Refaire
confiance aux gens, aux communautés, aux associations et aux élus
locaux est donc la clé. En Thaïlande, le port du masque obligatoire
n’est d’ailleurs jamais passé par un décret : il est fortement conseillé
dans les lieux publics et a été rendu obligatoire seulement dans le
métro, qui appartient à une compagnie privée. Il n’y a jamais eu de
policiers dédiés à la mission de « mettre une amende » pour ce motif-là.
En France, si on avait pris cette mesure localement, en concertation
avec les commissariats et les gendarmeries, on aurait pu créer un
consensus, qui se serait passé de cette répression insupportable. Cette
sortie de crise post-Covid aurait pu être un moyen de recréer de la
démocratie, mais ça semble déjà raté…
À l’échelle mondiale, enfin, vous écrivez qu’il faudrait « démondialiser, relocaliser et renationaliser »
l’économie. Cela pourrait-il passer par une forme de « gouvernance
mondiale » permettant de de faire la conjonction entre climat,
biodiversité, santé et justice sociale ?
Il
faut articuler le local, le régional, le national et le global. L’OMS
va sans doute ramer pour regagner la confiance du grand public après ses erreurs de gestion de crise au début de l’épidémie, mais d’autres institutions comme l’Unesco,
qui porte des valeurs d’éducation, de conservation et de science,
peuvent jouer un rôle important. Ce sont des espaces de paix, où l’on
peut discuter et se retrouver en concertation. Le programme des Nations Unies pour l’environnement
est une autre arène à mobiliser, car il porte plusieurs agendas à la
fois, que ce soit sur la question des migrations ou des espèces
animales.
« Le double langage n’est plus possible : l’Union européenne ne peut
plus signer des traités de libre-échange tout en faisant du dérèglement
climatique sa priorité »
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
dispose aussi de plusieurs branches qui, si elles ne s’écoutent pas
vraiment entre elles, font souvent un travail remarquable. Cette
institution vient de sortir un superbe rapport sur la question du sol et de la biodiversité,
par exemple. On sent qu’il y a une prise de conscience progressive, qui
consiste à se rendre compte que les défis auxquels sont confrontés
chacun des pays du monde sont liés. L’idée de santé planétaire pourrait
permettre de décliner les enjeux de santé et d’environnement dans toutes
les politiques publiques nationales. Ce n’est pas gagné, parce que la
question de l’implantation de ces objectifs à un niveau étatique est
encore loin d’être tranchée… Il faudra donc aussi favoriser l’intersectorialité, pour que les ministères de la Santé, de l’Environnement et de l’Intérieur discutent entre eux dans chaque pays.
Enfin,
il va sans doute falloir changer notre rapport à l’économie. L’économie
doit ré-internaliser des coûts qui lui sont trop souvent externes, y
compris dans le domaine de la santé humaine, animale et florale. On
pointe généralement du doigt des pays comme l’Indonésie parce qu’ils
favorisent le business de l’huile de palme,
mais ces exportations sont essentiellement dirigées pour satisfaire des
zones développées comme l’Europe ou la Chine. Les impacts
environnementaux, sociaux et sanitaires de ces questions se recoupent,
il est donc crucial qu’ils ne soient plus perçus comme de simples
externalités. Cela passe évidemment par la fin des traités de
libre-échange qui échappent aux juridictions nationales mais surtout à
la protection environnementale, sociale et sanitaire des populations. Le
double langage n’est plus possible : l’Union européenne ne peut plus
signer ce type de traités tout en faisant du dérèglement climatique sa priorité.
Vous confiez avoir « failli devenir collapsologue » l’an dernier, au beau milieu de vos recherches. Comment avez-vous « domestiqué » cette peur ?
Oui, ça a été très dur pour moi l’année dernière, je n’arrivais plus à
écrire. Mais garder contact avec la nature et avec les gens, dans des
sociétés et des communautés qui visent le bien-être, m’a permis de m’en
sortir. J’ai fini par réaliser qu’on ne peut pas simplement préparer les
sociétés à « l’après-effondrement ». Je reste relativement pessimiste,
mais je me considère comme un pessimiste actif ! Bien vivre ensemble,
c’est bien vivre avec les humains et avec les non-humains. C’est ce qui
me donne de l’espoir, et c’est ce qui constitue l’enjeu de tous les
défis pour l’avenir.