Green Deal européen: «Cessons d’incriminer le nucléaire!»

Vers le site du figaro.fr 

 

FIGAROVOX/TRIBUNE - L’Union Européenne a tort de ne pas traiter l’énergie nucléaire comme une énergie verte dans sa taxonomie, déplore Bruno Alomar. L’économiste souligne le fait que plusieurs ex-pays d’Europe centrale et orientale ont de leur côté décidé de reprendre des projets de construction de centrales abandonnés.

Par Bruno Alomar

Publié , mis à jour

«L’atome resterait ainsi sur le bord de la route, contrairement aux énergies renouvelables telles que les énergies tirées de la biomasse, l’éolien, ou le solaire, lesquelles sont pourtant tout sauf neutres en matières premières»
«L’atome resterait ainsi sur le bord de la route, contrairement aux énergies renouvelables telles que les énergies tirées de la biomasse, l’éolien, ou le solaire, lesquelles sont pourtant tout sauf neutres en matières premières» Gilles Paire/Gilles Paire - Fotolia

Bruno Alomar est économiste et ancien membre du cabinet du Commissaire européen à l’énergie.


L’argent, nerf de la guerre. Cet aphorisme arrive également à s’appliquer dans le domaine environnemental. L’Union européenne (UE), qui a mis au cœur du mandat de l’actuelle Commission le Green Deal, en est bien consciente. Afin de parvenir à ses objectifs environnementaux, les plus ambitieux du monde, l’UE, depuis 2018 et son plan d’action «Financer la Croissance Durable», a chiffré à 180 milliards d’euros d’ici à 2030 les investissements publics et privés nécessaires dans les énergies neutres en carbone. Ce plan prévoit une série de mesures, dont la principale est la création d’une taxonomie européenne, avec pour objectif d’encadrer le marché des produits financiers dits «durables» ou «verts».

» LIRE AUSSI - Sortie du nucléaire: la justice allemande demande de revoir les indemnisations des énergéticiens

Or, l’électricité d’origine nucléaire, à ce jour, ne peut selon l’UE bénéficier d’un tel label «vert». Le groupe d’expert en charge de l’analyse de cette énergie a notamment souligné la question épineuse des déchets nucléaires. L’atome resterait ainsi sur le bord de la route, contrairement aux énergies renouvelables telles que les énergies tirées de la biomasse, l’éolien, ou le solaire, lesquelles sont pourtant tout sauf neutres en matières premières. Une contre-expertise est à l’œuvre, dont les résultats sont attendus en 2021, signe que le débat fait rage.

Disons-le clairement: en matière d’énergie, rien de plus désastreux que l’idéologie et les fausses promesses. Elles aboutissent à des absurdités, comme l’ouverture en Allemagne de la centrale à charbon de Datteln-4 - hautement polluante - pour compenser la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Le Royaume-Uni sorti de l’UE manifeste une volonté puissante de développer la part nucléaire de son mix énergétique depuis 2009

La question des déchets nucléaires est une vraie question, qui ne doit pas être balayée d’un revers de main. Pas plus qu’une réalité que les pourfendeurs de l’atome s’obstinent pourtant à nier, envers et contre toute analyse, même issue du GIEC: l’électricité d’origine nucléaire, du fait de son bilan carbone, fait partie de l’équation environnementale déjà ô combien difficile à laquelle nous sommes confrontés.

Dans ce contexte, qu’il soit permis de souligner ici deux effets négatifs qu’emporterait le maintien d’une définition de la taxonomie européenne qui confirmerait l’éviction du nucléaire.

D’abord, elle n’empêcherait pas le développement de l’énergie nucléaire dans l’UE, et plus largement, l’atmosphère ne connaissant pas de frontières, en Europe. Ainsi, qu’on le regrette ou non, le Royaume-Uni sorti de l’UE manifeste une volonté puissante de développer la part nucléaire de son mix énergétique depuis 2009. Au sein de l’UE également, le mouvement est clairement lancé.

» LIRE AUSSI - «Les éoliennes sont un scandale environnemental stupéfiant»

Si la France marque des hésitations en la matière, tel n’est pas le cas de plusieurs ex-pays d’Europe centrale et orientale qui ont décidé de reprendre des projets de construction de centrales abandonnés (Bulgarie avec le projet Belene ; Hongrie avec le projet Pacs-2, République tchèque avec le lancement d’un appel d’offre portant sur une 5e tranche nucléaire). Le Nord de l’Europe n’est pas en reste avec le projet finlandais d’Olkiluoto.

Ensuite, et c’est plus grave, l’UE doit bien être consciente que si elle n’investit pas dans l’énergie nucléaire, ce sont d’autres puissances qui fourniront ses besoins. Les États-Unis, par exemple, qui ont signé il y a un mois avec la Pologne un accord portant sur le développement de la technologie électronucléaire, pour une durée de trente ans.

C’est dire, en définitive, combien l’UE, tel le renard de la fable, ne doit pas, à force de ne pas la trouver suffisamment verte, délaisser l’énergie nucléaire

La Russie également, avec son champion Rosatom, qui n’a cessé de croire en l’atome et dont les succès à l’export (Inde, Turquie) sont autant d’arguments pour les pays de l’Est européen. Sans compter la Chine, dont la technologie (réacteur Hualong One) n’a eu de cesse de monter en niveau, et qui peut prétendre, avec la Russie, constituer un duopole mondial à l’égard duquel les Européens se trouveront inévitablement dépendants s’ils persistent à ostraciser l’atome.

C’est dire, en définitive, combien l’UE, tel le renard de la fable, ne doit pas, à force de ne pas la trouver suffisamment verte, délaisser l’énergie nucléaire. Il ne s’agit pas, à l’occasion du débat sur la taxonomie, d’accorder un quelconque privilège à l’atome ; il s’agit de le traiter comme ce qu’il est, c’est à dire une énergie décarbonée.

» LIRE AUSSI - La France produit-elle encore assez d’électricité?

Faute de quoi l’UE, si prompte à se proclamer championne dans le domaine environnemental, qui se dit désormais soucieuse de souveraineté et d’indépendance stratégique, aura réussi à se tirer deux fois dans le pied.