https://esprit.presse.fr/article/ramin-jahanbegloo/gandhi-aujourd-hui-42429


Le 150e
anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi nous offre l’occasion
de réfléchir à l’état de la violence dans notre monde et à la
contribution de la non-violence à la survie de notre planète.
En effet, dans ces décennies turbulentes
d’incertitude et de scepticisme, quand nous célébrons notre monde en
mutation rapide sans vraiment le comprendre, les préjugés, la haine,
l’ignorance et les conflits sont toujours notre lot quotidien. Malgré
les progrès impressionnants des sciences et des technologies et la
croissance de la richesse matérielle dans les pays industrialisés,
l’humanité continue d’être affligée par la pauvreté, la famine, la
malnutrition et le manque d’éducation et de soins médicaux. Les
différences de race, de religion et de nationalité contribuent toujours à
de nombreuses tensions régionales, nationales et internationales. Enfin
et surtout, bon nombre des pays et des nations qui ont été célébrés au
cours des cinquante dernières années comme étant des modèles de
démocratie et de démocratisation dans notre monde souffrent maintenant
de la montée du populisme, du nationalisme religieux et des rivalités
sectaires. Il est indéniable que nous vivons une période de crise grave
et que le besoin d’une pensée et d’un comportement non violents se fait
sentir plus que jamais. Comment Gandhi et sa non-violence peuvent-ils
contribuer à un changement dans notre mode de pensée et notre style de
vie, dans un monde où le pouvoir, l’argent et la célébrité sont les
nouveaux dieux de notre civilisation humaine ?
Il n’est pas nécessaire de chercher loin pour entendre le roulement de tambour de la conformité et de la complaisance, accompagné de la montée du populisme et du nationalisme dans notre monde. Nous pouvons l’entendre dans nos quartiers, sur nos lieux de travail et même dans les établissements d’enseignement. Alors, y a-t-il un espace pour le courage moral et la critique dissidente des gandhiens, entre l’optimisme naïf et rose des adeptes ashramiques de Gandhi et la démagogie cynique des politiciens du parti qui affichent leur photo à côté de celle du Mahatma tout en empêchant les gens de jouir de leurs droits fondamentaux ? L’honnêteté nous pousse à admettre que le gandhisme n’est ni une boutique de charlatans politiques qui, comme le dit Socrate, veulent « dormir tranquille pour le reste de leur vie », ni simplement un assemblage d’êtres humains fondamentalement bienveillants, qui pensent sauver leur conscience en étant de Bons Samaritains. Au contraire, ce que Gandhi nous enseigne, c’est que la non-violence combine la tendresse du cœur et la ténacité d’esprit. Les vrais gandhiens qui ont fait l’histoire, comme Nelson Mandela, Martin Luther King Jr., Khan Abdul Ghaffar Khan et Václav Havel, étaient des humanistes obstinés qui, comme le Mahatma Gandhi, étaient de sévères critiques pour eux-mêmes et pour autrui.
Par conséquent, la perspective de Gandhi sur l’art de la politique repose sur son expérience socratique du questionnement et de la dissidence. Pour Gandhi, la quête de la vérité et de la justice, qui interroge et examine sans cesse à nouveau, est un acte de pensée et de vie dangereuse. Son assassinat est une preuve limpide qu’il était un aiguillon qui ose poser des questions embarrassantes au lieu de flatter les autres dirigeants politiques ou les masses. Le moment socratique de Gandhi fut donc son examen permanent et perpétuel des convictions, indiennes ou occidentales, quand tout le monde semblait balayé sans réfléchir par l’euphorie de la victoire des masses. Le fait que Gandhi croyait qu’« il n’y a pas de religion plus élevée que la vérité » montre bien qu’il est resté fidèle à la pensée critique et qu’il considérait le nationalisme hindou et le fondamentalisme musulman comme les deux principales menaces pour l’avenir de la démocratie en Inde. Mais ce que Gandhi voyait comme un danger pour l’avenir, c’est désormais notre présent. Pourtant, il n’a pas dit son dernier mot. Pour tous ceux qui croient en la valeur fondamentale de la non-violence comme moyen de s’occuper de notre monde, l’héritage gandhien demeure une force de doute, de questionnement et de dépassement. Après tout, ce que nous pouvons encore apprendre avec Gandhi, c’est que si la démocratie reste un régime de remises en cause et de doutes, elle doit aussi être une communauté d’espoir qui justifie l’existence des aiguillons, dont la tâche est d’aider les masses à penser contre elles-mêmes et à favoriser la liberté, en dépit des calamités et des tragédies.
