Plan de relance: le compte y est-il pour la rénovation énergétique des logements?

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Avec 2 milliards d'euros d'aides pour la rénovation des logements privés, le gouvernement espère enfin donner un coup d'accélérateur à la rénovation énergétique. Pas sûr toutefois que ces milliards suffisent.

Rénovation énergétique

La France compte 4,8 millions de passoires thermiques, sur 29 millions de résidences principales.

SIERAKOWSKI/ISOPIX/SIPA

Près de 7 milliards d'euros dans le plan de relance. Le message du gouvernement veut être clair: la rénovation énergétique des bâtiments doit être une priorité de la transition écologique.

En effet, les bâtiments sont à eux seuls responsables de 25% des émissions françaises de gaz à effet de serre. Et la France compte encore 4,8 millions de passoires thermiques, ces logements aux performances énergétiques déplorables, soit 17% des 29 millions de résidences principales que compte le pays, selon une étude du ministère de la Transition écologique publiée début septembre.

Toujours évoquée, jamais réalisée, la rénovation massive des bâtiments est presque devenue un serpent de mer. En 2019, 155.765 logements seulement ont été rénovés grâce aux aides de l'Anah, l'Agence nationale de l'habitat; très loin de l'objectif affiché de 500.000 logements rénovés par an. Et encore, vu le retard accumulé, si la France veut respecter l'Accord de Paris et arriver à la neutralité carbone en 2050, avec un parc entièrement vertueux,  "il faudrait presque multiplier par 3 le rythme actuel des rénovations énergétiques", estime Pierre-Emmanuel Thiard, directeur général adjoint Saint-Gobain France, Développement et Solutions

Les acteurs du secteurs se félicitent des efforts du plan de relance pour les bâtiments, mais sur le strict plan budgétaire, le compte n'y est pas: jusqu'ici réservé aux ménages modestes le dispositif de MaPrimeRénov' va être doté de 2 milliards sur deux ans, contre 575 millions annuels actuellement. Un budget multiplié par deux donc, pas par trois. Et il sera ouvert à tous: particuliers, copropriétés et bailleurs; les détails du barème et des travaux réalisables seront dévoilés début octobre. 

Filière embryonnaire

Deuxième motif d'inquiétude, trop peu d'artisans sont aujourd'hui labellisés RGE (“Reconnu garant de l'Environnement”), et encore moins formés à la rénovation globale, beaucoup plus efficace que les rénovations unitaires. “Si nous voulons que l'ensemble du parc de logements soit très peu énergivore en 2050, il va falloir former des générations d'artisans,” pointe Célia Gauthier, responsable climat et énergie de la fondation Nicolas Hulot.

Le gouvernement prévoit d'ailleurs 1,6 milliard d'euros pour former les jeunes aux filières d'avenir, dont la rénovation énergétique. "Les programmes de formation ont la capacité de monter en charge", veut croire Rémi Babut, chef de projet de l'association Expérience Passeport efficacité énergétique. 

Troisième sujet: pour développer, protéger cette filière, et atteindre les objectifs de l'Accord de Paris, deux ans ne suffiront pas. La Fondation Nicolas Hulot demandent donc de pérenniser les dispositifs du plan de relance. Même demande du côté de Saint-Gobain, "sachant qu'il sera impossible de rénover tout le parc de logements en deux ans", observe Pierre-Emmanuel Thiard. En tant qu'industriel, le dirigeant a aussi besoin d'une visibilité à plus long terme pour pouvoir investir. Et Rémi Babut, de l'association Expérience P2E renchérit: "Il faut mettre en cohérence les mesures sur le long terme, et arrêter de changer les subventions tous les deux ans. Il y a un besoin de planification, y compris pour permettre à la filière de se structurer."

Rénovations durables ?

Enfin, certains professionnels de la construction s'inquiètent du type de rénovation qui seront réalisées. Est-ce que la tentation de faire vite et pas cher ne risque pas d'entraîner des rénovations de moindre qualité, avec des matériaux comme le polystyrène, dérivés du pétrole et peu durables? 

A contre-courant de certains industriels, de petites entreprises tentent de promouvoir des matériaux biosourcés, comme le lin ou le chanvre. La TPE Assise à Bordeaux veut par exemple réhabiliter les constructions en pierre et développe l'isolation en béton de chanvre. "L'isolation doit être efficace, répondre à un cahier des charge en termes de valeurs thermiques, mais il faut aussi se poser la question: est-ce que l'isolation est durable?" interroge Léonard de Lamarlière, dirigeant d'Assise et ancien d'Eiffage.

Pour Saint-Gobain, qui propose aussi des matériaux biosourcés, ces derniers seraient toutefois encore moins efficaces que la laine de verre ou la laine de roche; tout est une question d'épaisseur et de prix répond un architecte… 

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Mais pour les ONG là n'est pas le débat, il faut avant tout avancer au-delà des querelles techniques. "Il y a sans doute un compromis à faire, concède Célia Gautier de la Fondation Nicolas Hulot. Il faut sortir les ménages de la précarité énergétique, mais il faudra à un moment être capable de mobiliser ces matériaux biosourcés. Ce serait dommage de dépenser des milliards pour rénover avec du plastique…"

Reste une question, éternelle: des mesures simplement incitatives peuvent-elles suffire? "Il est indispensable d'assortir ces incitations d'obligations claires, tout en accompagnant les ménages modestes, considère Célia Gauthier, de la Fondation Nicolas Hulot. En 10 ans de politique énergétique, nous avons exclusivement misé sur l'incitation. Résultat on ne tient pas nos objectifs". Si les passoires thermiques seront en principe interdites en 2028, il est vrai qu'aucun texte précis n'a encore été publié pour définir les contours de cette ambition.