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Peut-on être écologiste et pro-nucléaire ?

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écologistes pro-nucléaire
Saint-Laurent-Nouan electronuclear power station, Loir-et-Cher, France (47°42' N - 1°35' E). Centrale électronucléaire de Saint-Laurent-Nouan, Loir-et-Cher, France (47°42’N – 1°35’E). © Yann Arthus-Bertrand
En France, pays où 72 % de l’électricité provient de centrales nucléaires, la question de l’énergie atomique a pourtant toujours été clivante. Un sondage Ifop sorti en 2011, deux semaines après la catastrophe de Fukushima, révélait que 56% des Français étaient inquiets à l’égard des centrales. Trois mois plus tard, le chiffre tombait… à 45%. Si aujourd’hui l’opinion demeure partagée, les écologistes, eux, sont historiquement et majoritairement contre l’atome. Mais, avec le réchauffement climatique la question se pose de nouveau : peut-on être écologiste en étant pro-nucléaire ? Non, pensent les « anti » qui soulignent les risques d’accidents et la « dette » des déchets radioactifs léguée aux générations futures. Oui, affirment ceux qui y voient le meilleur rempart face aux émissions de gaz à effet de serre. Sur ce sujet, l’ancien ministre de l’environnement Brice Lalonde, l’ingénieur Thierry Caminel, le photographe Yann Arthus-Bertrand et Charlotte Mijeon, porte-parole de « Sortir du nucléaire » s’expriment dans « GoodPlanet Mag ». 

Premier article d’une série consacrée au débat sur la place de l’atome dans nos choix énergétiques présents et à venir.

Brice Lalonde, ministre de l’Environnement de 1988 à 1992, candidat à l’élection présidentielle en 1981 : « la priorité désormais, c’est la lutte contre le réchauffement »
J’appartiens à cette génération entrée en écologie dans les années 1970, avant que le mouvement ne se forge contre le nucléaire militaire puis civil. La question du changement climatique, nous ne l’avons pas vue venir. Pour moi, les débuts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) de 1986 à 1988 marquent une rupture. Je me rends compte à ce moment-là qu’il faut changer de logiciel : ce qui est prioritaire, c’est de limiter les gaz à effet de serre. La lutte contre le CO2 passe avant la question nucléaire.
Au sein du mouvement écologiste, c’était comme renier la Bible pour un chrétien. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut réformer les techniques nucléaires, notamment la gestion des déchets, avec la transmutation (NDLR : transformation d’éléments radioactifs à vie longue en éléments à vie plus courte). C’est un problème d’ordre moral. Mais aujourd’hui, qui décide de l’avenir du nucléaire ? Les écologistes, au lieu de vouloir tout arrêter, devraient se saisir de la question.
Thierry Caminel, ingénieur, ancien militant des Verts, coopérateur à EELV, membre de l’Institut Momentum : « sans recours au nucléaire, la récession qui nous attend sera encore plus forte »
Il y a quinze ans environ, j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes liés au pic de production du pétrole, puis aux liens entre PIB et énergie (impossibilité d’avoir l’un sans l’autre). J’ai compris que nous allions vers une crise énergétique majeure, qui provoquera de profondes récessions. Avec moins de pétrole, seul  le nucléaire peut fournir l’énergie décarbonée nécessaire pour nous aider à amortir la chute.
Lorsque j’ai intégré les Verts en 2008, on pouvait débattre sur la date de sortie du nucléaire, même si les militants et l’appareil étaient  très majoritairement anti-nucléaires. Après la victoire aux élections européennes de 2009 et Fukushima en 2011, c’est devenu impossible. Aujourd’hui, avec l’urgence climatique et la diffusion des discours sur l’effondrement, on peut à nouveau évoquer la place du nucléaire et tenter de convaincre que l’éolien et le solaire ne suffiront pas. C’est une question d’ordres de grandeur.

Yann Arthus-Bertrand, photographe, réalisateur et président de la Fondation GoodPlanet. Il s’exprime ici en son nom. « Le débat mérite d’être ouvert »
Lorsque je suis rentré du Kenya dans les années 1980, mon éditeur m’a demandé un livre sur l’industrie nucléaire. J’ai visité plusieurs sites en France. Il a fallu mettre 20 000 exemplaires au pilon car Tchernobyl est survenu juste avant la date de sortie : nous y avons consacré un nouveau chapitre et je suis allé là-bas. À l’époque, j’étais un écologiste plutôt tourné vers la vie animale, je n’avais pas d’avis sur la question. Comme à tout le monde, le nucléaire me faisait peur, mais j’ai commencé à m’y intéresser : j’ai lu cet ouvrage qui est devenu l’un des préférés : La supplication, de Svetlana Aleksievitch. Je suis allé deux fois à Tchernobyl, je devais me rendre à Fukushima mais je n’ai jamais pu y aller, et j’ai suivi les conférences de Jean-Marc Jancovici. Les écologistes refusent le débat car leur histoire se confond avec celle du mouvement pacifiste, contre la bombe atomique. Ils parlent des déchets nucléaires, mais nous empoisonnons tous les jours notre terre et nos enfants avec des pesticides ou des herbicides qui recouvrent 30% du pays ! Si le changement climatique est la priorité des Verts et si ces déchets sont le prix à payer pour fermer les centrales à charbon, c’est leur responsabilité d’ouvrir le débat sans tabou.

