« La focalisation sur le vaccin risque de nous faire oublier les causes de la crise »

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« La focalisation sur le vaccin risque de nous faire oublier les causes de la crise »
Image d'illustration © Tmaximumge / PXHere (CC)

Entretien avec l’écologue Serge Morand, auteur du livre L’homme, la faune sauvage et la peste (Fayard, 2020), autour des risques épidémiques et de leurs origines.

- 13 décembre 2020

Serge Morand fait partie de ceux qui alertaient depuis de nombreuses années sur les risques épidémiques. Dans La prochaine peste, publié en 2016 aux éditions Fayard, l’écologue proposait même, en s’appuyant sur les dernières avancées scientifiques, un panorama historique et mondial des maladies infectieuses pour mieux appréhender « la gestion des crises sanitaires actuelles et futures ». Un an après les premiers signaux de l’apparition du Covid-19, le scientifique revient avec L’homme, la faune sauvage et la peste (toujours aux éditions Fayard), pour cette fois « révéler les responsabilités de notre civilisation dans la crise sanitaire » et proposer une lutte efficace contre « les fondements de la crise écologique, à l’origine de la transmission du coronavirus », plutôt que « d’accuser hypocritement » les animaux sauvages. Entretien.

Vos deux livres démontrent que l’émergence de nouvelles maladies infectieuses comme le Covid-19 est le résultat tout à fait prévisible d’un système qui les rend possibles, notamment à travers le développement de l’agriculture et l’effet des activités humaines sur la biodiversité. Comment caractériser le fonctionnement de ce « système » ?

Si on regarde les chiffres des dernières décennies, on observe une augmentation du nombre d’épidémies, de maladies vectorielles (maladies infectieuses transmises par des vecteurs, essentiellement insectes et acariens hématophages, ndlr) et de zoonoses (maladies ou infections qui se transmettent des animaux vertébrés à l’homme et vice versa, ndlr). Tout ce qui est lié, finalement, à des animaux et à des habitats. Un autre changement important réside dans la globalisation de ces épidémies, qu’on peut observer de façon notable à partir des années 1960, quand elles deviennent de moins en moins locales et de plus en plus globales. Ces constats rejoignent en de nombreux points ceux concernant l’Anthropocène : on observe une grande accélération de toutes les activités liées à l’économie humaine, mais aussi une grande accélération de leur impact sur la biodiversité, du transport aérien aux marchandises commerciales en passant par les flux terrestres.

Seriez-vous en faveur d'une réduction du transport aérien pour prévenir les futures épidémies ?

Pour expliquer cette empreinte écologique croissante, deux facteurs sont importants. D’abord, l’augmentation du nombre d’animaux d’élevage, qui est corrélée à l’augmentation de notre demande en protéines animales, notamment à travers l’émergence des classes moyennes et d’une agro-industrie très portée sur la consommation de viande sous toutes ses formes. Cela a des conséquences directes en termes de perte de biodiversité mais aussi en termes de maladies liées aux animaux et aux plantes, dont le nombre augmente. Le nombre d’animaux d’élevage a tellement augmenté que le poids du bétail sur la planète est désormais plus important que celui des humains. Si on compte le nombre de poulets, de poules pondeuses, de canards, d’oies et d’oiseaux domestiques en élevage, leur nombre est également plus important que tous les oiseaux sauvages réunis. Notre planète est devenue totalement dominée par quelques espèces, qui en nourrissent principalement une : l’être humain. C’est un énorme problème.

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Biomasses animales actuelles, à l'échelle de la planète © Extrait du livre La prochaine peste, de Serge Morand (éditions Fayard)

L’autre aspect de ce système que j’ai été amené à explorer plus récemment concerne les effets de la déforestation et de l’accroissement des plantations commerciales. Depuis les années 1970, on observe une régression durable des surfaces couvertes de forêts, surtout dans les pays du Sud, ainsi qu’une augmentation des plantations d’huile de palme, par exemple. On a donc un modèle globalisé de la marchandise, le plus souvent animale, qu’il convient de nourrir avec du soja ou du maïs – donc grâce à la déforestation – et que l’on transporte ensuite sur l’ensemble de la planète. Or ces phénomènes sont directement liés à l’augmentation des épidémies, des maladies zoonotiques et des maladies vectorielles comme les virus zika, chikungunya ou malaria. Ce système est devenu totalement fou.

