Chronique parue dans L’Express du 1er octobre 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express
est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus
souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur.
Hydrogène par ci, hydrogène par là, voici donc quelques mois que ce premier élément du tableau périodique a le vent en poupe.
Grâce à lui, nous allons propulser des avions propres, des voitures propres, des bateaux propres, bref nous débarrasser en un tour de main de notre vieux monde cracra tout en conservant les acquis du monde en question.
L’hydrogène, c’est l’élément le plus abondant de l’univers. Malheureusement, il n’est jamais facilement accessible. Celui contenu dans les galaxies est un peu loin, celui contenu dans le soleil aussi, et sur notre bonne vieille terre il n’existe qu’au sein de molécules où il est « cramponné » à d’autres atomes, avec une envie modérée de s’en séparer.
Le premier gisement d’hydrogène sur terre est contenu dans… l’eau, et l’océan n’en manque pas. Mais cet hydrogène n’est pas prêt à l’emploi : pour le séparer de l’oxygène dans la molécule d’eau (de formule H2O), il faut briser la liaison O-H, et cela demande de l’énergie. En fait, la physique est impitoyable : l’énergie nécessaire pour séparer l’hydrogène de l’oxygène – auquel il est solidement « cramponné » – est exactement égale à l’énergie que l’hydrogène fournira quand il brûlera, c’est-à-dire… s’associera de nouveau à de l’oxygène (par combustion ou dans une pile à combustible) pour reformer de l’eau !
Les molécules organiques contiennent aussi beaucoup d’hydrogène, ainsi que leurs dérivés fossiles, dont le gaz naturel, de formule CH4, en contient le plus en proportion. Cet hydrogène là n’est pas non plus « prêt à l’emploi » : il faut cette fois ci le séparer du carbone, ce qui demande aussi de l’énergie, mais moins que pour le séparer de l’oxygène cependant.
Cette séparation de l’hydrogène d’autres atomes est déjà d’usage courant dans l’industrie : en 2019, il s’en est produit 75 millions de tonnes dans le monde. Pour le moment la technique employée, sauf rarissime exception, s’appelle le reformage du méthane. Pour cela, on mélange ensemble de la vapeur d’eau et du méthane ; on chauffe l’ensemble très fort (en brûlant du gaz), et les atomes se réarrangent de la manière suivante : 2*H20 + CH4 -> 4*H2 + CO2.
Nous obtenons bien de l’hydrogène gazeux dans cette affaire, mais aussi… du CO2. Il provient à la fois de la réaction chimique elle-même, mais aussi de la combustion du gaz naturel qui a fourni l’énergie nécessaire à cette réaction. Pour une tonne d’H2 produite, 10 tonnes de CO2 partent dans l’air. Utiliser cet hydrogène dans une voiture donne des émissions par km à peu près identiques à celles de l’essence. Au lieu d’être créé dans le moteur de la voiture, le CO2 l’est dans la production de l’hydrogène à l’amont.
Mais, pour le moment, l’hydrogène ne sert quasiment pas aux transports, car il est très malcommode à stocker. Une petite moitié sert pour fabriquer de l’ammoniac (NH3), par association avec de l’azote pris dans l’air, pour ensuite produire des engrais azotés. Une autre petite moitié sert dans les raffineries pour ôter le souffre des carburants.
Produire l’hydrogène à partir de gaz fossile, quels qu’en soient les usages à l’aval, ne permet donc pas de résoudre le problème climatique. D’aucuns espèrent qu’il sera possible de capturer le CO2 émis pendant la production puis de l’enfouir sous terre, mais ce genre de processus ne sera pas à l’échelle si on veut remplacer par de l’hydrogène une fraction significative des 4 milliards de tonnes de pétrole utilisées en 2019 [NDR : dans le monde]
Pour que l’hydrogène soit « vert », il faut électrolyser de l’eau avec de l’électricité bas carbone (nucléaire, éolien, hydraulique ; le solaire est déjà presque trop carboné à cause de la fabrication du panneau). Mais il y a un petit problème d’ordre de grandeur : en France, pour remplacer tous nos carburants par de l’hydrogène obtenu par électrolyse à partir d’électricité éolienne, il faudrait multiplier par 15 la puissance installée dans l’Hexagone en moulins à vent modernes, et doubler la production électrique totale…
Il y a deux domaines où il est réaliste d’envisager de produire de l’hydrogène décarboné par électrolyse, le nucléaire étant alors l’option la plus facile à gérer : la production d’engrais, toujours, et la réduction du minerai de fer pour produire de l’acier. Dans le domaine des transports, mes enfants seront morts que nous n’aurons toujours pas l’aptitude à remplacer par de l’hydrogène « propre » une fraction significative des 3 milliards de tonnes de carburants consommés en 2019 [NDR : dans le monde].
Cadeau bonus : un graphique à l’appui de cet article
Vous trouverez ci-dessous un graphique non publié avec la chronique, mais (très) utile pour appuyer le propos.
Répartition par catégorie des produits raffinés utilisés dans le monde en 2019 (données BP Statistical Review). Sont des carburants : gasoline (= essence en français), kerosine (kérosène ou jet fuel en français), l’essentiel de gasoil (qui en fait regroupe le gasoil et le fioul domestique, qui sont exactement le même produit, mais – en France – appelés différemment parce que soumis à des fiscalités différentes), et fuel oil (= fioul lourd en français, utilisé pour une large part dans la marine marchande, l’autre morceau allant dans l’industrie).
La consommation totale de produits pétroliers dans le monde avoisinant les 4,5 milliards de tonnes en 2019 (merci le covid après !), et les carburants faisant à peu près les 2/3 du total, ca fait donc environ 3 milliards de tonnes de carburant.
Pour avoir le même contenu énergétique en hydrogène, il faudrait environ 1 milliard de tonnes, demandant plus du doublement de la production électrique mondiale pour être produits…