Contrepoint : la parole à une militante anti-nucléaire de longue date
Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire ». « Le « nucléaire décarboné » relève de la pensée magique »
Dès le début de mes études, j’ai commencé à m’investir dans des associations visant à la fois la sortie du nucléaire et la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Je travaille depuis douze ans pour le réseau « Sortir du nucléaire ».
Je constate que l’industrie nucléaire est confite dans une approche figée qui refuse de voir les progrès accomplis par les technologies comme l’éolien ou le solaire. Contrairement au nucléaire qui a peu évolué depuis la seconde guerre mondiale, les énergies renouvelables sont dans un processus dynamique : aux Etats-Unis, l’énergie solaire est devenue moins chère que le nucléaire ou les énergies fossiles !
Le discours des partisans du nucléaire part du principe qu’une hausse continue des consommations d’électricité va obliger à conserver cette technologie, puisque la population refuserait de consommer moins et que notre surconsommation actuelle ne peut être couverte par les renouvelables. C’est ignorer les projections officielles de RTE (Réseau de transport d’électricité, filiale d’EDF, NDLR), qui montrent que notre consommation d’électricité est promise à stagner, voire baisser, du fait de la mise en place de mesures d’efficacité énergétique. C’est également ignorer l’aspiration d’une part croissante de la population à plus de sobriété. Une transition vers plus de sobriété et d’efficacité est non seulement nécessaire, mais possible, et peut permettre à terme de se passer du nucléaire.
Les pro-nucléaires utilisent aujourd’hui l’argument de l’urgence climatique et n’hésitent pas, pour cela, à présenter cette technologie comme « décarbonée ». Ils oublient que l’extraction d’uranium nécessaire aux centrales génère aussi des émissions des gaz à effet de serre, certes moindre que le charbon ou le gaz. Par ailleurs, une inconnue subsiste : comment faire une « analyse de cycle de vie » honnête du nucléaire au regard des durées extrêmement longues sur lesquelles il faudra « gérer » les déchets radioactifs ? On remarque d’ailleurs que la question des déchets radioactifs, la pollution qu’ils entraînent (aucune « solution » n’existant à ce jour) et les questions éthiques qu’ils soulèvent vis-à-vis des générations futures sont esquivées dans ce discours ; comme si les émissions de CO2 étaient le seul et unique critère pour juger du caractère soutenable d’une technologie.
De plus, il ne suffit pas qu’une option émette peu de CO2 pour répondre à l’urgence climatique : il faut également qu’elle puisse être déployée suffisamment vite à un coût non prohibitif. Comme le montre l’exemple de l’EPR de Flamanville, le nouveau nucléaire est hors-jeu. Quant au nucléaire existant, il ne pourra être prolongé très longtemps au regard des risques posés par le vieillissement, certains composants n’étant ni remplaçables ni réparables. Dans tous les cas, des travaux de remise aux normes lourds et coûteux seraient également requis pour porter les réacteurs français au-delà de 40 ans : le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne vaut-il pas mieux investir dès maintenant dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables ?
Il est vrai que les luttes antinucléaires ont joué un rôle fondateur dans l’émergence du mouvement écologiste en France, qu’il s’agisse de l’écologie politique ou du mouvement associatif. Le Réseau Action Climat, dont nous sommes adhérents et qui fédère la plus grande partie des grandes associations environnementales françaises, considère depuis sa création que le nucléaire n’est pas une solution au changement climatique et a régulièrement l’occasion de réaffirmer cette position.
Et il est également vrai que l’on assiste actuellement à une offensive de l’industrie nucléaire pour se faire une place dans le mouvement climat, avec notamment des interventions très coordonnées sur les réseaux sociaux et une influence assez forte de personnalités drainant un certain fan-club, comme Jean-Marc Jancovici. La crise climatique suscitant des angoisses existentielles légitimes, on peut entendre que de nombreuses personnes éprouvent le besoin de se raccrocher à l’idée d’une technologie miracle, quitte à considérer les nuisances qui vont avec comme un « mal nécessaire ».
Mais outre qu’une telle approche se fourvoie sur la capacité réelle du nucléaire à répondre à l’urgence climatique, elle amène à une pensée qui fait l’impasse sur énormément d’enjeux et en vient à légitimer une technologie imposée, ce qui est très dangereux.
Une pensée écologique digne de ce nom doit être systémique et globale, et ne peut pas se résoudre à prendre parti pour une technologie.