https://www-collaborativepeople-fr.cdn.ampproject.org/c/s/www.collaborativepeople.fr/single-post/2020/01/02/Abondance-et-densit%C3%A9-les-cl%C3%A9s-pour-discuter-%C3%A9nergie-et-transition?_amp_
En un peu plus de 150 ans, l’humanité a brûlé de telles quantités de combustibles fossiles (environ 1500 milliards de barils de pétrole, auquel il faut ajouter le charbon et le gaz) [1] qu’elle se retrouve face à un système climatique qui s’emballe. Alors qu’un réchauffement global de 1 degré est déjà effectif en 2019, les pays signataires de l’accord de Paris se sont engagés à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés d’ici la fin du siècle. Pour se faire, il ne faudra rien de moins qu’une révolution dans notre infrastructure énergétique qui est basée pour 80% sur les combustibles fossiles. Ceci implique d’ici 2050 de diminuer les émissions de CO2 d’un facteur 4 au moins. Outre le fait qu’une transition énergétique de cette ampleur risque de prendre beaucoup plus de temps que ce qui est souvent annoncé [2], la question de savoir comment remplacer notre dépendance aux combustibles fossiles est également un sujet portant à controverse. Les partisans d’un Green New Deal [3], ou d’un scénario de type Négawatt [4] prônent une transition vers un système basé en grande partie sur des énergies renouvelables intermittentes (EnRi). La part des EnRi en Europe est en effet en augmentation rapide [4], mais comme le montre l’exemple de l’Allemagne l’intégration massive d’EnRi n’est pas une solution miracle et pose de sérieux soucis d’intégration, mais aussi d’acceptation par la population. Plus généralement, la transition énergétique pose la question de l’abondance énergétique, sur laquelle l’économie moderne est fondée, de l’emprise de notre infrastructure sur notre environnement et de la possibilité matérielle de décarboner massivement.
Une abondance énergétique en baisse
La question des ressources est un point clé lorsqu’on parle d’énergie avec notamment la notion de pic de production, qui pour le pétrole conventionnel a été atteint en 2008 [6]. Cependant, s’il est certain qu’il reste d’énormes ressources dans le sous-sol terrestre, celles-ci ne sont intéressantes d’un point de vue énergie que si leur extraction ne demande pas plus d’énergie que les sources extraites en produisent. C’est pour évaluer cela que le concept de Taux de Retour Énergétique (TRE, EROI en anglais) fut proposé par Hall et Cleveland en 1981 [7]. Le TRE est le rapport entre l’énergie effectivement apportée à la société et l’énergie investie pour récupérer cette énergie. Le TRE définit le surplus d’énergie apporté par une activité d’extraction ou de production. Tout moyen de production d’énergie nécessite d’abord d’utiliser de l’énergie. On peut penser à l’extraction de pétrole qui nécessite des pipelines, des machines, des routes etc. Un TRE de 1,1 permet d’extraire un baril de pétrole et… c’est tout. Un TRE de 3 est nécessaire pour pouvoir le transporter, le raffiner et l’utiliser pour un moyen de transport. Plus le TRE est élevé et plus il sera possible de développer et maintenir une société complexe avec des infrastructures, un système médical, des activités culturelles et artistiques [8].
Or le TRE pour les énergies fossiles est en décroissance constante. Au début du 20ème siècle, le TRE des puits de pétrole américains était d'environ 100. Il est d’environ 10 aujourd’hui. Au niveau mondial il est aujourd’hui estimé entre 10 et 20. Cette baisse est assez facile à comprendre. On commence à extraire les ressources les plus faciles en premier ! Même si les progrès technologiques permettent d’augmenter l’efficacité des capacités d’extraction, cela ne suffit pas à compenser la difficulté de l’extraction offshore très profond par exemple. Les huiles de schistes ou sables bitumineux ont des TRE estimés entre 2 et 5… ce qui explique en partie les difficultés économiques des entreprises de ce domaine.
