Le « lundi vert », sans viande ni poisson, est loin d’être un gadget écologique

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La deuxième campagne de « lundi vert » est lancée ce lundi 28 septembre 2020. Cette action de mobilisation nationale consiste à remplacer chaque lundi la viande et le poisson. Lors de la première campagne lancée en janvier 2019, 500 personnalités s’étaient engagées à manger végétarien le lundi, en invitant les Français à faire de même. Le premier bilan était encourageant, avec un bon suivi, notamment dans la restauration universitaire. Une première étude d’évaluation a indiqué que la majorité des participants souhaitaient poursuivre l’expérience, et a également permis d’identifier les caractéristiques des personnes les plus assidues.

L’objectif de « lundi vert » est d’initier une dynamique de végétalisation alimentaire. Cet objectif est compatible avec celui proposé par la Convention citoyenne pour le climat de réduire de 20 % la consommation de viande et de produits laitiers d’ici à 2030.

Dans un contexte où les politiques environnementales se sont largement concentrées sur les transports, « lundi vert » offre une opportunité pour réfléchir sur l’impact écologique de notre alimentation.

« Lundi vert » 2020

La deuxième campagne « lundi vert » a pour thème les légumineuses. La consommation de ces dernières a fortement baissé en France depuis un siècle, et est aujourd’hui une des plus faible au monde. Riches en protéines, fibres et en glucides complexes, elles sont recommandées par les guides nutritionnels. Le rapport EAT Lancet (2019) propose une « cible sanitaire » de consommation de légumineuses de 75 grammes par jour, soit environ 10 fois plus qu’actuellement en France.

Le « scénario lundi vert » étudié correspond à une diminution de la consommation de viande et de poisson de 15 % (soit l’équivalent d’une journée végétarienne par semaine), remplacé par des légumineuses de manière à maintenir constant le niveau de calories. En utilisant les données de l’Anses, le volume de viande ingéré quotidiennement en moyenne par chaque Français (hors volaille) passerait ainsi de 47 à 40 grammes et celle de volaille de 26 à 22 grammes. Le scénario « lundi vert » conduirait alors à tripler la place des légumineuses dans notre alimentation.

Affichage de la campagne 2020. Louise Bègue Teissier

Impact climatique

Quel est l’impact du scénario « lundi vert » sur les émissions de gaz à effet de serre ? Selon l’étude la plus complète sur l’empreinte écologique des aliments publiée dans Science, la viande de bœuf dégage par calorie ou par protéine plus de 50 fois plus que les légumineuses, et celle de porc environ 5 fois plus.

En calculant l’impact carbone à partir des données sur l’alimentation de l’Ademe, le scénario « lundi vert » permettrait ainsi d’économiser environ 100 kg d’équivalent CO2 (CO2e) par personne par an.

En multipliant par le nombre d’adultes en France, on obtient alors une réduction totale d’environ 5 millions de tonnes de CO2e, soit une baisse de plus de 5 % des émissions de l’alimentation.

Comparaison avec les transports

À titre de comparaison, la mesure gouvernementale réduisant la vitesse maximale sur les autoroutes de 130 à 110 km/h permettrait selon les estimations du ministère de l’Écologie de baisser les émissions de CO2e de 1,5 million de tonnes par an. Ainsi, « lundi vert » serait plus de 3 fois plus efficace pour le climat que cette mesure routière. Autrement dit, si un Français sur trois adoptait « lundi vert » en moyenne, l’impact serait plus favorable pour le climat qu’une diminution de 20 km/h de la vitesse maximale.

Autre exemple : le trafic aérien intérieur émet environ 5 millions de tonnes de CO2 par an. Ainsi, la réduction des émissions générée par le scénario « lundi vert » est à peu près équivalente à celles de tous les vols domestiques en France.

Ces résultats ne sont pas surprenants au regard de comparaisons intersectorielles du bureau d’étude Carbone 4 : le « geste individuel » le plus efficace pour le climat est l’adoption d’un régime végétarien devant l’utilisation du vélo pour les trajets courts, le covoiturage pour tous les trajets, et ne plus prendre l’avion. Il ne s’agit pas ici de décourager les efforts dans les transports, mais plutôt de réfléchir sur l’efficacité et la cohérence de nos choix, et en particulier de souligner l’importance de notre alimentation pour l’environnement.

Manger local ?

Ne vaudrait-il pas mieux se nourrir localement ? Les études fondées sur l’analyse du cycle de vie des aliments montrent que l’impact du transport dans l’alimentation est relativement modeste, de l’ordre de 5 %.

