Assemblée Nationale, rapport énergies renouvellables

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 Assemblée Nationale - Palais Bourbon & Hôtel de Lassay


sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique,

Le texte intégral n'est pas copié ici, seul l'avant propose de Monsieur Julien AUBERT Président.

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N° 2195
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juillet 2019.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1) sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique,
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Julien AUBERT, Président,
et
Mme Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, Rapporteure,
Députés.
——
TOME I
RAPPORT
La commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique est composée de : M. Julien Aubert, président ; Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure ; Mmes Marie-Noëlle Battistel, Laure de La Raudière, Bénédicte Peyrol, et M. Vincent Thiébaut, vice-présidents ; M. Emmanuel Maquet, Mme Claire O’Petit et M. Nicolas Turquois, secrétaires ; Mme Sophie Auconie, MM. Xavier Batut, Christophe Bouillon, Mme Anne-France Brunet, M. Anthony Cellier, M. Vincent Descoeur, Mme Jennifer De Temmerman, M. Fabien Gouttefarde, Mmes Danièle Hérin, Stéphanie Kerbarh, MM. François-Michel Lambert, Jean-Charles Larsonneur, Mmes Florence Lasserre-David, Véronique Louwagie, Laurence Maillart-Méhaignerie, Mathilde Panot, M. Hervé Pellois, Mme Claire Pitollat, MM. Didier Quentin, Hubert Wulfranc, et Mme Hélène Zannier, membres.
SOMMAIRE
___
Pages
AVANT PROPOS DE M. JULIEN AUBERT, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 9
INTRODUCTION 31
I. L’INTÉGRATION DANS LE MIX ENERGETIQUE DES ENR ÉLECTRIQUES EST TECHNIQUEMENT VIABLE, MÊME SI DES QUESTIONS SUBSISTENT 39
A. DE LA VARIABILITÉ DE LA DEMANDE À LA VARIABILITÉ DE LA PRODUCTION, L’IMPOSSIBLE DÉFI POSÉ PAR LES ENR INTERMITTENTES ? 39
B. L’INTÉGRATION DES ENR NÉCESSITE DES ADAPTATIONS DU RÉSEAU 47
C. FOISONNEMENT, PRÉDICTIBILITÉ ET COMPLÉMENTARITÉ VIENNENT RÉDUIRE LA VARIABILITÉ 55
D. BILAN ET PERSPECTIVES POUR LE STOCKAGE DE L’ÉLECTRICITÉ 59
II. LA TRANSPARENCE DES COÛTS EST INDISPENSABLE POUR GARANTIR DES CHOIX BUDGÉTAIRES COHÉRENTS ET UN VÉRITABLE CONSENTEMENT CITOYEN AU FINANCEMENT DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 67
A. PRINCIPES DE FINANCEMENT DE L’ÉNERGIE 67
B. TRANSPARENCE DES TAXES ET PRÉLÈVEMENTS SUR LA FACTURE D’ÉLECTRICITÉ 70
1. La part représentative de la fourniture d’électricité 74
a. Le marché de gros 74
b. L’influence de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique 76
c. Le lissage par les tarifs réglementés de l’impact, pour le consommateur, de la volatilité des prix 80
d. Le marché des garanties de capacité 83
2. La part représentative de l’acheminement de l’électricité 86
3. La dynamique du soutien financier public aux énergies renouvelables électriques a été soustraite de la facture d’électricité 89
C. LE DYNAMISME DE LA TRAJECTOIRE DES ENGAGEMENTS ET DES CHARGES DE SOUTIEN AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES 93
1. L’appréciation de la Commission européenne est devenue plus stricte en ce qui concerne la compatibilité des aides avec le marché intérieur 93
2. La perspective d’un effet de ciseau des coûts de production de l’électricité de source renouvelable inférieur et de source nucléaire est-elle plausible ? 95
3. Les énergies renouvelables électriques : de la neutralisation politique de leurs surcoûts à la compétitivité économique 103
a. Le solaire photovoltaïque 106
b. L’éolien terrestre 108
