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La
prise de conscience des décideurs politiques pour reconstruire un monde
résilient est là, dit la présidente du Haut Conseil pour le climat.
Mais les décisions qui cadrent avec ce message restent à mettre en
oeuvre.
Et la cohérence des plans de relance actuels reste à démontrer.
La crise du Covid-19 et celle du climat présentent-elles des similarités ?
Oui, il y en a. La plupart des causes structurelles de la pandémie du Covid-19 sont aussi à l'origine du changement climatique. A commencer par la pression insoutenable à laquelle sont soumis les milieux naturels. La déforestation et le commerce de la faune sauvage ont joué dans l'apparition du Covid. La déforestation est aussi une des causes de la crise climatique avec la pollution de l'air et la combustion des énergies fossiles. Ces deux crises ont en commun d'avoir des conséquences massives et irréversibles.
Constatez-vous une réelle prise de conscience de l'urgence climatique chez les décideurs politiques ?
Oui. Depuis quelques semaines, les discours des décideurs politiques vont en ce sens. Le président Macron et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire , ont évoqué la nécessité de reconstruire un monde résilient, respectueux de l'environnement. La Commission européenne et le Royaume-Uni abondent dans le même sens. Il faut maintenant mettre en oeuvre les décisions qui cadrent avec ce message. La population reste demandeuse d'actions climatiques fortes. Les sondages le montrent. En revanche, il reste à mener un gros travail de mobilisation des Etats pour atteindre la neutralité carbone le plus vite possible. La prise de conscience qui s'opère en Europe ne s'observe pas partout dans le monde.
Le plan de relance vert de l'Europe est-il à la hauteur des enjeux ?
J'observe qu'en Europe, la crise est arrivée dans un contexte favorable à l'intégration des politiques climatiques de ses Etats-membres. Les réflexions qu'ils ont menées en ce sens étaient déjà bien avancées avec, notamment, un objectif de neutralité carbone en 2050. L'environnement est totalement différent de ce qu'il était lors de la crise de 2008 où ce type de dispositif n'existait pas. Aucun principe de base n'avait été posé comme celui que nous recommandons, consistant à supprimer les subventions directes ou indirectes aux énergies fossiles.
La taxation des produits importés aux frontières de l'UE est-elle une solution suffisante ?
Taxer le carbone aux frontières ne relève pas d'une politique climatique, mais de compétitivité. Ses effets sur les émissions sont très limités et c'est avant tout une réponse aux fuites de carbone plutôt qu'à leur réduction. Mais une taxe peut inciter les partenaires commerciaux de l'Union européenne à renforcer leurs ambitions climatiques. C'est un élément d'entraînement international important.
L'aide à Air France et au secteur automobile va-t-elle dans le bon sens ?
Il faut considérer plusieurs aspects. D'abord, celui lié à une gestion de crise qui doit s'attacher à soutenir la population et l'emploi. Ensuite, un aspect qui tient à la planification de la relance économique avec des investissements qui auront un impact à plus long terme, notamment sur les objectifs climatiques. Les plans de relance qui se mettent en place les signalent parmi les éléments à prendre en compte. C'est un point positif. Mais ils n'y sont pas mentionnés à titre principal et ils y apparaissent en compétition parfois directe avec d'autres objectifs économiques. La cohérence de ces plans de relance avec l'atteinte de la neutralité carbone n'est pas démontrée et les exigences de conditionnalité des aides sont assez faibles. Ils n'incluent pas la demande d'élaboration de stratégies d'investissement de la part des entreprises et de secteurs touchés.
Qui doit piloter cette stratégie ?
Le gouvernement, le Conseil de défense écologique, le Premier ministre. En janvier, Edouard Philippe a répondu à la première évaluation faite par le Haut Conseil pour le climat sur la stratégie de la France, rendue en juin 2019. Il s'est engagé à écrire des lettres de mission à tous les ministères pour leur demander d'élaborer leur propre plan pour atteindre la neutralité carbone. Il y a, aujourd'hui, une opportunité à saisir : il faut que les plans de relance économique que les ministères vont mettre en route et les lettres dans lesquelles ils vont détailler leurs feuilles de route climat convergent vers la même stratégie.
Comment la France peut-elle mieux évaluer l'impact climat de ses lois ?
C'est un autre aspect à renforcer. Seuls 3 % des articles de loi sont évalués sous l'angle environnemental, qui inclut l'angle climat. On ne sait donc pas si elles aident ou nuisent à l'atteinte de la neutralité carbone. Nous avons recommandé que toutes les lois soient regardées sous l'angle du climat. Il faut d'abord distinguer celles qui doivent être évaluées de celles qui ont un impact mineur. Ensuite, évaluer en amont leur impact quantitatif pour comprendre les leviers positifs et les obstacles qu'elles créent. Enfin, il faut pouvoir évaluer les lois d'année en année grâce à des indicateurs qui restent à mettre en place. Il existe des méthodologies, notamment au niveau européen, il s'agit de les adapter à la France. Evidemment, cette évaluation doit être faite par rapport à la stratégie nationale bas carbone, et non par rapport à l'état actuel.
Les mesures fortes prises pendant la crise du Covid ont fait chuter les émissions de CO2. Est-ce une recette pour s'attaquer au réchauffement climatique ?
Le secteur de la mobilité est celui qui a le plus contribué à la baisse des émissions, de 30 % en France pendant la pandémie. Mais cette baisse n'est pas désirable car liée à un confinement forcé. Elle n'est pas structurelle non plus. En revanche, c'est l'occasion de mettre en place des éléments positifs par rapport au changement climatique. Par exemple, encourager le télétravail là où il est souhaitable, avec le soutien des entreprises, entraînerait une baisse des trajets quotidiens.
La manière dont on va retourner travailler est un sujet crucial…
Oui. Les transports en commun vont être difficiles pendant quelques mois, le gouvernement pourrait donc investir massivement dans la mobilité active (marché, vélo). Il le fait déjà en partie. En renforçant les infrastructures, les pistes sécurisées, l'achat et les parkings à vélos, en soutenant la filière du vélo électrique qui permet d'augmenter la longueur des déplacements, et donc l'accès aux banlieues. En parallèle, il y a une grande réflexion à mener sur les investissements dans le secteur automobile car beaucoup de gens ne peuvent se passer de voiture. Il s'agit de conditionner les investissements et de pousser très fort vers la mobilité électrique et vers la production de véhicules bas carbone. Sans oublier les investissements dans le rail et les transports publics qui restent une priorité.
Les recommandations émises depuis un an par le Haut Conseil pour le climat sont-elles entendues par le gouvernement ?
Oui. Il y a réception de nos messages et les intentions sont bonnes, mais la France reste très loin du niveau d'action nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Le gouvernement commence à s'en préoccuper, on le voit avec le Pacte productif et l'approche sur le « budget vert ». Reste un gros travail à faire au niveau du pilotage et de l'articulation des politiques publiques à l'échelle nationale et régionale.
Joël Cossardeaux et Muryel Jacque