Et ces grandes tendances ont des conséquences directes au niveau local. On assiste à une simplification des paysages qui étaient jadis souvent multifonctionnels, avec des agricultures essentiellement familiales et de vastes forêts. Aujourd’hui, on perd de la biodiversité mais on perd surtout des interactions avec elle, c’est-à-dire des régulations : les rats ou les souris qui étaient régulés par des prédateurs, ou les insectes qui étaient régulés par des oiseaux ou des chauve-souris, ne le sont plus autant qu’avant. Ces effets de prédation disparaissent. Par conséquent, les agents infectieux qui circulent dans ces animaux sont favorisés car les vecteurs augmentent en abondance et en densité. Cela amplifie et accélère ce qu’on appelle des débordements de la faune sauvage vers les animaux domestiques et les humains.

L’apparition du Covid-19 est-elle pour autant directement liée au système que vous décrivez ? Beaucoup d’incertitudes demeurent sur son origine…

Vous avez raison, et on est encore loin de pouvoir les lever. Il faudra regarder comment nos collègues chinois vont pouvoir travailler et surtout publier leurs résultats sur le sujet. Plusieurs hypothèses sur l’origine du Covid-19 existent, et on ne peut pas vraiment ni les réfuter ni les valider pour l’instant. Celle que je privilégie de par mon travail du moment expliquerait l’apparition son apparition par l’augmentation de la mise en élevage de la faune sauvage. Cette augmentation, on l’observe aujourd’hui à la fois pour la fourrure, pour la nourriture, pour les animaux de compagnie et pour la médecine traditionnelle.

 

« Il n’est pas exclu qu’une épidémie de dengue, de zika ou de chikungunya se déclare à Paris dans les prochaines décennies »

Serge Morand, écologue et auteur de "L’homme, la faune sauvage et la peste"

Quand on regarde l’émergence du coronavirus qu’on retrouve dans des espèces-réservoirs (toute espèce qui participe majoritairement au cycle de reproduction d’un agent pathogène, ndlr) comme les chauve-souris ou les rongeurs, on constate qu’il ne passe jamais directement chez les humains. Il y a toujours un hôte intermédiaire, car la clé moléculaire en question ne permet pas de rentrer dans la cellule humaine. Il faut donc un hôte entre les espèces-réservoirs et les êtres humains permettant d’acquérir cette clé, soit par mutation, soit par des phénomènes de recombinaison avec un autre coronavirus. Il pourrait s’agir d’animaux mis en élevage depuis des décennies, comme les cochons ou les vaches, ou encore des animaux plus récemment mis en élevage comme la civette.

Cette piste est selon moi à privilégier s’agissant du Sars-Cov-2, notamment parce qu’on a eu très récemment 15 millions de visons mis en abattage au Danemark du fait de leur contamination par une forme mutante du Covid-19. Ces types d’animaux se révèlent être des bons hôtes intermédiaires pour la transmission du coronavirus : ils sont infectés par le virus mais sont surtout capables de se réinfecter, voire d’infecter des êtres humains. Une autre étude publiée récemment s’intéresse au cas du chien viverrin, en montrant qu’il s’agit également d’un très bon hôte intermédiaire, avec des infections possibles et une bonne charge virale.

Pour résumer, beaucoup de fermes d’animaux sauvages ont été mises en place ces dernières années, créant les conditions potentielles pour faire le lien entre nouveaux animaux d’élevage, animaux domestiques et humains. C’est ce qui permet des débordements, des petites transmissions locales et finalement une adaptation du virus aux humains, qui peut circuler à bas bruit pendant quelque temps avant d’apparaître sous nos yeux. Cela expliquerait aussi pourquoi le Covid-19 est si bien adapté aux êtres humains, ce qui n’est pas le cas de tous les virus émergents, et renforcerait mon hypothèse selon laquelle nous avons un problème profond de relation avec les animaux.

Comme vous l’avez dit, la période actuelle est aussi très mondialisée. Les pays du monde entier n’ont sans doute jamais été aussi interconnectés de leur histoire. C’est ce qui rend la diffusion de ces maladies infectieuses particulièrement rapide ?

