La thématique des relocalisations revient sur le devant de la scène. Ce n’est pas la première fois qu’un tel tournant est pressenti. Déjà en 2008, certains observateurs avaient pronostiqué le repli de la mondialisation comme prolongement naturel d’une crise majeure qui remettait en cause le primat de la finance sur la gouvernance des entreprises. Le tournant n’est pas venu de là. Mais 2008 marque bien une nette cassure dans la progression ininterrompue du ratio entre commerce mondial et production.
La crise repose la question des relocalisations
La
prise de conscience que la perte de substance industrielle devenait un
facteur de fragilisation commerciale et financière, la volonté de la
Chine de maîtriser l’amont des chaînes de valeur, l’ascendant des
modèles allemand et chinois face à la crise, la dilution de nos systèmes
d’innovation, les fissurations de nos tissus sociaux sont autant
d’éléments qui ont inscrit la thématique de la réindustrialisation et
des relocalisations dans l’agenda politique. Une nouvelle étape a été
franchie avec la résurgence du protectionnisme, Trump donnant le « la »
d’un mercantilisme offensif, privilégiant les industries nationales au
grand mépris des principes de l’OMC.
La crise sanitaire
s’ajoute à ce tableau, surlignant les dangers d’une division
internationale du travail guidée par le seul objectif de la minimisation
des coûts à court terme. Elle a dévoilé la dépendance stratégique des
pays avancés, dans les domaines sensibles de la santé (protections,
principes actifs, matériels, etc.), mais aussi des puces électroniques,
des terres rares, etc. Avec des ruptures d’approvisionnement encore
tangibles. Elle a aussi, en aval, montré le sous-dimensionnement de nos
circuits de e-commerce, face à la suprématie d’Amazon. A contrario, elle
a révélé les possibilités de reconversion rapide de nos industries et
services, sous la pression de la nécessité, lorsque l’État appuie
financièrement le mouvement.
Cette prise de conscience confère une
nouvelle acuité à l’enjeu des relocalisations. Et les montants
considérables mobilisés pour remettre à flot l’industrie hexagonale
(l’automobile, l’aéronautique notamment) posent inévitablement la
question de la conditionnalité de ces aides. Comment justifier de telles
enveloppes auprès du contribuable, si ces aides ne viennent pas appuyer
l’emploi local ?
Sécurité des approvisionnements et critères écologiques renforcés
Ces
éléments viennent ajouter une couche de plus à la réhabilitation de la
géographie dans la conduite des politiques industrielles. Avec des
conséquences palpables. Du moins en matière d’annonces.
- Avec
Renault qui s’engage à stopper ses extensions à l’étranger et à
développer la voiture électrique en France et en coopération avec ses
concurrents européens.
- Avec Sanofi, qui relance son projet de créer
une entité indépendante proposant un catalogue de 200 principes actifs
basée sur le vieux continent (et regroupant des sites de production
basés en France, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni).
- Avec
la filière textile qui fait pression sur Bercy pour pérenniser la
production de masques et de protections sur le territoire.
- Avec la filière électronique, qui cherche des parades locales pour renforcer la sécurité de ses approvisionnements.
- Sans parler du secteur du bâtiment, qui cherche à renforcer ses approvisionnements de proximité, etc.
Au
plan microéconomique, 1) la question de la sécurité des
approvisionnements a pris un nouveau relief et 2) le positionnement en
local, à coût plus élevé, mais avec des critères écologiques renforcés,
est de plus en plus légitimé par les entreprises, les consommateurs et
les circuits de distribution.
Des relocalisations complexes à mettre en œuvre
Tout
cela participe à la lente érosion de la mondialisation débridée. Il
n’en reste pas moins que les fondamentaux de la délocalisation sont loin
d’être affaiblis par la crise :
- la baisse du revenu des ménages, inhérente à la crise, continue à peser sur les arbitrages des consommateurs, en faveur du low cost ;
- la
dégradation inédite de la rentabilité des entreprises tend à faire
primer l’argument du coût dans les choix de sous-traitance, au détriment
de la proximité et de la sécurité ;
- la primauté des fonds de
gestion dans le capital des grandes entreprises n’a pas été fragilisée
par la crise. Et leur abord des groupes mondialisés, comme portefeuille
d’actifs remaniables, continue à prévaloir, avec son lot de cessions, de
concentration, d’opérations transnationales qui ignorent les
frontières.
L’impact macro-économique de la crise sera très
différencié selon les régions. Et pour des groupes dont les choix de
localisation répondent d’abord au critère de la dynamique des débouchés
locaux, le repli sur les frontières hexagonales ou européennes ne peut
être que très partiel.
Bref, la relocalisation demeure une
contre-tendance de plus en plus significative, mais en lutte avec des
fondamentaux puissants, qui ne jouent toujours pas en sa faveur.
N.D.L.R 30 ans de délocalisations, organisés dans un système mondial de l'OMC, qui n'est pas à blâmer en tant que tel mais qui n'a pas pris en compte toutes les questions au delà de l'optimisation de l'économie seule, ne permettra pas un renversement de la vapeur rapide, à un moment ou notre économie ne permet pas de répondre à toutes les attentes de la population et ou l’accès aux ressources "faciles" de la terre se complexifie.
Il faudra faire un choix de société et en accepter les conséquences.
On peut faire un parallèle avec le "Développement Durable" entamé depuis les années 70 et qui après toutes ces années, n'a pas abouti à prendre en compte les objectifs environnementaux et sociaux et tout simplement d'un minimum de souveraineté.
Comme toujours, ceux qui anticipent, s'en sortent mieux.