N.D.L.R. Si cet objectif est tenu, et il doit l'etre, on peut penser que nos habitudes de vie vont devoir (sacrément) évoluer...
INTERVIEW - Pascal Canfin, député européen (Renew Europe), président de la commission Environnement du Parlement européen, veut réconcilier les enjeux écologiques et économiques.
L'eurodéputé Pascal Canfin espère arriver à la première loi climat européenne et réconcilier les enjeux écologiques et économiques.
Artisan d'une loi sur la taxonomie (classification) verte, le député européen EELV Pascal Canfin explique comment, à partir de janvier 2021, le reporting sur le climat des entreprises va changer la donne.
Challenges - Le Parlement européen vient d'adopter l'objectif de 60% de réduction des émissions de CO2 de l'Europe d'ici dix ans. La neutralité carbone des Etats pour 2050. Quelles sont les conséquences de ce nouveau cap pour les entreprises?
Pascal Canfin - La loi climat votée par le Parlement européen est très ambitieuse et je m'en réjouis. Objectif de moins 60% en 2030, neutralité climat par pays en 2050, obligation de cohérence climatique pour toute nouvelle mesure présentée par la commission européenne, obligation de stress test pour les projets d'infrastructures financés par l'argent européen....Nous allons maintenant négocier tout cela avec les Etats avec comme objectif d'aboutir à la première loi Climat européenne qui va graver dans le marbre de la loi les objectifs de l'Accord de Paris, au plus tard le 12 décembre 2020, date des 5 ans de l'accord de Paris. Pour les entreprises qui ont aligné ou commencent à aligner leur business model avec l'Accord de Paris, c'est un cap essentiel; pour les autres, c'est une invitation à le faire au plus vite. La lutte contre le changement climatique est le challenge de notre génération, tout le monde doit y participer.
Vous étiez député européen en pleine crise financière en 2008. Et aujourd'hui vous êtes à la tête de la Commission environnement au Parlement européen alors que la pandémie bouleverse nos vies. Ces deux moments sont-ils comparables?
Au moment de la crise financière, j'étais dans le cœur du réacteur, à la Commission des affaires économiques avec Michel Barnier côté Commission européenne. Le sujet écologique était relégué au second plan. Aujourd'hui, nous négocions le fait que 37% du plan de relance européen doive être vert. Et surtout les 63% restants devront "ne pas nuire à la lutte contre le réchauffement climatique". Cette double exigence aurait été inimaginable il y a dix ans. Là, elle est au coeur du plus grand plan de relance de l'histoire de l'Europe.
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Vous maniez à la fois l'économie et l'écologie. Cela vous aide à naviguer entre des acteurs qui traditionnellement s'affrontent?
J'ai cette double culture. Le fait de pouvoir parler de finance, de green bonds et des règles du commerce mondial avec une vision qui essaye de réconcilier les enjeux économiques et écologiques fait bouger les lignes parce que nous travaillons sur un chemin praticable. C'est à mon sens la seule façon de faire la transition en vrai. Car, ne l'oublions pas, les deux-tiers de l'investissement mondial sont entre les mains des entreprises.
"Les entreprises ne s’engageront à grande échelle que si elles savent où elles mettent les pieds"
Vous faites de la "real-écologie" en quelque sorte, comme il y a une realpolitik en matière de diplomatie.
J'ai créé l'Alliance pour la Relance Verte précisément pour dépasser le clivage obsolète entre ONG pour le climat d'un côté, et entreprises de l'autre. La réalité n'a plus rien à voir avec ça. Certaines entreprises sont les premières à demander plus d'ambition. Comme en témoigne l'appel de 170 grands patrons en avril pour que l'Europe soit plus exigeante sur la réduction de ses émissions de CO2. Mais au-delà des pionnières, les entreprises ne s'engageront à grande échelle que si elles savent où elles mettent les pieds. D'où l'importance de faire naître de nouvelles alliances pour faire bouger les lignes et de fixer des règles du jeu claires notamment à travers la loi Climat.
Le 16 septembre, la présidente de la Commission, Ursula Von Der Leyen, annonçait qu'un tiers de la relance européenne serait financé par 225 milliards de green bonds. Ça aussi, c'est le fruit d'une alliance?
Avant de lui soumettre cette idée, j'ai vérifié sa pertinence auprès de grands investisseurs institutionnels, comme Axa. Le retour de leurs équipes a été positif. Cette coopération en amont a contribué à convaincre la présidente de la Commission de faire de l'Europe le premier émetteur mondial de green bonds.
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Qu'il s'agisse du plan de relance ou des green bonds – ces obligations émises pour financer des actifs verts –, la définition de ce qui est "vert" et de ce qui ne l'est pas devient ultra-stratégique.
D'où la loi européenne sur "la taxonomie verte" dont j'ai présidé la négociation et que nous avons votée en décembre dernier. C'est une grande fierté. Toutes les entreprises cotées de plus de 500 salariés devront en effet publier chaque année deux indicateurs clés: la part des activités vertes dans leur chiffre d'affaires et celle de leurs investissements verts. Ces deux chiffres permettront d'évaluer leur situation de façon photographique à un instant T et également dynamique. Cela permet d'avoir la photo et le film. Si une entreprise n'a que 5% d'actifs verts mais qu'elle a 60% de ses investissements dans l'environnement, on saura qu'elle s'y engage résolument.
Comment cette "taxonomie" – cette classification – fonctionne-t-elle?
Elle distingue trois catégories d'actifs. La première recouvre les activités directement utiles à la transition. La deuxième, celles dont on a besoin pour faire la transition même si elles ne sont pas vertes. Produire du verre émet par exemple beaucoup de CO2 mais il en faut pour isoler les bâtiments. La troisième rassemble des activités qui sont encore trop émettrices mais qu'on considère comme un point de passage obligé pour passer à autre chose. Et là on a un gros débat sur la question de savoir si un projet gazier peut en faire partie, par exemple, s'il contribue à accélérer la sortie du charbon dans les régions concernées.
A partir de quand les entreprises devront faire ce tri sélectif de leurs activités?
Dès fin 2021 pour ce qui relève du climat, et à partir de fin 2022 pour ce qui concerne la biodiversité, la pollution de l'air et l'économie circulaire. C'est simple, d'ici deux ans, je fais le pari que le reporting environnemental aura complètement changé pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille et que la taxonomie s'imposera. Mais sur ce terrain, il nous reste encore une grande bataille à mener d'ici la fin de l'année: nous voulons que cette nouvelle grammaire s'applique aussi aux Etats notamment dans le cadre de leur plan de relance. Aujourd'hui, on utilise les "marqueurs de Rio", une méthode inconsistante, obsolète, qui fait l'objet de nombreuses critiques notamment de la Cour des comptes européenne. Or, faire moins dans le public que ce qu'on impose au privé, ce n'est pas ma vision de la politique. Là, nous avons l'opportunité historique d'être cohérents.