c. L’éolien posé en mer 111
d. L’hydraulique, première source d’électricité renouvelable 115
D. LA TRANSPARENCE PERFECTIBLE DES FINANCEMENTS PUBLICS 116
1. Une lisibilité médiocre des moyens publics mis en place au service de la transition énergétique 117
a. Des documents budgétaires nombreux et entretenant la confusion 117
b. Des progrès attendus pour le projet de loi de finances pour 2020 119
2. Les ressources de la transition énergétique 120
a. La fiscalité énergétique ayant un impact sur la transition énergétique 120
b. La fiscalité énergétique au service de la transition 121
c. La fiscalité non énergétique au service de la transition énergétique 123
3. Les affectations de crédits au service de la transition énergétique 123
a. Le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » 123
b. Les aides financières aux particuliers et aux entreprises 125
c. Le budget général 125
d. Le fonds chaleur 125
e. Le cas des CEE 126
f. Le chèque énergie 126
4. D’autres modalités d’intervention pour la transition énergétique 126
a. Une dépense fiscale : le crédit d’impôt pour la transition énergétique 126
b. Des facilités de prêt 127
c. Des investissements d’avenir 127
E. LES FINANCEMENTS PRIVÉS : L’ÉVOLUTION DES MODÈLES ÉCONOMIQUES 129
1. Bien qu’encore timides et dépendants des incitations publiques, les investissements privés dans la transition énergétique montent en puissance 129
a. Des investissements importants mais qui accusent toujours du retard sur certains objectifs 129
b. La maturité des filières, de la subvention à l’autosuffisance ? Un basculement attendu qui demeure à un horizon difficilement prédictible 130
c. Le mécanisme des garanties d’origine 132
2. La transition est devenue une réalité pour les grands groupes énergétiques français, qui ont adapté leurs modèles économiques à l’essor des énergies renouvelables 133
a. La diversification pragmatique des activités des groupes historiques 133
b. La croissance externe et l’investissement dans des technologies de rupture sont aussi des formes de financement privées de transition énergétique 134
c. Des débouchés économiques nouveaux provoquent des investissements privés par anticipation 136
d. Le prix du carbone, outil pertinent de fléchage de l’investissement privé ? 137
3. L’évolution encore embryonnaire du système financier 138
a. Le financement privé des énergies fossiles demeure massif 138
b. Le levier de la réglementation financière doit stratégiquement structurer une finance « verte » complémentaire des investissements publics 139
c. Le financement participatif, outil d’appropriation citoyenne des projets 142
III. LES ÉNERGIES THERMIQUES 147
A. LA PART DE LA CHALEUR DANS LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE EN FRANCE 149
1. La France est en retard sur ses objectifs de chaleur renouvelable 149
2. La compétitivité des ENR thermiques 149
B. COMMENT MIEUX SOUTENIR LA CHALEUR RENOUVELABLE ? 151
1. Les normes de construction peuvent favoriser la transition énergétique 151
2. Les technologies éligibles au crédit d’impôt transition énergétique 151
3. Le fonds chaleur 152
C. LES ÉNERGIES RENOUVELABLES THERMIQUES CIBLÉES PAR LE FONDS CHALEUR 153
1. La biomasse 153
2. La géothermie 154
3. Le biogaz 156
4. Le solaire thermique 161
5. La chaleur fatale 162
6. Les réseaux de chaleur 163
D. L’APPRÉCIATION DE LA COUR DES COMPTES SUR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES THERMIQUES 165
E. LES ÉNERGIES RENOUVELABLES THERMIQUES ET LA CLIMATISATION : UNE POINTE ESTIVALE EN FORMATION ? 165
IV. LES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE AU CœUR DES ACTIONS POUR ATTEINDRE LES OBJECTIFS CLIMATIQUES DE LA FRANCE 169
