans le sol. L’accès aux ressources et l’occupation de certaines niches écologiques entraînent une compétition entre eux.

Rien n’est figé ! La vie du sol évolue en permanence, d’où la complexité à l’étudier.

Diversité fonctionnelle morphologique basée sur le type d’exploration du sol par les champignons

On peut distinguer trois grands types de morphologies des hyphes (filament constitutif des mycorhizes) :

  1. Par contact

    Le système racinaire est entouré par un manteau fongique presque lisse, n’ayant que de petites protubérances de l’ordre cellulaire.

    Ce type de développement s’opère souvent dans la partie supérieure de l’humus, là où se trouve une grande quantité de matières organiques en décomposition.

  2. Courte distance

    Prolongement du système racinaire de quelques millimètres jusqu’à un centimètre. La structure fongique est peu structurée.

  3. Grande distance

    Prolongement du système racinaire pouvant aller jusqu’à plusieurs mètres.

Les mycorhizes

Une petite introduction aux réseaux mycorhizes.

La plasticité fonctionnelle des champignons a été démontrée

Chaulage sur terre agricole en Angleterre
Chaulage sur terre agricole en Angleterre Mark Robinson

L’influence des facteurs abiotiques joue un rôle important sur leurs types de développement, sur leurs présences ou non. Ils s’adaptent pour l’optimisation de la symbiose et la survie du couple champignon-plante.

Dans le milieu agricole ou sylvicole, des mesures ont été réalisées pour mettre en évidence l’impact des pratiques agricoles.

Toute action affectant physiquement ou chimiquement le sol (tels que le labour, l’irrigation, le chaulage, l’apport d’engrais chimique ou d’amendement organique) influence fortement la communauté fongique présente dans nos sols.

Les effets néfastes peuvent dans certains cas durer plusieurs dizaines d’années, comme par exemple le chaulage (apport de chaux ou amendement calcique pour réguler le PH) en sylviculture qui impacte fortement la présence de Cenococcum geophilum.

Les réseaux mycorhiziens, des réseaux d’échanges !

Maintenant que l’on a fait le point sur ce que sont les réseaux mycorhiziens, leurs rôles, leurs types de structures et leurs diversités fonctionnelles, nous pouvons aborder les différentes fonctions du réseau mycorhizien et voir comment l’on peut favoriser leurs présences dans nos cultures.

Nous allons voir ci-dessous quelques exemples d’échanges entre les plantes via les mycorhizes, sujet que je vais essayer de traiter sans tomber dans l’anthropomorphisme et en restant le plus scientifique possible.

Réseau mycorhiziens sur racines de hêtre
Réseau mycorhiziens sur racines de hêtre Backpackerin

Dans un écosystème riche en diversité de végétaux, dans une forêt ou une prairie par exemple, plusieurs champignons mycorhiziens sont présents et certains d’entre eux sont capables de s’associer à plusieurs espèces de plantes différentes. Cela a pour effet de créer un maillage de mycorhizes qui interconnectent les plantes entre elles.

En utilisant des marqueurs isotopiques lors d’expériences, les chercheurs ont mis en évidence des flux entre plantes via les champignons. Ces flux de carbone, d’azote et de phosphore circulent entre les plantes, même si elles sont d’espèces différentes. C’est ainsi que des mesures ont pu être réalisées dans une prairie entre une fabaceae (trèfle) et une poaceae (graminée).

Celles-ci montrent que l’azote atmosphérique fixé par le trèfle se retrouve dans la graminée qui, à son tour, donne au trèfle une part de son carbone synthétisé via la photosynthèse. Il s’agit là d’une logique de « bonne entente » par rapport à la spécialisation du trèfle (azote) et au positionnement physique de la graminée, qui est mieux placée pour réaliser la photosynthèse.

Ce mode d’échange est l’un des piliers de l’agroforesterie : il met en avant le fait que les racines profondes des arbres sont capables, avec leurs mycorhizes, d’aller puiser de l’eau et d’autres éléments en profondeur et ainsi réaliser des échanges avec les cultures se trouvant entre les arbres.

