Démocratie à Téhéran

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mai 2020

Les Iraniens se retrouvent confrontés à un État au pouvoir absolu. Le fossé se creuse entre les citoyens et le régime, au point de marquer un tournant irréversible.

Personne n’a jamais pensé à Thomas Hobbes vivant dans l’Iran du début du xxie siècle. C’est à cause de son expérience des troubles politiques des guerres civiles anglaises que Hobbes a écrit le Léviathan. Comment aurait-il réagi à l’Iran d’aujourd’hui ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, et pourtant, l’Iran est aujourd’hui le foyer de factions traîtresses, du fanatisme religieux et de la violence politique.
Alors que les élections législatives se terminent en Iran et que les conservateurs et les partisans de la ligne dure contrôlent désormais le Parlement, il ne fait aucun doute que les Iraniens sont désormais confrontés à un État au pouvoir absolu, où les impératifs de sécurité et de survie exigent la minimisation et le rejet de toute contrainte légale ou morale sur le recours à la force. En fait, rien ne pourrait être plus proche du réalisme froid de Hobbes que la voie autoritaire dans laquelle le régime iranien s’est engagé.
Ce dernier repose sur des bases tout à fait cohérentes avec la compréhension de Hobbes de l’État souverain comme maître absolu de tous ses sujets et arbitre final de toutes les questions sociales et politiques. Par conséquent, le fait que les candidats affiliés au Corps des gardiens de la révolution islamique (Cgri) aient remporté la majorité des sièges du Parlement montre, une fois de plus, que le Cgri exerce un contrôle sur de vastes segments de la politique, de l’économie et de la politique étrangère iraniennes. Bien que le chef suprême, l’ayatollah Khamenei, en tant que commandant en chef, continue d’avoir une relation synergique avec le Cgri, les Gardiens semblent jouer un rôle plus actif dans la prise de décision politique de l’Iran. Le contrôle récent des élections législatives et la disqualification de quelque 9 000 candidats potentiels, pour la plupart réformistes et modérés, par le puissant Conseil des gardiens montrent, une fois de plus, que le Cgri et les conservateurs proches de Khamenei tentent de prendre le contrôle du gouvernement, qui, depuis la présidence de Rouhani, était dirigé par un groupe qui voulait ouvrir des relations avec l’Occident. Pour l’instant, avec la victoire des partisans de la ligne dure, le Parlement iranien nouvellement remanié adoptera une position beaucoup plus ferme à l’égard des États-Unis et de leurs alliés en Europe et dans la région. Toutefois, le corps législatif iranien sera remis aux conservateurs dans une situation d’instabilité politique et de crise économique déclenchée par les sanctions américaines. En outre, les nouveaux législateurs de la ligne dure commenceront leur travail dans une République islamique qui souffre d’une crise de légitimité.

Les conservateurs proches de Khamenei tentent de prendre le contrôle du gouvernement.

La répression brutale, en novembre 2019, des citoyens iraniens qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement face à une augmentation de 200 % du prix du carburant (500 morts et 7 000 arrestations), a endommagé la base électorale déjà fragile du régime et a affaibli ses prétentions à la légitimité. Environ 58 millions d’Iraniens avaient le droit de vote lors des récentes élections législatives, avec 9 millions d’électeurs dans la capitale, Téhéran. Pourtant, de nombreux citoyens, y compris ceux issus de la classe moyenne urbaine iranienne, ont boycotté les élections dans les grandes villes.
Le taux de participation officiel (42,5 %, soit le taux le plus bas de l’histoire de la République islamique) est une expression claire du désenchantement de la population à l’égard du processus électoral en Iran. Bien que Khamenei ait imputé le faible taux de participation à la « propagande négative » sur le nouveau coronavirus, il est clair pour tout le monde que le régime iranien est incapable de se reformer. Considérant que le président Rouhani et son gouvernement ont été incapables de tenir leur promesse de construire une nouvelle ère de prospérité en raison de l’immense pression exercée par les sanctions américaines, les partisans de la ligne dure envisagent désormais d’abandonner l’ouverture aux investissements et au commerce occidentaux. Ils chercheront plutôt à se concentrer sur les marchés régionaux. Un exemple est l’Irak, qui est le deuxième plus grand marché d’exportation de l’Iran. L’Irak n’a pas d’autre choix que de continuer à faire des affaires avec l’Iran, puisque le Cgri est profondément impliqué dans les affaires politico-militaires de l’Irak, comme l’assassinat du général Qassem Soleimani l’a confirmé.
L’élément clé a été la Force Al-Qods, la branche des opérations extérieures du Cgri, que Soleimani dirigeait avant son assassinat par les Américains en Irak. Avec le Cgri et ses candidats au pouvoir dans la nouvelle Chambre, il n’y a aucun espoir que le président Rouhani puisse ratifier une législation importante au cours de sa dernière année de mandat. De plus, les partisans de la ligne dure ayant la majorité au Parlement iranien, il n’y a plus d’espoir de renégociation de l’accord nucléaire de 2015, dont l’administration de Donald Trump s’est retirée en 2018.
La consolidation du pouvoir par les partisans de la ligne dure en Iran ouvre un nouveau chapitre de l’illibéralisme et de la violence d’État dans la politique iranienne. Non seulement elle mettra fin aux derniers liens de confiance entre les citoyens iraniens et le régime islamique, mais elle fermera également la porte à tout effort diplomatique et à tout engagement pour la paix au Moyen-Orient entre Téhéran et l’Occident.