A. TENDANCES MONDIALES 172
1. Total des investissements pour l’efficacité énergétique dans le monde entre 2017 et 2018 172
2. Part de l’efficacité énergétique dans la réduction du volume de CO2 entre 2017 et 2018 173
B. L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE LIÉE AU CHAUFFAGE EN FRANCE 173
1. La construction neuve doit répondre aux exigences de la RT 2012 180
2. Le parc bâti existant 182
a. Le gisement des gains énergétiques potentiels 187
i. Le diagnostic de performance énergétique 187
ii. Quels postes de travaux pour les rénovations énergétiques ? 189
b. La qualité des professionnels intervenant est la condition d’une politique de rénovation énergétique crédible 192
c. La capacité financière des ménages demeure le facteur permettant la réalisation concrète des objectifs de la politique de rénovation énergétique 195
3. Les dispositifs de soutien public nationaux 198
a. Les limites du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) 199
b. La TVA à taux réduit sur les travaux de rénovation énergétique 205
c. L’éco-prêt à taux zéro 205
d. Les aides de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) 206
4. Les certificats d’économies d’énergie (CEE) 208
V. CENTRALISATION DE LA PROGRAMMATION ÉNERGÉTIQUE : DE LA NATION À L’EUROPE… 213
A. LE NÉCESSAIRE PASSAGE D’UNE LOGIQUE D’OPTIMISATION NATIONALE À UNE LOGIQUE D’OPTIMISATION EUROPÉENNE 213
B. LES ENGAGEMENTS EUROPÉENS EN MATIÈRE DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 219
1. La transposition de l’Accord de Paris dans la stratégie européenne de lutte contre le changement climatique : un choix ambitieux, renforcé par la présidence finlandaise 219
2. Le paquet Énergie-Climat : une ambition climatique et énergétique, dite stratégie 20/20/20 219
3. Une vision ambitieuse : une planète sobre pour tous. Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat 220
4. La présidence finlandaise : une ambition renforcée pour la lutte contre le changement climatique 224
C. LA CONSTRUCTION DE L’UNION DE L’ÉNERGIE : UN PAQUET « ÉNERGIE-CLIMAT » FAVORABLE AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES 224
1. Le traité de Lisbonne pose une base légale en termes de compétence communautaire dans le domaine de l’énergie 224
2. Le quatrième rapport sur l’état de l’Union de l’énergie, adopté le 9 avril 2019, précise les progrès accomplis dans le secteur des énergies renouvelables 225
3. La communication du 18 juin 2019 renforce les obligations des États membres afin d’atteindre les objectifs de l’Union de l’énergie et de l’action pour le climat 225
D. LA CONVERGENCE DES CHOIX POLITIQUES EN MATIÈRE DE BOUQUET ÉNERGÉTIQUE 226
1. L’exemple allemand : un choix ambitieux en termes d’énergies renouvelables… financé in fine par le consommateur 226
a. Energiewende, le choix assumé des énergies renouvelables 226
b. Un financement de la transition énergétique innovant : le Fonds spécial « Energie-Climat » (EKF) 229
c. Le choix d’une fiscalité verte assumée in fine par le consommateur 229
d. Malgré les coûts induits pour le consommateur, une forte acceptabilité 231
2. L’exemple de la Suède : un modèle à suivre ? 231
a. La taxe carbone, un modèle d’acceptabilité sociale 232
b. Une transition énergétique réussie grâce à une réforme fiscale d’ampleur 235
c. Le marché des certificats verts d’électricité renouvelable, un modèle à étudier 235
VI. … ET DÉCENTRALISATION DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : DE LA NATION, AUX TERRITOIRES, AUX CITOYENS 237
A. LES OUTILS DE PLANIFICATION DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 237