La compréhension de ces échanges en est à ses débuts.

L’étude des transferts d’éléments n’est pas aisée dans le milieu naturel, en constante évolution. À l’heure actuelle, les mesures du flux d’eau et des éléments échangés dans une prairie ne semblent pas être suffisamment élevées pour impacter réellement la croissance des plantes.

Symbiose mycorhizienne

Les mycorhizes et la symbiose qui les accompagne expliquées simplement et en image.

Améliorer nos connaissances

En l’état actuel des connaissances, nous devons revoir les modèles écologiques « classiques » de structuration des communautés végétales, basés sur la compétition des ressources, pour y intégrer la notion de mutualisme.

Ce changement de point de vue modifie complètement le regard porté sur la structuration de notre environnement.

Alors s’agit-il de réels échanges en bon voisinage ? Ou tout simplement d’un surplus de matière qui transite via les réseaux mycorhiziens et se retrouve alors disponible pour qui en a besoin, chacun se servant au passage ?

Les questions sont vastes mais se posent avec de plus en plus d’importance.

Les réseaux mycorhiziens et nos cultures

Ectomycorhizes associés aux racines de Picea glauca.
Ectomycorhizes associés aux racines de Picea glauca. Silk666

Si vous vous attendiez à trouver une recette miracle pour favoriser les réseaux mycorhiziens quoi qu’il arrive et quelles que soient vos cultures, vous allez certainement être déçus !

Est-ce que toutes les plantes sont mycorhizées ?

Certaines plantes n’ont pas besoin de mycorhizes pour se développer.

C’est le cas des Amaranthaceae (les amarantes, l’arroche, la betterave, l’épinard cultivé et la chénopode, comme le quinoa, par exemple), des Brassicaceae (choux, navet, colza, moutarde, raifort, cresson) et des Caryophyllaceae (les œillets véritables, le mouron des oiseaux).

Est-ce que toutes les semences favorisent les mycorhizes ?

Avec les améliorations génétiques réalisées pour augmenter les rendements des cultures dans des sols fertilisés, les semences sélectionnées sont moins, voire pas du tout, mycotrophes.

Les variétés récentes de tomates et de blés n’ont presque plus besoin de mycorhizes pour se développer, ce qui n’est pas le cas des anciennes variétés.

Il est évident que les graines enrobées de fongicides (le maïs, par exemple) sont destructrices de la vie fongique des sols.

Est-ce que toutes les cultures ont la même dépendance mycorhizienne?

La dépendance mycorhizienne des plantes dépend de nombreux facteurs.

Comme nous l’avons vu, toute action affectant physiquement ou chimiquement le sol (labour, fertilisation, etc.) impacte la vie du sol et donc la vie fongique.

Mais ces modifications dans le sol influent également sur le besoin ou non de mycorhization des plantes cultivées.

Des expérimentations de cultures ont mis en évidence qu’une plante cultivée dans un milieu pauvre a une dépendance très forte vis-à-vis du champignon. Si le milieu est riche, la dépendance diminue mais reste indispensable.

Dans le cas d’un sol très riche, la dépendance diminue fortement et peu même devenir un handicap pour la plante.

La quantité de phosphore disponible est l’un des facteurs les plus marquants de la présence ou non de symbiose dans les cultures. Si une fertilisation en phosphore a été réalisée, les plantes ne vont pas favoriser la symbiose mycorhizienne.

Nous pouvons également dire que les plantes n’ont, par nature, pas les mêmes besoins de mycorhization.

A condition identique de teneur en phosphore dans le sol (mesuré dans un champ à 100 parties par million), la carotte est la culture la plus dépendante (99,2% de dépendance), suivie du pois (96,7%), du poireau (95,7%), du haricot (94,7%), du maïs doux (72,7%), de la tomate (59,2%) de la pomme de terre (41,9%) et du blé (0%).

Si la teneur en phosphore baisse, le pourcentage de dépendance augmente.

De façon simplifiée, on peut classer les plantes cultivées en trois grands groupes :

  1. Dépendance forte à la mycorhization

    Carotte, poireau, oignon, légumineuses.

