La privatisation des barrages hydrauliques français : une équation complexe à résoudre


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 44 Contre Linky: QUI fera barrage à la vente des barrages

Alors que la France cherche encore le moyen de déroger à l'ouverture des barrages hydrauliques à la concurrence tout en satisfaisant l'Europe, Timothée Lafaurie, consultant chez mc2i Groupe revient sur ce dossier complexe aux multiples enjeux.


Avis d'expert  |  Energie  |    |  Actu-Environnement.com
Cet article a été publié dans Actu-Environnement Le Mensuel n°394
La Commission Européenne a une nouvelle fois prononcé la mise en demeure de la France, le 7 mars dernier, quant à la non ouverture à la concurrence de la gestion de ses concessions hydroélectriques. L'Europe souhaite que la France mette en application le décret du 23 Mars 2008 qui stipule que toute arrivée à échéance d'une concession hydroélectrique doit faire l'objet d'un appel d'offre.
La France dénombre pas moins de 400 concessions hydroélectriques dont 80% sont gérées par EDF: une redistribution des cartes va nécessairement bouleverser les fonctions monopolistiques endossées par le gestionnaire historique. Les enjeux incarnés par cette mise en conformité juridique, par la libéralisation des barrages hydrauliques, sont donc d'ordre économiques, stratégiques mais également organisationnels.
L'hydroélectrique : la bonne élève du mix énergétique renouvelable
Le secteur de l'hydroélectrique produit 10 à 12 % de l'électricité de notre territoire, ses caractéristiques et ses particularités de fonctionnement en font une ressource stratégique et essentielle pour servir la gestion du réseau électrique Français.
L'hydroélectricité, issue de la conversion de l'énergie hydraulique en électricité, est une énergie renouvelable qui bénéficie aujourd'hui d'une grande maturité, aussi bien d'un point de vue technologique qu'opérationnel. Son exploitation à bas coût et non émettrice de gaz à effet de serre permettent à ce procédé de produire plus de 60 % de l'énergie renouvelable au sein de l'hexagone. Cette domination par rapport aux autres moyens de production d'énergies renouvelables se justifie par ses principaux atouts qu'incarnent sa capacité de stockage et sa fonction régulatrice du réseau électrique.
Lorsque l'on évoque le développement des énergies éoliennes et solaires, le nerf de la guerre tient au caractère intermittent de ces énergies et par extension, à la capacité que nous avons de pouvoir stocker l'énergie produite à un instant donné. Par la construction de barrages aux proportions démesurées, l'hydroélectrique adresse cette problématique de stockage en proposant un potentiel de production électrique conséquent grâce à la retenue de millions de m3 d'eau. En plus de pouvoir être mobilisée de manière quasiment instantanée pour venir injecter une quantité d'énergie manquante, l'hydroélectrique se positionne en tant que modérateur du réseau par la dualité de son fonctionnement : l'excédent énergétique peut ainsi en être absorbé pour en garantir sa stabilité. Ce rôle est endossé par les pompes qui s'emploient à remonter l'eau depuis le bas du barrage jusqu'au réservoir : à l'instar des batteries électriques, l'hydroélectrique propose un mécanisme de recharge puis de stockage de son potentiel au rendement nettement supérieur (de l'ordre de 80 %). Ce moyen de production électrique offre ainsi une réponse énergétique, tant sur les questions de disponibilités que sur la gestion ponctuelle des pics de consommation.
En plus de proposer une flexibilité incomparable, la génération du kilowattheure hydroélectrique défie toute concurrence économique. Majoritairement bâties à la fin de la seconde guerre mondiale, ces mégastructures sont d'ores et déjà amorties financièrement parlant. Il faut ajouter à cela un prix de production énergétique des plus bas actuellement constaté sur notre territoire : entre 20 et 30 euros le mégawattheure là où il faudrait dépenser 50 euros pour une production d'origine nucléaire.
La Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la Transition écologique estime que nos installations hydroélectriques peuvent générer jusqu'à 1,25 milliards d'euros de bénéfice par an. Cette dernière promesse vient donc logiquement attiser la convoitise des investisseurs privés qui militent pour une ouverture à la concurrence de ces concessions.
L'exploitation privée des concessions : le risque de perturber un équilibre fragile
L'Etat privilégie jusqu'à maintenant la prudence en se positionnant en tant que garant de l'équilibre qu'il existe entre les activités de production électrique et la diversité des activités connexes : protection d'écosystèmes, loisirs touristiques, irrigation des champs etc… Le périmètre engagé lors d'une mise en concurrence d'une concession doit alors être apprécié de manière complexe et non plus de la seule fenêtre énergétique. Le premier défi que doit venir adresser la publication d'un appel d'offre relève de la sûreté du territoire.
Le cahier des charges qui en sera émis devra garantir que le nouvel exploitant ne se positionne pas exclusivement dans une optique de maximisation du profit et ce, au détriment de l'entretien des installations existantes. Il en reviendra à l'Etat la charge et la responsabilité de déployer tous les processus d'audit nécessaires et suffisants pour en contrôler le niveau de sécurité.
En outre, l'impact financier pour le consommateur final ne peut être complètement écarté dans la mesure où l'exploitation hydroélectrique constitue une activité très rentable. La perte pour EDF d'une ou plusieurs de ses concessions entraînera une augmentation du coût total de production d'une unité énergétique qui, mécaniquement, augmentera à son tour le tarif réglementé de vente (TRV) actuellement pratiqué.
Enfin, l'attribution de concessions de manière unitaire à des investisseurs externes viendra ébranler l'organisation mutualisée des installations érigées dans une même vallée. Ce redécoupage s'accompagnera d'une refonte profonde des systèmes d'informations de pilotage des activités de ces centrales, refonte dont le niveau de criticité est particulièrement élevé. En effet, la pluralité des acteurs de l'hydraulique ainsi que la mise en application des contraintes réglementaires contribuent à la haute complexité de modélisation informatique des vallées.
La France dans le viseur de l'Europe
La production d'électricité d'origine hydraulique comme source d'énergie renouvelable a su tirer son épingle du jeu pour véritablement s'imposer comme une énergie garante de notre souveraineté énergétique. Sa performance et son instantanéité d'exécution alliées à sa rentabilité économique en font une énergie d'avenir.
L'Allemagne, l'Italie, la Suède, l'Autriche et la Norvège ayant juridiquement verrouillé l'ouverture au public de leurs concessions, le cas de la France pourrait néanmoins, dans les années à venir, faire office de jurisprudence.
La mise en demeure opérée par l'Europe envers la France amène avec elle son lot d'incertitudes quant à la capacité que possède l'Etat à venir encadrer ces activités de mise en concurrence sans en engager sa sécurité nationale.
Avis d'expert proposé par Timothée Lafaurie, consultant chez mc2i Groupe