Présentes dans de nombreuses technologies de décarbonation,
les matières premières minérales sont essentielles à la transition
énergétique. À la fois de manière directe, pour les intégrer dans les
technologies, et indirecte, pour les inclure dans un composant lié mais
indépendant de la technologie, à l’image des batteries pour les
véhicules électriques.
L’ensemble des innovations de décarbonation est ainsi dépendant de la disponibilité de minerais devenus « stratégiques ».
Si l’on s’appuie généralement sur les exemples du lithium, du cobalt
et des terres rares pour illustrer les aspects systémiques de la
transition énergétique, il ne faut pas oublier que cette dynamique
pourrait, avant tout, engendrer des conséquences majeures sur les grands
marchés de métaux non ferreux (aluminium, cuivre, nickel, etc.) ; mais
également sur le secteur de l’acier, des granulats ou de l’eau.
Aujourd’hui, le cuivre est utilisé à près de 35 % pour des usages
électriques (distribution, transmission et systèmes électriques des
bâtiments) et cette part pourrait enregistrer une accélération avec le
déploiement des énergies renouvelables.
Dans le contexte de la transition énergétique, cette matière première
structurelle semble être un cas d’étude intéressant concernant les questions de « criticité » de certaines ressources.
Étant donné que les secteurs de l’électricité et des transports sont
les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, il est crucial de
savoir si la disponibilité du cuivre peut constituer un frein au
déploiement des technologies bas-carbone.
Panorama du marché du cuivre
Utilisation finale du cuivre en 2015. IWCC/ICAProduction et réserves de cuivre en pourcentage du total. USGSProduction et réserves de cuivre en pourcentage du total. USGS
Le cuivre est utilisé dans de nombreux secteurs, tels que l’industrie
de la construction (plomberie, toiture, construction navale et
bardage), le secteur de l’énergie (centrales électriques et
infrastructures électriques), celui de l’industrie, des transports ou
des produits finis : dans de nombreux pays, c’est le principal composant
des pièces de monnaie, accessoires pour le logement, chauffe-eau, etc.Le secteur des biens de consommation (appareils électroménagers,
instruments de climatisation et de réfrigération, électronique
industrielle et commerciale, et informatique) représente 29 % de la
consommation de cuivre, suivi par celui de la construction (25 %), de
l’industrie (19 %), de la transmission électrique (15 %) et enfin des
transports (12 %).
De fait, le cuivre est largement utilisé dans des applications à
longue durée de vie, allant jusqu’à plusieurs décennies. On estime ainsi
que les deux tiers du cuivre produit depuis 1900 étaient encore utilisés en 2010.
Par conséquent, la période pendant laquelle le cuivre peut rester
immobilisé dans des produits encore en service constitue un obstacle
majeur à sa réutilisation. Ce métal n’est pas uniformément réparti dans
la croûte terrestre, comme le montre la répartition géographique des
réserves et de la production. Près de la moitié des réserves mondiales
sont situées en Amérique centrale et en Amérique du Sud, principalement
au Chili et au Pérou.
Cuivre et transition énergétique mondiale
Dans de nombreuses régions du monde, la décarbonation des mix
énergétiques et électriques est devenue une priorité pour répondre aux
objectifs climatiques internationaux et aux problématiques de pollutions
locales. Cette dynamique pourrait contribuer à alimenter la demande en
cuivre dans les secteurs du transport et de l’électricité au sens large
(réseaux et centrales) dans les années à venir.
En outre, la substitution des technologies traditionnelles par des
solutions décarbonées aura des conséquences sur la demande en cuivre
puisque le contenu en cuivre de ces dernières est plus important que ce
soit dans le secteur électrique ou le transport. Ainsi, les principaux
moyens de production électrique renouvelables (solaire et éolien) ont
des contenus supérieurs en cuivre en puissance installée aux moyens de
production carbonés (charbon et gaz).
Contenu en cuivre des principaux moyens de production électrique. Ecoinvent. CCGT : Combine Cycle Gas turbine ; PWR : Pressurized Water Reactor ; PV : Photovoltaic
La même tendance est observée pour les véhicules de transport
routier. Par rapport aux véhicules conventionnels, les électriques
contiennent trois à neuf fois plus de cuivre.
Contenu en cuivre des principales technologies de transport. GREET2
Scénarios d’évolution de la demande en cuivre
Dans le cadre du projet Generate, nous avons examiné deux scénarios climatiques afin d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur le marché du cuivre :
le scénario 4 °C qui est cohérent avec la limitation de
l’augmentation de la température moyenne mondiale prévue de 2100 à
4 °C ;
le scénario 2 °C qui est un scénario plus ambitieux, traduisant
les objectifs climatiques de limiter le réchauffement climatique à 2 °C
d’ici 2100.
Dans les deux scénarios, la capacité de production de cuivre devra
augmenter considérablement. Ils tendent à montrer qu’une décarbonation
des secteurs électriques et du transport pourrait engendrer une
diminution marquée de la marge de sécurité d’approvisionnement en cuivre
– c’est-à-dire du rapport entre la consommation cumulée de cuivre entre
2005 et 2055 et les ressources actuelles.
La marge de sécurité se situe ainsi à 17,3 % pour le scénario de
référence, et à moins de 4 % pour le scénario 2 °C. Pour saisir
l’ampleur de ces transformations, les réserves mondiales de cuivre de
2017 devront être multipliées respectivement par 2,2 et par 2,55 entre
2010 et 2055 dans un scénario de 4 °C et 2 °C.