  2. Dépendance moyenne

    Maïs, tomate, poivron, pomme de terre.

  3. Dépendance faible

    Blé, avoine, orge.

Les légumineuses, un ménage à trois que l’on nomme métasymbiose !

La transformation de l’azote atmosphérique en ammonium demande beaucoup d’énergie à la plante qui a un besoin accru en phosphore (molécule spécialisée contenant beaucoup de P). C’est l’une des spécialités de nos champignons mycorhiziens.

Le champignon booste les bactéries fixatrices d’azote en apportant plus de phosphore, les bactéries produisent plus d’azote pour la plante et la plante, grâce à cet azote, peut absorber plus de carbone atmosphérique et ainsi distribuer plus de composé carboné à ces deux symbiotes.

Comment favoriser leurs présences dans nos cultures ?

Truffe poussant typiquement sur racines de chêne
Truffe poussant typiquement sur racines de chêne WikiImages

Au regard de ce que l’on vient de voir ci-dessus, nous pouvons d’ores et déjà mettre en avant quelques grands principes :

  • Lors de la rotation de culture, il faut prendre en compte la dépendance mycorhizienne.

    Surtout lorsqu’il s’agit de monoculture ayant intégré dans les rotations des légumes non mycorhizes (choux, betterave, etc.).

  • Le dosage et le type de fertilisation sont très importants et peuvent avoir des incidences fortes sur plusieurs années.

  • Limiter toute action affectant physiquement ou chimiquement le sol, en supprimant par exemple le labour profond et le sol nu entre les cultures.

  • Favoriser les associations de cultures permettant des échanges d’éléments, comme par exemple un pois avec une laitue ou la mise en place d’agroforesterie.

Conférences et interventions sur les mycorhizes

Potrait de Olivier Lavaud
Potrait de Olivier Lavaud Canop'Terre

Olivier Lavaud, membre de DEFI-Écologique et mycologue expert en matière de mycorhizes et réseaux mycorhiziens, notamment dans un cadre agricole, est tout désigné pour animer formations et conférences sur le sujet dans toute la France.

N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus !

Que peut-on faire de plus pour favoriser les mycorhizes ?

Il est malaisé de répondre à cette question tant le sujet est vaste et les facteurs multiples, comme souvent en agriculture.

Les professionnels le savent bien : nous avons tous des sols différents, des climats et des contraintes de productions qui nous amènent à avoir des itinéraires techniques propres à chacun de nous.

N’oublions pas l’historique des parcelles qui ont été parfois très enrichies en phosphore (effluant d’élevage) pouvant atteindre des niveaux de l’ordre de 500 à 1 000 parties par million, alors que le niveau acceptable pour les mycorhizes se situe en dessous de 100 parties par million.

En une année, un champ cultivé perd en moyenne de 5 à 10 parties par million. Cependant nous pouvons donner quelques pistes à explorer :

  • Mise en place de culture de couvert ou intercalaire maximisant la fonge.

  • La jachère en prairie est bénéfique dès la première année.

  • Passer au semis sous couvert quand c’est possible.

  • Favoriser les associations, la monoculture étant défavorable.

  • Utiliser le moins possible, voire plus du tout, de fongicides, d’herbicides et de fertilisants chimiques.

  • Suppression des labours profonds.

  • Apport de matière organique en décomposition ou à décomposer.

  • Utilisation de semence non enrobée et de semence permettant le développement de la symbiose.

Pour conclure

Un changement radical de paradigme est donc indispensable pour valoriser nos sols et maintenir un niveau de production permettant de répondre à la demande croissante.

Comme pour tout changement, un coup de baguette magique ne sera pas suffisant. Plusieurs phases sont nécessaires pour adapter nos sols à une autre agriculture.

La diversité, la rotation et l’association de plantes doivent être les nouveaux horizons de l’agriculture de demain, afin de développer et de pérenniser la vie de nos sols, de retrouver un humus riche et l’entretenir dans le respect des écosystèmes.

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