Les épidémies naissent à une échelle locale, mais comme notre système est entièrement global, dès qu’elles arrivent dans un grand centre urbain, la propagation est inévitable. Dans La prochaine peste, je racontais comment les épidémies de choléra au XIXe siècle se propageaient de l’Inde à l’Europe en suivant la vitesse de circulation des bateaux. Ce qui change aujourd’hui, c’est que le nombre de pays connectés les uns aux autres augmente. Même chose pour la quantité de ces échanges et leur vitesse. En 1970, on comptait à peine 500 millions de passagers aériens ; en 2018, c’était plus de 4,3 milliards. C’est colossal ! On a perdu localement ce que j’appelle la modularité, c’est-à-dire de petits modules isolés les uns des autres, qui ne se mélangeaient pas beaucoup entre eux. Pour sortir de ce système, il faudrait retravailler en profondeur sur la mobilité et la connectivité des territoires les uns avec les autres.

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Evolution du nombre de passagers aériens dans le monde depuis les années 1970 © Hsye2361 / Wikimédia (CC)

Le dérèglement climatique favorise aussi les risques épidémiques pour toutes les maladies liées à l’eau, transmises par des vecteurs ou dépendant d’animaux réservoirs sauvages. « Nous sommes certains que des conditions climatiques optimales pour la transmission de nombreuses maladies vont se trouver réunies, mais actuellement incapables de prévoir leurs amplitudes temporelles », écriviez-vous dans La prochaine peste en 2016. Dit autrement, on sait que la transmission de ces maladies risque d’avoir lieu, mais on ne sait pas encore quand ?

Tout à fait. Typiquement, le lien entre le commerce et le dérèglement climatique, on l’observe directement à travers les déplacements des moustiques. Certains moustiques ont commencé à se disperser avec les premières périodes de mondialisation et la traite esclavagiste, puis se sont propagés au monde entier au cours des siècles suivants. Par exemple, le moustique de la fièvre jaune héberge très bien le virus de la dengue, qui est apparu il y a mille ans environ, mais aussi des virus nouveaux comme le zika ou le chikungunya, qui ont émergé en 1950. Ces moustiques vont dans des endroits où il trouve de bonnes niches environnementales.

D’autres moustiques ont aussi commencé à se déplacer comme le moustique tigre, qui s’est répandu partout avec le transport de marchandises diverses, pour s’installer essentiellement en Europe dans les années 2000. Il est très clair que ce moustique s’est déplacé grâce au réchauffement : son expansion se fait de plus en plus vers le nord, et il est aujourd’hui aux portes de Paris. Notre climat s’est en quelque sorte « adapté » aux cycles de ce moustique. Ces signaux peuvent être potentiellement contrôlés grâce à des systèmes de santé publique efficaces, mais la pandémie actuelle a bien montré que les nôtres sont en partie défaillants. Il n’est pas exclu qu’une épidémie de dengue, de zika ou de chikungunya se déclare à Paris dans les prochaines décennies. D’autant que les populations européennes n’ont pas été exposées à ces virus. Elles y sont donc particulièrement vulnérables. 

Quel regard portez-vous sur l’arrivée imminente de plusieurs vaccins contre le Covid-19, et surtout sur le fait qu’ils semblent envisagés comme un moyen de « sortir » de la crise sanitaire actuelle ?

Le confinement a été décidé parce qu’on était incapable de gérer les malades dans nos hôpitaux, ce qui montre que notre système de santé publique n’est pas suffisamment résilient. Mais c’est aussi ce qui explique, aujourd’hui, l’accélération de la mise en place des vaccins : il s’agit de libérer notre système hospitalier pour faire reprendre l’activité économique. Je compte évidemment me faire vacciner, mais ce que je crains, c’est qu’on effleure à peine les origines de cette crise, qui sont à la conjonction de l’écologie, de l’économie, de la santé publique et de l’agronomie. En cela, cette focalisation sur le vaccin peut nous conduire à oublier les causes profondes de la situation actuelle. On se redirige déjà vers des solutions de court terme, de type technologique ou strictement scientifique. C’est comme si on se préparait déjà à la prochaine crise, en essayant de mieux la prévoir. Alors qu’il faudrait revoir de fond en comble notre modèle de société.