Qu’en est-il du TRE des alternatives potentielles aux énergies fossiles ? Les calculs de TRE sont loin d’être faciles, en partie car trouver des données fiables est en soi difficile et car les hypothèses prises par différents auteurs peuvent largement différer. Les valeurs trouvées dans la littérature peuvent donc varier assez largement. Weissbach et ses collègues [9] ont étudié de façon systématique les TRE de différentes méthodes de production d’électricité : 75 pour le nucléaire (réacteur à eau pressurisée), 30 pour le charbon, 4 à 16 pour l’éolien et 1,6 - 4 pour le photovoltaïque (PV). Pour ces 2 derniers, le chiffre le plus bas prend en compte le besoin de stockage associé à des sources intermittentes. On voit donc aisément que, nucléaire mis à part, les « nouvelles » EnRi ont des TRE relativement bas. Paradoxalement, alors que celui des énergies fossiles est condamné à diminuer, celui des EnRi est susceptible d’augmenter si le coût énergétique de la fabrication ou le rendement énergétique augmentent. Cela est également le cas pour le nucléaire, avec l’augmentation de la fraction de combustible utilisé promise par les prochaines générations de réacteurs. On estime qu’un TRE de 7-12 est nécessaire pour soutenir notre société complexe qui est également peu rationnelle dans son utilisation de l’énergie.
Une densité de puissance en forte baisse
On parle souvent de densité énergétique pour quantifier la quantité d’énergie dans une unité de masse ou de volume d’une ressource donnée : un charbon de bonne qualité a une densité de 24MJ/kg (mégajoule par kilogramme) quand un pétrole raffiné sera plus proche des 40MJ/kg. Si ces valeurs sont pratiques pour comparer des sources d’énergie différentes ou pour donner des ordres de grandeur, il est difficile de les mettre en relation avec les besoins en termes de consommation- qui peut vraiment se représenter 2 milliards de tonnes de charbon (la consommation de la Chine en 2008) ? Et le concept s’applique moins bien au PV ou à l’éolien.
Vaclav Smil a proposé en 1991 [10], et ensuite dédié un ouvrage entier au sujet [11], le concept de densité de puissance : la puissance produite (ou consommée) divisée par la surface requise pour l’infrastructure de production (ou consommation). L’estimation de ce paramètre requiert de prendre en compte tous les facteurs associés à l’extraction d’une ressource comme la taille de la mine, des installations sur le site, des accès etc, et n’est donc pas trivial. Si on regarde les densités de puissance pour les méthodes de génération d’électricité on trouve de l’ordre de 200-2000W/m² pour les centrales à gaz ou nucléaires ; de 1 à 10 W/m² pour le PV et autour de 1W/m² pour l’éolien !
A titre de comparaison, côté consommation, la ville de Paris présente en 2009 une densité de puissance d’environ 45W/m² [12]- qui correspond à la consommation énergétique divisée par la superficie de la ville. Celle de l’ensemble de la région Ile-de-France est d’environ 1W/m², et pour l’agglomération lyonnaise [13], on trouve une valeur de 7W/m². Le rapport entre les densités de puissance de consommation et de production donne une idée de la surface nécessaire pour fournir l’énergie requise. En d’autres termes, pour subvenir aux besoins de Paris avec des panneaux solaires, il faut couvrir une surface entre 4,5 et 45 fois plus grande que celle de la ville elle-même ! Pour l’agglomération lyonnaise, une surface 7 fois plus grande que celle de la région doit être recouverte d’éoliennes pour fournir suffisamment d’énergie !
On s’aperçoit immédiatement du défi de scénarios 100% EnRi : les surfaces occupées par les infrastructures de production peuvent être aussi grandes (voir beaucoup plus !) que les surfaces à alimenter ! Quand on considère que moins de 23% de la planète est encore sauvage (non modifiée ou affectée par les activités humaines) [14], et que le morcellement et la disparition des espaces habitables pour les non-humains [15] figurent parmi les premières raisons de la chute de la biodiversité, il semble peu souhaitable de couvrir de panneaux solaires ou d’éoliennes tous les espaces nous entourant. De plus, la tendance actuelle est à la concentration croissante de populations dans des méga-villes, et donc à l’augmentation de la densité de puissance des villes. La proportion de la population vivant dans des villes pourrait atteindre 68% en 2050 contre 55% en 2018 [16].