1. La SNBC 237
2. La PPE 239
3. Le SRADDET 241
4. Le PCAET 241
B. UNE TELLE PLURALITÉ DE DOCUMENTS DE PLANIFICATION APPARAÎT SOURCE D’INCERTITUDES QUANT À LEUR PORTÉE JURIDIQUE ET D’UNE INSUFFISANTE CLARTÉ QUANT À LEUR ARTICULATION 242
1. La portée juridique des différents documents de planification, parfois complexe à saisir, se révèle souvent très faible 242
2. Le grand nombre de documents et leur manque d’articulation rendent complexes l’appropriation de la planification tout comme la réalisation des objectifs de la transition énergétique 244
3. Une planification peu lisible et des résultats décevants 248
a. Le suivi des objectifs et indicateurs est complexe, fragilisant encore l’appropriation, notamment par le grand public, de la planification en matière de transition énergétique, 248
b. Les écarts constatés entre les objectifs et la réalité poussent à la prudence dans l’élaboration des prochaines programmations 249
C. L’APPROPRIATION LOCALE DES PROJETS D’INSTALLATIONS TEND À CONFORTER LEUR RÉALISATION ET CONDITIONNE UNE ADHÉSION DURABLE À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 249
1. L’association des territoires facilite l’appropriation locale des objectifs nationaux du développement des énergies renouvelables 249
2. L’adhésion citoyenne 253
3. Des citoyens qui souhaitent s’engager dans la transition : la flexibilité de la demande « à la demande » 268
CONCLUSION 269
RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 283
EXAMEN EN COMMISSION 291
CONTRIBUTIONS ÉCRITES 295
I. CONTRIBUTION DU GROUPE UDI, AGIR ET INDÉPENDANTS, PORTÉE PAR MMES SOPHIE AUCONIE ET LAURE DE LA RAUDIÈRE 295
II. CONTRIBUTION VISANT À PROPOSER DES RECOMMANDATIONS COLLECTIVES AU RAPPORT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 298
III. CONTRIBUTION DE M. XAVIER BATUT 301
IV. CONTRIBUTION DE M. VINCENT DESCOEUR 304
V. CONTRIBUTION DE MME LAURE DE LA RAUDIÈRE 307
VI. CONTRIBUTION DE MME VÉRONIQUE LOUWAGIE 312
VII. CONTRIBUTION DE M. EMMANUEL MAQUET 318
VIII. CONTRIBUTION DE M. VINCENT THIÉBAUT 320
IX. CONTRIBUTION DE M. NICOLAS TURQUOIS 322
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 325
ANNEXES 337
I. ANNEXE I : CHARTE MORALE D’ENGAGEMENT DANS LE CADRE D’UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT DE PARCS ÉOLIENS À FURNES 337
II. ANNEXE II : CHARTE ÉTHIQUE DE FRANCE ÉNERGIE ÉOLIENNE 343
AVANT PROPOS
DE M. JULIEN AUBERT,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
En février dernier, à l’initiative du groupe Les Républicains, la commission du développement durable adoptait le principe de la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique.
Soixante-treize auditions publiques durant cent heures – un record pour une commission d’enquête - ont permis d’entrevoir les coulisses de la transition énergétique et de pointer un certain nombre de faits, d’où il ressort que tout ne va pas de soi, derrière la rhétorique de l’évidence d’énergies renouvelables inépuisables, partant, « gratuites » et écologiques, au point même que le président de la commission d’enquête a été menacé de poursuites judiciaires pour des appréciations portées à sa connaissance et à celle des membres de la commission, lors d’une audition, et qui ont déplu à un développeur d’énergie éolienne.
Les interrogations que suscite la transition énergétique tiennent à la prise de conscience de l’écart entre, d’une part, le discours présentant cette transition comme l’instrument d’une révolution technologique et sociale souriante et maîtrisée, et, d’autre part, les conséquences vécues des choix faits à mesure que ces conséquences se déploient.
