Entre les partisans du « tout, tout de suite » et ceux du
« on verra plus tard », la secrétaire d’Etat à la Transition écologique
et solidaire,
Brune Poirson plaide pour que le débat sorte des grands principes (le « quoi ») et entre dans l’action (le « comment »).
Alors que nous sortons progressivement de la crise du Covid-19, le débat public sur l’écologie est pris en tenaille par deux discours caricaturaux. Adeptes du « tout, tout de suite » et partisans du « on verra plus tard » imposent un clivage confortable en veillant à ce qu’aucune autre voix ne s’y immisce. Chacun préserve ainsi sa rente intellectuelle. Or, ce duopole idéologique freine la mise en place de la transition écologique. Les uns en refusant d’admettre la complexité de l’action et la dimension sociale de l’écologie. Les autres niant l’urgence d’une transformation radicale de notre modèle économique et de développement.
Au pic de la crise sanitaire, certains écologistes semblaient exulter. Enfin, la nature reprenait ses droits et nous envoyait un châtiment qu’ils avaient prédit. On en vit s’extasier devant les photos de New Delhi confinée. La pandémie avait chassé le sombre brouillard de la pollution. Un grand ciel bleu scintillait désormais. Pendant ce temps-là, des millions d’Indiens n’avaient plus de quoi s’offrir un bol de soupe… Qu’importe à ces beaux esprits. Pour eux, cette crise est une « opportunité ». Quel mépris pour ceux qui ont tout perdu ou risquent de tout perdre. Ce discours déconnecté dessert l’écologie en la désignant comme ennemie des pauvres.
De l’autre côté du duopole, résonne le discours des « statuquologues », les tenants du « statu quo ». Ceux-là décrivent la crise sanitaire comme une « catastrophe », mais ils agissent eux aussi comme si c’était une chance. Pour eux, l’occasion est trop belle d’envoyer valser les normes et avancées environnementales. Les « statuquologues » brandissent un argument massue : l’emploi. Alors que l’angoisse économique est à son plus haut, tout est permis. Ainsi certains se font-ils les porte-voix de l’industrie du plastique jetable, accompagnant la stratégie de communication de la filière pour réhabiliter cette matière source d’une pollution majeure que le Covid-19 est loin d’avoir fait disparaître.
Nous entrons aujourd’hui dans le dur de la transition, dans une terra incognita des moyens concrets à mettre en œuvre secteur par secteur, région par région
Alors que la France se déconfine peu à peu, ce duopole travaille de concert à un nouveau confinement politique du pays sur les questions écologiques. Ses protagonistes ont intérêt à perpétuer leur opposition pour exister, et surtout pour ne pas faire. Le débat est coincé au niveau des grands principes (du « quoi ») et loin de l’action (du « comment »).
Or l’urgence climatique est telle qu’il nous faut avoir le courage de sortir des postures. La période actuelle, alors que la machine de l’économie n’a pas encore redémarré à pleine vitesse, l’exige. Cela suppose de se retrousser les manches, de soulever le capot et d’avancer avec méthode.
Inspirons-nous de ce que les soignants et plus largement la société française a su réaliser dans l’urgence pour faire face à la crise du Covid-19 : agilité dans un contexte d’incertitudes scientifiques ; rupture avec les routines administratives ; coopérations innovantes secteurs publics, privés et associatifs ; apprentissage par essais/erreurs ; comptes rendus récurrents et transparents sur les progrès. Pour accélérer la transition écologique, nous allons avoir besoin de conserver cet état d’esprit. Bien que nous connaissions l’objectif final – neutralité carbone et préservation de la nature – malgré ce qui a été fait depuis deux décennies par tous les gouvernements successifs, nous entrons aujourd’hui dans le dur de la transition, dans une terra incognita des moyens concrets à mettre en œuvre secteur par secteur, région par région pour massifier les bonnes solutions sans laisser personne au bord du chemin. Le plus dur est devant nous.
Le XXe siècle a été celui de la productivité du travail, le XXIe siècle doit être celui de la productivité de la matière
Révolution de la matière. Au sortir de la crise, les Français ont trois préoccupations majeures : emploi, écologie, souveraineté. Il va donc falloir apprendre à fabriquer des produits respectueux de l’environnement, faits pour durer, être réemployés puis recyclés. C’est une réponse à la crise économique (réindustrialiser en protégeant notre souveraineté), à la crise sociale (développer des emplois qui ont du sens sur les territoires), et à la crise écologique (économiser les ressources de la planète). Alors que le XXe siècle a été celui de la productivité du travail, le XXIe siècle doit être celui de la productivité de la matière, afin de découpler création de richesses et consommation de ressources naturelles.
Prenons par exemple le secteur du bâtiment. C’est un des premiers employeurs mais également un des premiers consommateurs de ressources naturelles de notre pays. Chaque année pour faire du béton ou des vitres, nous extrayons toujours plus de sable (50 milliards de tonnes par an d’après l’ONU), détruisant autant d’écosystèmes naturels alors même que l’on ne recycle dans notre pays que 4 % des vitres. Créer une filière de recyclage en France, comme nous l’avons voté, permettra de créer des emplois, de diminuer notre dépendance à cette ressource devenue rare, et de réduire notre impact sur la biodiversité.
La France s’est équipée ces derniers mois d’une réglementation et d’une législation nécessaires pour accélérer la transition vers une économie circulaire. De très nombreux citoyens, entreprises, associations, élus sont prêts à poursuivre plus loin encore cette démarche. Capitalisons sur les énergies et les innovations nées de la crise pour résoudre des problèmes afin de bâtir une économie qui tourne enfin rond. Ne profitons pas de la pandémie qui s’est abattue sur nous pour infantiliser les Français en les enfermant dans des oppositions simplistes. Affrontons, tous ensemble, la complexité du moment historique que nous vivons.
Brune Poirson est secrétaire d’Etat à la Transition écologique et solidaire.
N.D.L.R. Brune Poirson semble enfin vouloir sortir du discours convenu sur la transition écologique et exister au niveau du gouvernement.
Sans prendre explicitement parti contre les "statuquologues", elle rappelle "qu'il faut avoir le courage de sortir des postures"