Ce qui précède devrait susciter l’interrogation du lecteur : mais alors, comment se passer des énergies fossiles ? La première conclusion est que même en ignorant l’intermittence intrinsèque des EnRi et en ne considérant que l’électricité, leur faible densité de puissance rend les scénarios 100% EnRi peu crédibles. L’intermittence rajoute la contrainte du besoin de stockage pour compenser les variations temporelles de la production électrique. Le facteur de charge moyen de l’éolien en Europe était de 22% en 2018 [17], c’est-à dire qu’une éolienne ne produit pas d’électricité 78% du temps en moyenne ! Ces moyens de stockage, si on exclut le pompage hydro-électrique dont le potentiel de développement en Europe est limité, n’existent pas encore à l’échelle requise, et auront un impact non-négligeable sur le prix de l’électricité.
Cela ne signifie pas que les EnRi soient inutiles, mais leur application à l’échelle de la consommation actuelle apparaît difficile. Il existe néanmoins d’autres utilisations possibles des EnRi, pour la production de chaleur par exemple (chaudières solaires), ou d'autres petites unités de production à même de contribuer à la résilience par la sobriété et l'autonomie énergétique.
L’autre conclusion est que le nucléaire combine un fort TRE et une très forte densité de puissance. Cependant sa faible acceptabilité, en Europe par exemple, représente une barrière non-négligeable à son développement. On peut d’ailleurs remarquer que la production électrique nucléaire mondiale stagne depuis 2000 [18]. Si certains anciens anti-nucléaires tels Michael Shellenberger et Brice Lalonde ont récemment fait volte-face et reconnu que le nucléaire était une option à considérer au vu de l’urgence climatique, les récentes discussions sur la taxonomie verte européenne montrent que la route reste longue.
On remarque de plus que même sans considérer la question climatique, la forte baisse du TRE des énergies fossiles implique que la période d’abondance énergétique, le « Carbon Pulse » [19], qui a caractérisé la Grande Accélération [20] semble approcher de sa fin. Il reste certes beaucoup de ressources, même si celles-ci sont sujettes à controverse, mais les extraire devient de moins en moins intéressant énergétiquement ! Les effets de cet approvisionnement contraint se font déjà ressentir depuis la crise de 2008.
Tout scénario de transition énergétique doit s’appuyer en premier lieu sur une forte décroissance de la consommation énergétique, c’est le cas des propositions du Shift Project, du scénario Negawatt ou du Green New Deal. Le lien entre consommation énergétique et PIB [21] rend cette proposition difficile à présenter par un candidat à une élection. Mais il apparaît possible que cette baisse de la consommation soit imposée par la baisse conjuguée du TRE des énergies fossiles et de leur taux d’extraction. Baisse non compensée par l’augmentation de la part des EnRi dans le mix énergétique qui combinent faible TRE et densité de puissance…
Références
1) https://oilprice.com/Energy/Crude-Oil/How-Much-Crude-Oil-Has-The-World-Really-Consumed.html
2) https://www.collaborativepeople.fr/single-post/2019/12/10/La-transition-%C3%A9nerg%C3%A9tique-cest-pour-quand-Un-chercheur-sexprime
3) https://www.renewableenergyworld.com/2019/08/22/bernie-sanders-green-new-deal-aims-to-have-renewables-power-homes-by-2030/#gref
4) https://negawatt.org
5) https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Energy_from_renewable_sources
6) https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2018
7) C. Hall et C. Cleveland, Science, 211 (1981), pp. 576-579C.
8) S. Hall et al, Energies 2009, 2, 25-47; doi:10.3390/en20100025
9) D. Weissbach et al; EPJ Web of Conferences 189, 00016 (2018)
10) V. Smil, General Energetics: Energy in the Biosphere and Civilization, John Wiley, New York, xiii + 369 p.
