S’engager pour endiguer la perte de biodiversité : une nécessaire nouvelle copie pour tous les États de la planète
Vers le site de l'université de Paris SACLAY
N.D.L.R. Le vivant se meurt, et nous regardons ailleurs.
À l’occasion des Semaines du développement soutenable à l’Université Paris-Saclay et de sa participation au live du 8 octobre,
Paul Leadley, chercheur au laboratoire Ecologie, systématique & évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech) et contributeur du 5e Global Biodiversity Outlook paru mi-septembre, revient sur les principales conclusions de ce rapport qui préfigure les efforts à réaliser par les États d’ici 2030 en faveur de la biodiversité, pour espérer en infléchir une incontestable érosion.
Le couperet est tombé, implacable et sans appel. Sur les 20 objectifs d’Aichi adoptés en 2010 par les 195 États parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) réunis à l’époque à Nagoya (Japon), aucun n’a aujourd’hui été pleinement atteint. Au mieux, pour la moitié d’entre eux, ils l’ont été partiellement. Au pire, les indicateurs ont régressé. Et le bilan que dresse le cinquième Global Biodiversity Outlook (GBO5) rendu mi-septembre par l’ONU ne laisse planer aucun doute : sur la décennie écoulée, les États n’en ont pas assez fait en faveur de la Nature, malgré leurs promesses, et la situation ne cesse de se dégrader, inexorablement.
Pourtant, les objectifs affichés étaient clairs. Avec eux, les États s’engageaient à réduire les pressions directes exercées sur la biodiversité, à la sauvegarder à tous les niveaux en encourageant son utilisation durable, à accroître ses bienfaits pour tous et à renforcer les efforts internationaux et nationaux entrepris dans ce sens. Il s’agissait, d’ici 2020, de réduire au moins de moitié la perte des habitats naturels, y compris les forêts, de protéger 17 % des zones terrestres et des eaux continentales, et 10 % des zones marines et côtières, de conserver et de restaurer au moins 15 % des zones dégradées, de faire un effort spécial pour réduire les pressions sur les récifs coralliens, et de mettre en œuvre un plan d’action sur les villes.
« Certains objectifs ne sont pas loin d’avoir été remplis, notamment ceux liés à la protection des aires terrestres et marines, et on a observé une augmentation spectaculaire de la surface protégée en milieu marin ces dernières années. En revanche, pour beaucoup d’autres objectifs, c’est clairement un aveu d’échec », constate Paul Leadley, chercheur au laboratoire Écologie, systématique & évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech), mais également contributeur du GBO5 et parallèlement impliqué dans la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité).
Des mesures en deçà des pressions
Si les États arguent d’un grand nombre de mesures mises en place sur la décennie pour protéger la Nature, celles-ci ont été sous-dimensionnées et se révèlent insuffisantes au regard des pressions - l’utilisation des terres, l’utilisation des ressources, le changement climatique, la pollution et les espèces envahissantes - qui s’exercent sur la biodiversité et les écosystèmes, et qui ne diminuent pas. « Aujourd’hui, on ne fait pas assez de choses pour diminuer ces pressions », confirme Paul Leadley. « Par exemple, si on ne modifie pas des pratiques agricoles qui rejettent beaucoup de pesticides dans l’environnement, on aura beau mettre en place des aires protégées, on rencontrera toujours les mêmes difficultés à protéger plus globalement et durablement la Nature », continue le chercheur.
Alors, est-il aujourd’hui encore possible de réduire cette perte de biodiversité, voire même d’en inverser son érosion fatidique et de la restaurer ? Paul Leadley l’évoque. Mais cela ne se fera pas sans un changement significatif des pratiques courantes dans un large éventail d'activités humaines. Décrites dans le GBO5, des transitions soutenables, opérant à différentes échelles et interdépendantes, sont à prévoir dans des domaines clés - terres et forêts, eau douce, pêche et océans, agriculture, systèmes alimentaires, villes et infrastructures, action climatique, santé - pour collectivement faire évoluer les sociétés vers une coexistence plus durable avec la Nature. Ces mesures ont pour objectifs d’améliorer la conservation et la restauration des écosystèmes ; d’atténuer le changement climatique ; de mettre en place des mesures contre la pollution, les espèces exotiques envahissantes et la surexploitation ; de produire de façon plus durable des biens et des services, notamment alimentaires ; et de réduire la consommation et les déchets. Aucune de ces actions, prise séparément, ne sera suffisante pour espérer infléchir la courbe d’ici 2030, et c’est bien leur combinaison qui se révélera utile pour restaurer la biodiversité d’ici 2050.
« Même si cela va dans le bon sens, il faut encore renforcer les efforts réalisés en faveur des aires protégées. Et surtout, il faut un fort investissement en faveur de la restauration et aussi modifier drastiquement nos modes de consommation, alimentaire ou autre, et de production agricole. Sans cela, on n’y arrivera pas », déclare le chercheur qui a largement contribué à la rédaction de cette partie du rapport.
Des dirigeants qui s’engagent pour la Nature
Cet ensemble d’actions dresse une nouvelle feuille de route d’objectifs à se fixer d’ici 2030, qui seront au cœur des discussions et des négociations de la 15e réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15), prévue en mai 2021 en Chine. Des objectifs qui, même si certains sont moins évidents que d’autres, se doivent d’être à la fois ambitieux et réalistes pour être atteignables, à condition de le vouloir. « Si les États sortent de cette réunion en se satisfaisant de placer 30 % des aires terrestres et marines en zones protégées, alors la COP 15 sera un échec. Il faut que les autres points soient également abordés et que les États s’engagent à fortement les modifier, pointe Paul Leadley. On peut inverser la tendance, mais seulement si on fait les choses ensemble. »
Et le contexte actuel de pandémie de Covid-19 ne peut qu’appeler une conjonction des forces. « Face à cette crise sanitaire et les investissements à réaliser pour relancer l’économie, beaucoup de pays, notamment ceux de l’Union européenne, ont affiché une volonté d’opérer un tournant vert. L’opportunité de transition offerte actuellement est extraordinaire, mais vont-ils réellement la saisir ? L’avenir le dira », commente Paul Leadley. Fin septembre, à l’issue de la 75e session de l’assemblée générale de l’ONU, une soixantaine de dirigeants mondiaux, dont le Président Emmanuel Macron pour la France, ont signé un acte d’engagement pour mettre fin à l’érosion de la biodiversité d’ici à 2030 (Leaders’ Pledge for Nature – United to Reverse Biodiversity Loss by 2030 for Sustainable Development). Si malheureusement des pays comme les États-Unis, la Chine, l’Australie, l’Inde et le Brésil, dont l’impact sur la biodiversité est très important, n’en sont pas signataires, « ce texte est un signe fort d’une prise de conscience et d’une mobilisation des États, qui placent la protection de la Nature à égalité avec la lutte contre le changement climatique », conclut Paul Leadley.
Relire l’article de l’Edition 12 – mai 2020 « Planète en souffrance, l’avenir se joue maintenant »