 

« Il va falloir prendre en compte, en Europe, le fait que les gens malades doivent se reposer et ne pas contaminer les autres. C’est un problème de santé publique majeur »  

Venons-en justement aux préconisations. À une échelle individuelle, d’abord, faut-il s’attendre à devoir garder certains réflexes comme le port du masque ou la distanciation sociale ? Que peut-on faire pour se préparer aux prochaines crises sanitaires ?

En Thaïlande, où je suis actuellement installé pour mener mes recherches, on porte le masque dès qu’on est malade, dès qu’on commence à tousser ou à avoir un petit rhume. C’est considéré comme le pire de l’égoïsme de ne pas protéger les autres. Mais on évite aussi, plus généralement, d’aller travailler et de rencontrer d’autres personnes lorsqu’on peut transmettre ses microbes. La difficulté est bien sûr la pression souvent exercée par les employeurs pour éviter de poser un jour de congé… Mais il va falloir prendre en compte, en Europe, le fait que les gens malades doivent se reposer et ne pas contaminer les autres. C’est un problème de santé publique majeur, qu’il faut vraiment arriver à intégrer au niveau individuel.

Ensuite, quand j’étais en France à la fin du mois de février, j’hallucinais un peu en voyant l’absence d’application des gestes barrières… Personne n’avait l’air de se rendre compte que le virus allait bientôt éclater. Dans les annonces édictées à l’époque, le gouvernement a mentionné le fait de devoir se laver les mains, ce qui a été un vrai choc pour moi. Quand j’étais petit et que je revenais de l’école, il était hors de question que je puisse manger mon goûter si je ne m’étais pas lavé les mains ! On a par ailleurs appris qu’il n’y avait même pas suffisamment de savon dans certaines écoles pour protéger les élèves, ce qui en dit long sur notre niveau de préparation. Comment apprendre l’hygiène aux gens si l’école n’est pas dotée de moyens suffisants ?

En revanche, j’espère qu’on va pouvoir se passer de la distanciation sociale. Nous sommes des êtres vivants, des êtres sociaux, et nous devons pouvoir retrouver notre sociabilité, notre vie en commun. Il faudrait plutôt s’habituer à vivre avec des infections, travailler sur notre résilience et notre tolérance aux risques plutôt que sur l’éradication pure et simple. Dans le Conseil scientifique chargé d’éclairer le gouvernement, on peut d’ailleurs noter qu’il n’y a aucun membre issu de la santé publique mais quasiment uniquement des infectiologues, qui se focalisent davantage sur les traitements. Dans les récompenses données par l’Inserm cette année, on retrouve également uniquement des gens ayant travaillé sur l’essai clinique Discovery, c’est-à-dire sur l’infectiologie. La santé publique n’existe pas dans ces cercles ! C’est assez révélateur de leur vision de la médecine. Alors que, comme je le rappelais dans La prochaine peste, la réduction complète des maladies infectieuses a souvent été permise à travers l’Histoire par le médicament, la santé publique et l’hygiène, pas forcément par le vaccin ou les antibiotiques.

Au niveau national, quel type de dispositifs sociaux pourraient être mis en place ?

En France, on a une vision très hiérarchique des prises de décisions sanitaires. La société est de plus en plus divisée, elle ne fait plus du tout confiance à ses élites, quelles qu’elles soient. Il faut donc recréer du lien, de la confiance. Cela ne peut se faire qu’en redonnant du pouvoir au citoyen et à toutes les communautés locales. En Thaïlande, on conserve une vision communautaire de la santé : il y a actuellement 1,3 million de volontaires de la santé dans le pays. Chaque village et chaque quartier de grande ville dispose d’un ou deux volontaires qui font le lien entre la communauté, l’élu, l’hôpital ou le dispensaire et le département de la santé. Ces citoyens participent à l’éducation populaire et collective de la population. Ce sont des systèmes low-cost, qui permettent de redonner à la santé une valeur de bien commun et non une valeur économique, qui mettrait « en danger » l’activité productive.