11) V. Smil, Power Density: A Key to Understanding Energy Sources and Uses
12) https://api-site-cdn.paris.fr/images/71122
13) https://www.lesechos.fr/2017/03/bilan-energetique-du-grand-lyon-33-terawattheures-pour-3-milliards-deuros-168574
14) https://www.nature.com/articles/d41586-018-07183-6
15) Aurélien Barrau, “Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité ‘’
16) https://www.un.org/development/desa/en/news/population/2018-revision-of-world-urbanization-prospects.html
17) https://windeurope.org/wp-content/uploads/files/about-wind/statistics/WindEurope-Annual-Statistics-2018.pdf
18) https://www.world-nuclear.org/information-library/current-and-future-generation/nuclear-power-in-the-world-today.aspx
19) https://www.resilience.org/stories/2018-05-08/where-are-we-going/
20) https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_accélération
21) https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/
Abondance et densité : les clés pour discuter énergie et transition
En un peu plus de 150 ans, l’humanité a brûlé de telles quantités de combustibles fossiles (environ 1500 milliards de barils de pétrole, auquel il faut ajouter le charbon et le gaz) [1] qu’elle se retrouve face à un système climatique qui s’emballe. Alors qu’un réchauffement global de 1 degré est déjà effectif en 2019, les pays signataires de l’accord de Paris se sont engagés à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés d’ici la fin du siècle. Pour se faire, il ne faudra rien de moins qu’une révolution dans notre infrastructure énergétique qui est basée pour 80% sur les combustibles fossiles. Ceci implique d’ici 2050 de diminuer les émissions de CO2 d’un facteur 4 au moins. Outre le fait qu’une transition énergétique de cette ampleur risque de prendre beaucoup plus de temps que ce qui est souvent annoncé [2], la question de savoir comment remplacer notre dépendance aux combustibles fossiles est également un sujet portant à controverse. Les partisans d’un Green New Deal [3], ou d’un scénario de type Négawatt [4] prônent une transition vers un système basé en grande partie sur des énergies renouvelables intermittentes (EnRi). La part des EnRi en Europe est en effet en augmentation rapide [4], mais comme le montre l’exemple de l’Allemagne l’intégration massive d’EnRi n’est pas une solution miracle et pose de sérieux soucis d’intégration, mais aussi d’acceptation par la population. Plus généralement, la transition énergétique pose la question de l’abondance énergétique, sur laquelle l’économie moderne est fondée, de l’emprise de notre infrastructure sur notre environnement et de la possibilité matérielle de décarboner massivement.
Une abondance énergétique en baisse
La question des ressources est un point clé lorsqu’on parle d’énergie avec notamment la notion de pic de production, qui pour le pétrole conventionnel a été atteint en 2008 [6]. Cependant, s’il est certain qu’il reste d’énormes ressources dans le sous-sol terrestre, celles-ci ne sont intéressantes d’un point de vue énergie que si leur extraction ne demande pas plus d’énergie que les sources extraites en produisent. C’est pour évaluer cela que le concept de Taux de Retour Énergétique (TRE, EROI en anglais) fut proposé par Hall et Cleveland en 1981 [7]. Le TRE est le rapport entre l’énergie effectivement apportée à la société et l’énergie investie pour récupérer cette énergie. Le TRE définit le surplus d’énergie apporté par une activité d’extraction ou de production. Tout moyen de production d’énergie nécessite d’abord d’utiliser de l’énergie. On peut penser à l’extraction de pétrole qui nécessite des pipelines, des machines, des routes etc. Un TRE de 1,1 permet d’extraire un baril de pétrole et… c’est tout. Un TRE de 3 est nécessaire pour pouvoir le transporter, le raffiner et l’utiliser pour un moyen de transport. Plus le TRE est élevé et plus il sera possible de développer et maintenir une société complexe avec des infrastructures, un système médical, des activités culturelles et artistiques [8].
Or le TRE pour les énergies fossiles est en décroissance constante. Au début du 20ème siècle, le TRE des puits de pétrole américains était d'environ 100. Il est d’environ 10 aujourd’hui. Au niveau mondial il est aujourd’hui estimé entre 10 et 20. Cette baisse est assez facile à comprendre. On commence à extraire les ressources les plus faciles en premier ! Même si les progrès technologiques permettent d’augmenter l’efficacité des capacités d’extraction, cela ne suffit pas à compenser la difficulté de l’extraction offshore très profond par exemple. Les huiles de schistes ou sables bitumineux ont des TRE estimés entre 2 et 5… ce qui explique en partie les difficultés économiques des entreprises de ce domaine.