Il n’est pas nécessaire de chercher loin pour entendre le roulement de tambour de la conformité et de la complaisance, accompagné de la montée du populisme et du nationalisme dans notre monde. Nous pouvons l’entendre dans nos quartiers, sur nos lieux de travail et même dans les établissements d’enseignement. Alors, y a-t-il un espace pour le courage moral et la critique dissidente des gandhiens, entre l’optimisme naïf et rose des adeptes ashramiques de Gandhi et la démagogie cynique des politiciens du parti qui affichent leur photo à côté de celle du Mahatma tout en empêchant les gens de jouir de leurs droits fondamentaux ? L’honnêteté nous pousse à admettre que le gandhisme n’est ni une boutique de charlatans politiques qui, comme le dit Socrate, veulent « dormir tranquille pour le reste de leur vie », ni simplement un assemblage d’êtres humains fondamentalement bienveillants, qui pensent sauver leur conscience en étant de Bons Samaritains. Au contraire, ce que Gandhi nous enseigne, c’est que la non-violence combine la tendresse du cœur et la ténacité d’esprit. Les vrais gandhiens qui ont fait l’histoire, comme Nelson Mandela, Martin Luther King Jr., Khan Abdul Ghaffar Khan et Václav Havel, étaient des humanistes obstinés qui, comme le Mahatma Gandhi, étaient de sévères critiques pour eux-mêmes et pour autrui.
Si Gandhi reste pertinent pour notre monde, c’est
parce qu’il a défini la politique non comme la conquête du pouvoir, mais
comme l’art d’organiser la société sans violence.
Mais la vérité est que notre monde manque de dirigeants gandhiens. Le
problème de notre siècle, c’est que peu de politiciens pensent et
encore moins invitent les gens à examiner leur expérience de la pensée
sur une base quotidienne. Dans le monde d’aujourd’hui, les présidents et
les premiers ministres sont admirés en tant que citoyens au-dessus des
citoyens, comme les acteurs de Hollywood, non pas parce qu’ils ont une
pensée aiguë et critique, mais parce qu’ils ont le pouvoir de choisir
notre destin. Cela, bien sûr, résume le fait qu’un politicien ne pense
généralement pas, pour la simple raison qu’il veut rester incontesté et
non dérangé, tout comme les masses. Mais c’est bien loin de ce que
Gandhi nous enseigne dans l’art de la politique. Si Gandhi reste
pertinent pour notre monde, c’est parce qu’il a défini la politique non
comme la conquête du pouvoir, mais comme l’art d’organiser la société
sans violence. C’est ainsi qu’il a remis en question les façons
classiques de théoriser et de pratiquer la politique. Il ne s’agit pas
seulement de ce que Gandhi a dit et fait, mais de la façon dont il l’a
dit et fait. Il s’agissait d’une tentative consciente d’aller à
l’encontre de la tradition politique qui considérait la réflexion sur la
politique soit comme une pure imitation de l’Occident, soit comme un
processus reflétant un mode de pensée religieux. Gandhi regardait la
politique sans les œillères de préjugés nationalistes ou religieux. En
réalité, la promesse politique d’une vie démocratique, par le biais
d’une législation adoptée par des théologiens ou des élites du parti qui
considéraient les gens comme trop immatures pour décider, s’est avérée
insatisfaisante et insuffisante pour Mahatma Gandhi.Par conséquent, la perspective de Gandhi sur l’art de la politique repose sur son expérience socratique du questionnement et de la dissidence. Pour Gandhi, la quête de la vérité et de la justice, qui interroge et examine sans cesse à nouveau, est un acte de pensée et de vie dangereuse. Son assassinat est une preuve limpide qu’il était un aiguillon qui ose poser des questions embarrassantes au lieu de flatter les autres dirigeants politiques ou les masses. Le moment socratique de Gandhi fut donc son examen permanent et perpétuel des convictions, indiennes ou occidentales, quand tout le monde semblait balayé sans réfléchir par l’euphorie de la victoire des masses. Le fait que Gandhi croyait qu’« il n’y a pas de religion plus élevée que la vérité » montre bien qu’il est resté fidèle à la pensée critique et qu’il considérait le nationalisme hindou et le fondamentalisme musulman comme les deux principales menaces pour l’avenir de la démocratie en Inde. Mais ce que Gandhi voyait comme un danger pour l’avenir, c’est désormais notre présent. Pourtant, il n’a pas dit son dernier mot. Pour tous ceux qui croient en la valeur fondamentale de la non-violence comme moyen de s’occuper de notre monde, l’héritage gandhien demeure une force de doute, de questionnement et de dépassement. Après tout, ce que nous pouvons encore apprendre avec Gandhi, c’est que si la démocratie reste un régime de remises en cause et de doutes, elle doit aussi être une communauté d’espoir qui justifie l’existence des aiguillons, dont la tâche est d’aider les masses à penser contre elles-mêmes et à favoriser la liberté, en dépit des calamités et des tragédies.