L’efficacité énergétique : un outil plus qu’une finalité

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L'importance de l'efficacité énergétique

 
L'efficacité énergétique est l'état de fonctionnement d'un système pour lequel la consommation d'énergie est réduite pour un rendement identique, visant à atteindre la neutralité carbone. Maxence Cordiez rappelle que cet outil n'est pas une fin en soi mais un moyen vers la neutralité carbone.

Le dérèglement du climat et l’épuisement des combustibles fossiles nous contraignent à opérer une transition énergétique rapide pour atteindre la neutralité carbone (ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que les forêts et prairies peuvent absorber). Plusieurs outils permettent d’aller en ce sens, notamment celui de substituer les combustibles fossiles par des alternatives et économiser de l’énergie par de la sobriété et de l’efficacité.

Au niveau mondial, le PIB est fortement corrélé à la consommation d’énergie par une relation linéaire

Pour simplifier, on peut décrire la sobriété comme des concessions volontaires visant à économiser de l’énergie (moins prendre sa voiture, par exemple). L’efficacité quant à elle découle de progrès techniques et organisationnels qui conduisent à moins consommer d’énergie à service égal (un moteur de voiture actuel délivre plus de puissance qu’un moteur d’il y a 50 ans, à consommation équivalente). L’absence d’effort pour la population dans les progrès d’efficacité a conduit de nombreux gouvernements à l’élever au rang d’objectif.

Cette confusion entre moyens et fins est cependant dangereuse. Elle peut compromettre l’atteinte des "vrais" objectifs que devraient être la neutralité carbone et l’anticipation de l’épuisement des combustibles fossiles.

Les progrès d’efficacité doivent être réels

Au niveau mondial, le PIB est fortement corrélé à la consommation d’énergie par une relation linéaire. L’énergie quantifiant la transformation de notre environnement, pour produire des biens et des services que l’on valorise ensuite dans l’économie, ce lien est logique : plus on consomme d’énergie, plus on produit de biens et de services et plus le PIB est élevé.

Cette corrélation n’est pas valable à une échelle plus locale (nationale, par exemple) du fait d’effets de bord. Un État peut par exemple délocaliser son industrie lourde, fortement énergivore et à faible valeur ajoutée en regard de sa consommation énergétique, pour se concentrer sur des services et secteurs industriels moins consommateurs d’énergie et à plus haute valeur ajoutée. Il reste toutefois dépendant des produits des activités qu’il a délocalisées, comme la métallurgie. Le découplage entre le PIB et la consommation d’énergie qui en résulte est alors "comptable". Il est rendu possible car d’autres pays le compensent. Les découplages locaux ne sont, de fait, pas observables à l’échelle mondiale.

Un tel phénomène de découplage dû à une dépendance accrue à certaines importations est observable en France depuis une quinzaine d’années. Il explique notamment pourquoi depuis 1995 les émissions nationales de gaz à effet de serre ont diminué, alors que l’empreinte carbone du pays (gaz à effet de serre émis dans le monde pour répondre à la consommation française) a augmenté dans le même temps [CGDD, "Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde", édition 2020, page 39].

Quand les progrès d’efficacité reposent sur des délocalisations industrielles, ils ne sont que "comptables". Ils ne répondent pas aux enjeux climatiques et altèrent la résilience de notre économie en affaiblissant notre tissu industriel et en accroissant notre dépendance aux importations.

un outil pas adapté

L’efficacité est un outil utile et nécessaire, mais qui n’est pas adapté partout. Son usage ne doit jamais faire oublier la finalité recherchée, qui est d’atteindre la neutralité carbone. De la même manière qu’on peut avoir besoin d’un marteau quand on bricole, on ne bricole pas pour utiliser un marteau. Et de cette inversion logique découlent de nombreuses aberrations.

Par exemple, la promotion au rang d’objectif des progrès d’efficacité énergétique a conduit, dans la réglementation thermique RT2012, à favoriser les chaudières à gaz par rapport au chauffage électrique sous prétexte de leur efficacité… au détriment d’émissions de gaz à effet de serre et d’une dépendance au gaz fossile accrues.

Tant que persistera la confusion entre les objectifs de la transition énergétique et les moyens de les atteindre, la neutralité carbone restera inaccessible

Autre exemple, en vertu de leur efficacité, les centrales à cogénération (électricité et chaleur) à gaz bénéficient d’obligations d’achat de l’électricité et de compléments de rémunération. Ces conditions leur permettent d’être appelées sur le réseau en priorité, quitte à ce que des centrales électrogènes bas carbone aient à réduire leur production pour leur faire de la place en période de faible demande. Là encore le résultat néfaste pour le climat illustre le danger de voir dans un moyen un objectif primant sur la finalité qu’il est censé servir.

Pour que la transition énergétique soit un succès, il est essentiel de ne jamais perdre de vue ses objectifs (neutralité carbone et sécurité énergétique) et de ne pas les confondre avec les divers moyens dont on dispose pour les atteindre : substitutions, efficacité et sobriété énergétiques... Personne ne fait du bon bricolage en se fixant comme objectif d’utiliser son marteau le plus possible, même si un marteau peut être indispensable à certaines étapes. Tant que persistera la confusion entre les objectifs de la transition énergétique et les moyens de les atteindre, la neutralité carbone restera inaccessible.

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