Qu’en est-il du TRE des alternatives potentielles aux énergies fossiles ? Les calculs de TRE sont loin d’être faciles, en partie car trouver des données fiables est en soi difficile et car les hypothèses prises par différents auteurs peuvent largement différer. Les valeurs trouvées dans la littérature peuvent donc varier assez largement. Weissbach et ses collègues [9] ont étudié de façon systématique les TRE de différentes méthodes de production d’électricité : 75 pour le nucléaire (réacteur à eau pressurisée), 30 pour le charbon, 4 à 16 pour l’éolien et 1,6 - 4 pour le photovoltaïque (PV). Pour ces 2 derniers, le chiffre le plus bas prend en compte le besoin de stockage associé à des sources intermittentes. On voit donc aisément que, nucléaire mis à part, les « nouvelles » EnRi ont des TRE relativement bas. Paradoxalement, alors que celui des énergies fossiles est condamné à diminuer, celui des EnRi est susceptible d’augmenter si le coût énergétique de la fabrication ou le rendement énergétique augmentent. Cela est également le cas pour le nucléaire, avec l’augmentation de la fraction de combustible utilisé promise par les prochaines générations de réacteurs. On estime qu’un TRE de 7-12 est nécessaire pour soutenir notre société complexe qui est également peu rationnelle dans son utilisation de l’énergie.
Une densité de puissance en forte baisse
On parle souvent de densité énergétique pour quantifier la quantité d’énergie dans une unité de masse ou de volume d’une ressource donnée : un charbon de bonne qualité a une densité de 24MJ/kg (mégajoule par kilogramme) quand un pétrole raffiné sera plus proche des 40MJ/kg. Si ces valeurs sont pratiques pour comparer des sources d’énergie différentes ou pour donner des ordres de grandeur, il est difficile de les mettre en relation avec les besoins en termes de consommation- qui peut vraiment se représenter 2 milliards de tonnes de charbon (la consommation de la Chine en 2008) ? Et le concept s’applique moins bien au PV ou à l’éolien.
Vaclav Smil a proposé en 1991 [10], et ensuite dédié un ouvrage entier au sujet [11], le concept de densité de puissance : la puissance produite (ou consommée) divisée par la surface requise pour l’infrastructure de production (ou consommation). L’estimation de ce paramètre requiert de prendre en compte tous les facteurs associés à l’extraction d’une ressource comme la taille de la mine, des installations sur le site, des accès etc, et n’est donc pas trivial. Si on regarde les densités de puissance pour les méthodes de génération d’électricité on trouve de l’ordre de 200-2000W/m² pour les centrales à gaz ou nucléaires ; de 1 à 10 W/m² pour le PV et autour de 1W/m² pour l’éolien !
A titre de comparaison, côté consommation, la ville de Paris présente en 2009 une densité de puissance d’environ 45W/m² [12]- qui correspond à la consommation énergétique divisée par la superficie de la ville. Celle de l’ensemble de la région Ile-de-France est d’environ 1W/m², et pour l’agglomération lyonnaise [13], on trouve une valeur de 7W/m². Le rapport entre les densités de puissance de consommation et de production donne une idée de la surface nécessaire pour fournir l’énergie requise. En d’autres termes, pour subvenir aux besoins de Paris avec des panneaux solaires, il faut couvrir une surface entre 4,5 et 45 fois plus grande que celle de la ville elle-même ! Pour l’agglomération lyonnaise, une surface 7 fois plus grande que celle de la région doit être recouverte d’éoliennes pour fournir suffisamment d’énergie !
On s’aperçoit immédiatement du défi de scénarios 100% EnRi : les surfaces occupées par les infrastructures de production peuvent être aussi grandes (voir beaucoup plus !) que les surfaces à alimenter ! Quand on considère que moins de 23% de la planète est encore sauvage (non modifiée ou affectée par les activités humaines) [14], et que le morcellement et la disparition des espaces habitables pour les non-humains [15] figurent parmi les premières raisons de la chute de la biodiversité, il semble peu souhaitable de couvrir de panneaux solaires ou d’éoliennes tous les espaces nous entourant. De plus, la tendance actuelle est à la concentration croissante de populations dans des méga-villes, et donc à l’augmentation de la densité de puissance des villes. La proportion de la population vivant dans des villes pourrait atteindre 68% en 2050 contre 55% en 2018 [16].