Un effort supplémentaire important sur le développement des réserves
de cuivre sera donc nécessaire. Compte tenu de l’évolution historique
des réserves de cuivre, l’augmentation semble réalisable. En 1996,
l’USGS (United States Geological Survey)
estimait les réserves mondiales de cuivre à 310 Mt. En 2015, l’Institut
a révisé ses estimations à 700 Mt. Cette évolution correspond à une
multiplication par 2,25 des réserves sur seulement 20 ans, suggérant que
les besoins mondiaux en cuivre pourraient probablement être satisfaits
d’ici à 2055.
Demande cumulée de cuivre entre 2010 et 2055 selon deux scénarios climatiques. Calcul des auteurs
Dans ce contexte, l’Amérique latine pourrait obtenir une rente
supplémentaire pour l’extraction de ces ressources (dans un scénario de
2 °C) et les pays de la région qui détiennent la grande majorité des
ressources en cuivre (Chili et Pérou) constitueraient un puissant
duopole sur le marché du cuivre.Cet ensemble pourrait toutefois être confronté à une frange
concurrentielle de petits producteurs de cuivre. Selon nos résultats,
l’Afrique, l’Asie centrale et le Caucase, le Canada, le Mexique, la
Russie, les États-Unis et les autres pays en développement d’Asie sont
les régions qui disposent de ressources en cuivre suffisantes pour
satisfaire leur demande intérieure et exporter vers d’autres régions
dans les deux scénarios.
La question de l’eau au Chili
Selon notre exercice de modélisation, on peut s’attendre à ce que le
Chili renforce son rôle dans la production de cuivre en alimentant la
demande mondiale. En ce sens, les ressources en cuivre du pays sont
cruciales pour gérer la transition énergétique mondiale. Il serait donc
tentant de conclure que le Chili bénéficiera de l’accompagnement de la
demande croissante de cuivre.
Pourtant, le secteur de la production du cuivre au Chili pourrait
souffrir des limites naturelles de son propre écosystème. L’évolution du
secteur chilien du cuivre est ainsi directement liée aux ressources en
eau. L’autorité chilienne chargée de la gestion de l’eau a récemment
annoncé une réduction progressive des permis d’extraction d’eau et
l’interdiction d’accorder de nouveaux permis d’exploitation minière dans
les zones soumises à un certain stress hydrique.
À titre d’exemple, la mine Escondida, la plus grande mine de cuivre
au monde, est autorisée à pomper 1 400 litres par seconde d’eau du sol
par seconde. Entre 2020 et 2030, ce taux d’extraction devra tomber à
640 litres par seconde. Dans un contexte de baisse des teneurs en
minerai, cette réduction est d’autant plus problématique que l’eau est
une ressource importante dans les opérations de concentration du
minerai. Et son utilisation est proportionnelle à la teneur en métaux
des minerais extraits.
Le changement climatique est également un facteur qui réduit la disponibilité des ressources en eau. La solution technique choisie pour répondre aux besoins du secteur minier chilien est l’utilisation de l’eau de mer. Cochilco, la Commission chilienne du cuivre, prévoit une augmentation de 290 % de l’utilisation de l’eau de mer entre 2016 et 2028 pour alimenter les mines chiliennes.
Les consommations d’eau douce et d’eau de mer de l’industrie minière
devraient presque atteindre le même niveau en 2028. Cette conversion à
l’eau de mer de l’industrie minière chilienne posera plusieurs défis.
Les sites miniers chiliens sont en effet généralement situés dans des
zones extrêmement arides et à haute altitude. L’utilisation de l’eau de
mer implique potentiellement son dessalement, son transport par
canalisations nécessitant des systèmes de pompage et son intégration
dans les processus miniers.
L’utilisation directe de l’eau de mer nécessiterait alors des
installations adaptées, en raison des interactions entre les éléments
chimiques présents dans le minerai et l’eau de mer. Enfin, le coût
d’utilisation de l’eau de mer dans les mines est plus élevé au Chili, du
fait de l’altitude des mines et du coût plus élevé de l’énergie, par rapport aux autres pays miniers.
Des prix et une concurrence accrus
L’évolution de l’industrie minière chilienne est donc au cœur des
enjeux de la transition énergétique. Saura-t-elle répondre à la demande
mondiale de cuivre à un coût économique et environnemental
concurrentiel ? Les dépenses en eau et en énergie pour produire les
minerais nécessaires aux technologies bas carbone doivent ainsi être au
cœur de nos préoccupations.
Nos résultats soulignent que le taux d’augmentation de la
consommation mondiale de cuivre prévisible dans un scénario 2 °C devrait
exercer une pression sur la capacité de production de cuivre existante.
Dans ce contexte, on peut craindre une augmentation rapide des prix du
cuivre et une concurrence entre les différents secteurs pour la
consommation de cuivre.
Un tel phénomène affecterait sans doute le processus de transition
énergétique et traduit donc l’importance des politiques visant à
atténuer les tendances futures de la demande, notamment le recyclage et
les politiques publiques sur le transport.
Si notre scénario montre le poids des ressources en cuivre détenues
par le Chili et le Pérou, il n’élimine pas l’incertitude quant à la
capacité et la volonté de ces pays de continuer à accroître leurs
capacités de production de cuivre, notamment en raison des externalités
environnementales (eau et pollution locale) causées par l’exploitation
du minerai produit. Samuel Carcanague, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) a participé à la rédaction de cet article.