Lettre ouverte à Didier Raoult, victime de « l’endosmose abusive de l’assertorique dans l’apodictique »


Qui suis-je ?

Monsieur le Professeur,

Je m’adresse à vous en utilisant ce titre  auquel vous dites tenir, même si parfois vous me faites davantage penser à un druide qui a trouvé une potion magique qu’à un PUPH. Je sais que vous allez m’accuser de parisianisme, incapable également, comme David Pujadas qui vous a interviewé pour LCI, de saisir la subtilité de vos raisonnements, scientifiques et donc contre-intuitifs. Et pourtant, aussi bien votre style décalé que votre volonté de puiser dans la pharmacopée existante des thérapeutiques à la Covid avait attiré ma sympathie ; même si, il y a quelques mois, vos propos pour minimiser l’impact à terme de cette bombe sanitaire à retardement que constitue le développement des antibiorésistances, m’avaient alerté sur les erreurs de raisonnement auxquelles pouvait conduire votre souci de cultiver votre image de marginal sécant.

C’est une chose de tester de nouvelles utilisations d’un médicament, c’en est une autre de promouvoir une thérapeutique, dont on doute de plus en plus de l’efficacité contre la maladie et de moins en moins des effets secondaires sur les malades de la Covid, avec des arguments qui alimentent dans la population une forme de poujadisme scientifique qui est au populisme ce que les thèses de Lissenko furent au matérialisme historique dans sa version stalinienne.

Car vos arguments vont à l’encontre de tout ce que nous a appris l’épistémologie depuis Descartes. A commencer par ce recours à la vox populi, comme la pétition de soutien lancée par un ancien ministre en mal de publicité, et qui a recueilli près de 600 000 signatures, ou cette référence aux sondages qui accorderaient plus de crédit à votre parole  qu’à celle d’Olivier Véran. Va-ton soumettre au RIC les autorisations de mise sur le marché des médicaments ? Ce serait oublier tous ces traitements qui après avoir été plébiscités par les médecins comme par les patients, ont été ensuite vilipendés compte tenu de leur faible efficacité et de leurs effets secondaires. « La pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à cause qu’il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple ». La connaissance scientifique s’accorde assez peu avec les procédures démocratiques, mais c’est vrai qu’elle vient souvent remettre en cause les systèmes et les idées reçues, comme vous semblez vouloir le faire.

Le problème c’est que, à l’instar de vos principaux soutiens internationaux, Donald Trump et Jaïr Bolsonaro, vous êtes aussi un des produits de ce système que vous dénoncez, en alimentant au passage une théorie du complot dont vous seriez la victime. Ainsi en est-il d’une stratégie soit disant organisée par les big pharma contre l’hydroxy-chloroquine, dont le principal producteur n’est autre que … Sanofi, qui n’est pas, que je sache, une petite entreprise lancée par des hippies libertariens, mais qui a contribué longtemps au financement de votre laboratoire, et qui, soit dit en passant, n’avait guère apprécié la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique ! » que j’avais lancée en 2002. Ainsi aussi du rejet de publications qui ne vont pas dans votre sens dans les revues scientifiques, alors que c’est le nombre de vos publications dans ces mêmes revues qui vous vaut le statut de chercheur de renommée internationale que vous revendiquez contre vos contradicteurs. Ainsi aussi de votre critique d’une méthodologie s’appuyant sur les big data, alors que c’est une façon d’éviter, comme vous le souhaitez semble-t-il, les lourdes et longues procédures des essais cliniques randomisés qui ne rendent pas compte de la vie réelle d’un médicament, et ne sont pas adaptés à l’urgence d’une situation épidémique.

« Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique«  nous a appris Karl Popper. Dans votre système de pensée, il n’y a pas place pour la réfutation de vos affirmations. Or, comme la philosophie repose sur l’étonnement, la science repose sur le doute. A l’évidence le doute ne vous atteint pas. Vous êtes victime de ce que Gaston Bachelard appelait « l’endosmose abusive de l’assertorique dans l’apodictique », autrement dit de préférer l’affirmation d’un fait, considéré comme d’évidence, plus que la démonstration laborieuse d’un effet. Comme il y a désormais des « faits alternatifs », qui sont faux mais auraient pu exister, y aurait-il aussi des effets alternatifs, qui auraient pu exister, mais qui en fait n’existent pas ?

Paris, Croulebarbe, 1er juin 2020