Ce qui précède devrait susciter l’interrogation du lecteur : mais alors, comment se passer des énergies fossiles ? La première conclusion est que même en ignorant l’intermittence intrinsèque des EnRi et en ne considérant que l’électricité, leur faible densité de puissance rend les scénarios 100% EnRi peu crédibles. L’intermittence rajoute la contrainte du besoin de stockage pour compenser les variations temporelles de la production électrique. Le facteur de charge moyen de l’éolien en Europe était de 22% en 2018 [17], c’est-à dire qu’une éolienne ne produit pas d’électricité 78% du temps en moyenne ! Ces moyens de stockage, si on exclut le pompage hydro-électrique dont le potentiel de développement en Europe est limité, n’existent pas encore à l’échelle requise, et auront un impact non-négligeable sur le prix de l’électricité.
Cela ne signifie pas que les EnRi soient inutiles, mais leur application à l’échelle de la consommation actuelle apparaît difficile. Il existe néanmoins d’autres utilisations possibles des EnRi, pour la production de chaleur par exemple (chaudières solaires), ou d'autres petites unités de production à même de contribuer à la résilience par la sobriété et l'autonomie énergétique.
L’autre conclusion est que le nucléaire combine un fort TRE et une très forte densité de puissance. Cependant sa faible acceptabilité, en Europe par exemple, représente une barrière non-négligeable à son développement. On peut d’ailleurs remarquer que la production électrique nucléaire mondiale stagne depuis 2000 [18]. Si certains anciens anti-nucléaires tels Michael Shellenberger et Brice Lalonde ont récemment fait volte-face et reconnu que le nucléaire était une option à considérer au vu de l’urgence climatique, les récentes discussions sur la taxonomie verte européenne montrent que la route reste longue.
On remarque de plus que même sans considérer la question climatique, la forte baisse du TRE des énergies fossiles implique que la période d’abondance énergétique, le « Carbon Pulse » [19], qui a caractérisé la Grande Accélération [20] semble approcher de sa fin. Il reste certes beaucoup de ressources, même si celles-ci sont sujettes à controverse, mais les extraire devient de moins en moins intéressant énergétiquement ! Les effets de cet approvisionnement contraint se font déjà ressentir depuis la crise de 2008.
Tout scénario de transition énergétique doit s’appuyer en premier lieu sur une forte décroissance de la consommation énergétique, c’est le cas des propositions du Shift Project, du scénario Negawatt ou du Green New Deal. Le lien entre consommation énergétique et PIB [21] rend cette proposition difficile à présenter par un candidat à une élection. Mais il apparaît possible que cette baisse de la consommation soit imposée par la baisse conjuguée du TRE des énergies fossiles et de leur taux d’extraction. Baisse non compensée par l’augmentation de la part des EnRi dans le mix énergétique qui combinent faible TRE et densité de puissance…
Références
1) https://oilprice.com/Energy/Crude-Oil/How-Much-Crude-Oil-Has-The-World-Really-Consumed.html
2) https://www.collaborativepeople.fr/single-post/2019/12/10/La-transition-%C3%A9nerg%C3%A9tique-cest-pour-quand-Un-chercheur-sexprime
3) https://www.renewableenergyworld.com/2019/08/22/bernie-sanders-green-new-deal-aims-to-have-renewables-power-homes-by-2030/#gref
4) https://negawatt.org
5) https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Energy_from_renewable_sources
6) https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2018
7) C. Hall et C. Cleveland, Science, 211 (1981), pp. 576-579C.
8) S. Hall et al, Energies 2009, 2, 25-47; doi:10.3390/en20100025
9) D. Weissbach et al; EPJ Web of Conferences 189, 00016 (2018)
10) V. Smil, General Energetics: Energy in the Biosphere and Civilization, John Wiley, New York, xiii + 369 p.
11) V. Smil, Power Density: A Key to Understanding Energy Sources and Uses
12) https://api-site-cdn.paris.fr/images/71122
13) https://www.lesechos.fr/2017/03/bilan-energetique-du-grand-lyon-33-terawattheures-pour-3-milliards-deuros-168574
14) https://www.nature.com/articles/d41586-018-07183-6
15) Aurélien Barrau, “Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité ‘’
16) https://www.un.org/development/desa/en/news/population/2018-revision-of-world-urbanization-prospects.html
17) https://windeurope.org/wp-content/uploads/files/about-wind/statistics/WindEurope-Annual-Statistics-2018.pdf
18) https://www.world-nuclear.org/information-library/current-and-future-generation/nuclear-power-in-the-world-today.aspx
19) https://www.resilience.org/stories/2018-05-08/where-are-we-going/
20) https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_accélération
21) https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/