Puisqu’une partie de la consommation alimentaire est déjà locale, et puisque même la nourriture locale doit être transportée sur de courtes distances, cette valeur de 5 % surestime la réduction des émissions qui serait occasionnée en mangeant totalement local.

Ainsi, adopter « lundi vert » réduirait plus significativement les émissions que s’alimenter uniquement des produits de proximité. L’un n’empêche pas l’autre évidemment, d’autant plus que manger local présente d’autres bénéfices, comme le fait d’encourager la consommation de produits français et de saison.

Bénéfices économiques

Le rapport Quinet (2019) établit le coût social d’une tonne de carbone en 2018 à 56 euros, en visant 250 euros la tonne en 2030.

En prenant une valeur intermédiaire de 100 euros par tonne de CO2e, « lundi vert » induirait ainsi un bénéfice annuel d’environ 500 millions d’euros. Cette valeur monétaire est néanmoins une borne très inférieure puisque réduire la consommation de viande génère de multiples bienfaits pour l’environnement et la santé, et que les bénéfices sanitaires monétisés dominent en général largement les bénéfices climatiques monétisés d’un changement de régime alimentaire.

L’usage des sols

L’évaluation précédente de l’impact climatique du scénario « lundi vert » ne prend pas en compte le changement d’usage des sols, et en conséquence sous-estime largement cet impact.

Les produits animaux requièrent en effet beaucoup plus de surface agricole que les végétaux. Or, il existe alors un « coût d’opportunité » en matière de stockage de carbone, notamment car il y aurait plus de forêts sur les terres agricoles non utilisées pour produire la nourriture pour les animaux et les prairies, et car les forêts présentent en général une meilleure captation carbone dans le sol et la végétation.

Selon une étude publiée dans la revue Nature en 2018, en tenant compte de ce coût d’opportunité, l’impact climatique des produits animaux serait en réalité 3 ou 4 fois plus important. Dans beaucoup de pays européens dont la France, ce coût d’opportunité est élevé et permettrait une économie équivalente à plusieurs années de consommation d’énergie fossile.

Autres impacts environnementaux

Localement, les produits animaux sont aussi largement plus polluants pour les milieux (eau, air, sol) que les produits végétaux. Par exemple, les mesures d’eutrophisation ou d’acidification sont de 5 à 10 fois plus importantes pour la viande de bœuf ou de porc que pour les légumineuses.

Un problème de santé environnementale rarement évoqué au sujet de l’élevage est la pollution de l’air. Or, l’agriculture, et principalement l’élevage avec les émissions d’ammoniac, est considérée comme la source principale des particules fines PM2,5 en Europe.

Dans le contexte actuel de sécheresse, il est important aussi de rappeler que les produits végétaux consomment beaucoup moins d’eau que les produits animaux. Avec le changement climatique, la dépendance de notre alimentation aux importations pour nourrir notre bétail représente un risque.

Ainsi, végétaliser notre alimentation améliorerait significativement la durabilité de nos systèmes agricoles.

Changer les habitudes

Pour résumer, l’impact de la production de viande sur l’environnement est considérable. Dans un contexte d’inertie politique, illustré par l’échec du verdissement de la Politique agricole commune, et un verrouillage de notre système agricole, il paraît nécessaire d’agir sur la demande et modifier nos habitudes alimentaires.

Mais ces dernières sont tenaces, et les résistances au changement sont renforcées par les normes sociales, ainsi que par le marketing et le lobbying proviande. Nous manquons par ailleurs de connaissances sur la cuisine végétale, et notamment le potentiel des légumineuses.

Dans ce contexte, il est urgent que les Français réalisent que leur régime alimentaire est un levier majeur pour la planète. « Lundi vert », en proposant une approche volontaire, collective et ludique de végétalisation de nos assiettes – avec un suivi individuel proposé dans le cadre d'un protocole de recherche –, nous invite à questionner nos habitudes alimentaires, étape nécessaire avant le changement.

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Fabrice Rousselot

Directeur de la rédaction

 

Déclaration d’intérêts

Nicolas Treich a reçu des financements de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et TSE-Partnership Foundation (TSE-P). Il est co-initiateur de la campagne du « Lundi vert » ; il participe également au programme scientifique associé à cette initiative.

Laurent Bègue-Shankland est co-initiateur de la campagne du « Lundi vert » ; il est également responsable du programme scientifique associé à cette initiative.

Partenaires

Université Grenoble Alpes et INRAE apportent des fonds en tant que membres fondateurs de The Conversation FR.