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Des étudiantes en Thaïlande, image d'illustration © Pikist (CC)

Refaire confiance aux gens, aux communautés, aux associations et aux élus locaux est donc la clé. En Thaïlande, le port du masque obligatoire n’est d’ailleurs jamais passé par un décret : il est fortement conseillé dans les lieux publics et a été rendu obligatoire seulement dans le métro, qui appartient à une compagnie privée. Il n’y a jamais eu de policiers dédiés à la mission de « mettre une amende » pour ce motif-là. En France, si on avait pris cette mesure localement, en concertation avec les commissariats et les gendarmeries, on aurait pu créer un consensus, qui se serait passé de cette répression insupportable. Cette sortie de crise post-Covid aurait pu être un moyen de recréer de la démocratie, mais ça semble déjà raté…

À l’échelle mondiale, enfin, vous écrivez qu’il faudrait « démondialiser, relocaliser et renationaliser » l’économie. Cela pourrait-il passer par une forme de « gouvernance mondiale » permettant de de faire la conjonction entre climat, biodiversité, santé et justice sociale ?

Il faut articuler le local, le régional, le national et le global. L’OMS va sans doute ramer pour regagner la confiance du grand public après ses erreurs de gestion de crise au début de l’épidémie, mais d’autres institutions comme l’Unesco, qui porte des valeurs d’éducation, de conservation et de science, peuvent jouer un rôle important. Ce sont des espaces de paix, où l’on peut discuter et se retrouver en concertation. Le programme des Nations Unies pour l’environnement est une autre arène à mobiliser, car il porte plusieurs agendas à la fois, que ce soit sur la question des migrations ou des espèces animales.

« Le double langage n’est plus possible : l’Union européenne ne peut plus signer des traités de libre-échange tout en faisant du dérèglement climatique sa priorité »

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture dispose aussi de plusieurs branches qui, si elles ne s’écoutent pas vraiment entre elles, font souvent un travail remarquable. Cette institution vient de sortir un superbe rapport sur la question du sol et de la biodiversité, par exemple. On sent qu’il y a une prise de conscience progressive, qui consiste à se rendre compte que les défis auxquels sont confrontés chacun des pays du monde sont liés. L’idée de santé planétaire pourrait permettre de décliner les enjeux de santé et d’environnement dans toutes les politiques publiques nationales. Ce n’est pas gagné, parce que la question de l’implantation de ces objectifs à un niveau étatique est encore loin d’être tranchée… Il faudra donc aussi favoriser l’intersectorialité, pour que les ministères de la Santé, de l’Environnement et de l’Intérieur discutent entre eux dans chaque pays.

Enfin, il va sans doute falloir changer notre rapport à l’économie. L’économie doit ré-internaliser des coûts qui lui sont trop souvent externes, y compris dans le domaine de la santé humaine, animale et florale. On pointe généralement du doigt des pays comme l’Indonésie parce qu’ils favorisent le business de l’huile de palme, mais ces exportations sont essentiellement dirigées pour satisfaire des zones développées comme l’Europe ou la Chine. Les impacts environnementaux, sociaux et sanitaires de ces questions se recoupent, il est donc crucial qu’ils ne soient plus perçus comme de simples externalités. Cela passe évidemment par la fin des traités de libre-échange qui échappent aux juridictions nationales mais surtout à la protection environnementale, sociale et sanitaire des populations. Le double langage n’est plus possible : l’Union européenne ne peut plus signer ce type de traités tout en faisant du dérèglement climatique sa priorité.

Vous confiez avoir « failli devenir collapsologue » l’an dernier, au beau milieu de vos recherches. Comment avez-vous « domestiqué » cette peur ?

 Oui, ça a été très dur pour moi l’année dernière, je n’arrivais plus à écrire. Mais garder contact avec la nature et avec les gens, dans des sociétés et des communautés qui visent le bien-être, m’a permis de m’en sortir. J’ai fini par réaliser qu’on ne peut pas simplement préparer les sociétés à « l’après-effondrement ». Je reste relativement pessimiste, mais je me considère comme un pessimiste actif ! Bien vivre ensemble, c’est bien vivre avec les humains et avec les non-humains. C’est ce qui me donne de l’espoir, et c’est ce qui constitue l’enjeu de tous les défis pour l’avenir.