La transition énergétique coûte cher. Elle a un coût croissant pour le consommateur d’énergie et contribuable. Pourtant, telle qu’elle est conçue, cet effort a une portée limitée au regard des enjeux climatiques, notre production d’électricité étant déjà faiblement émettrice de gaz carbonique. Quant à la promesse de proximité, elle prend souvent le visage de l’acceptation résignée d’inconvénients multiples, sous l’injonction expresse ou implicite d’un « il faudra vous y faire. », quand n’apparaissent pas, de plus en plus, des signes d’une révolte croissante des territoires ruraux à l’égard de certaines formes d’énergie renouvelable.
Le malentendu risque, de plus en plus, d’être le signe distinctif de cette transition énergétique. Ces cent heures d’audition ont cependant permis de dégager un fil rouge (ou vert) de lecture de l’actuelle politique de transition énergétique.
1. La transition du nucléaire vers les énergies électriques intermittentes n’a aucun impact sur le CO2 et ne permet donc pas de lutter contre le réchauffement climatique
Quelle transition énergétique est-elle en réalité à l’œuvre en France aujourd’hui ? Il s’agit de la première question à laquelle la commission d’enquête a répondu, et sur laquelle la réponse est consensuelle, rappelée en introduction du rapport.
a. L’impact sur le CO2
En 2018, les émissions de gaz carbonique ont représenté, en France, de l’ordre de 9 % des émissions de l’Union européenne et de 0,9 % des émissions mondiales. Plus de 30 % des émissions proviennent des transports routiers, transport individuel et de marchandises, plus de 20 % du bâtiment résidentiel et tertiaire. Pour sa part, la production d’électricité est responsable de 5 % des émissions.
Si l’on considère maintenant l’évolution à moyen terme, entre 1960 et 2016, des émissions de gaz carbonique en France métropolitaine, telle qu’elle ressort des données du CITEPA (2), une telle évolution fait apparaître :
▪ une forte diminution des émissions au titre de la transformation d’énergie, de 79 millions de tonnes en 1960 à 44 millions de tonnes en 2016, après un pic à 146 millions de tonnes en 1980. Il faut y voir, en grande partie, les conséquences du choix électronucléaire pour la production d’électricité, lors de la précédente transition énergétique ;
▪ une forte diminution également des émissions au titre de l’industrie manufacturière, qui reviennent de 129 millions de tonnes en 1960 à 74 millions de tonnes en 2016, après un pic en 1973 à 136 millions de tonnes. Ce résultat traduit les efforts d’efficacité énergétique et, hélas, les effets de la désindustrialisation affectant notre pays ;
une très forte augmentation des émissions au titre du transport routier, une quasi-multiplication par six, puisqu’elles passent de 21 millions de tonnes en 1960 à 122 millions de tonnes en 2016, après un pic à 130 millions de tonnes dans les années 2002-2004 ;
une forte augmentation des émissions dans le champ résidentiel et tertiaire, puisqu’elles passent de 49 millions de tonnes en 1960 à 75 millions de tonnes en 2016 après un pic à 136 millions de tonnes en 1973.
Si l’on se fixe pour objectif de diminuer les émissions de CO2 aucune ambiguïté ne demeure quant aux cibles des actions prioritaires à mener : il s’agit du transport et du bâtiment.
Or, si l’on met la répartition par filière de l’aide publique à la transition énergétique en regard d’un tel constat, la conclusion apparaît tout autant dépourvue d’ambiguïté : les choix de soutien public tendent avant tout à mettre en œuvre une nouvelle transition électrique, visant à substituer au nucléaire des énergies alternatives électriques. Compte tenu des caractéristiques de notre bouquet électrique, de tels choix visent donc essentiellement à substituer une énergie décarbonée à une énergie déjà décarbonée.
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Jean François Carenco, le président de la CRE, ne s’en est d’ailleurs pas caché et a expressément convenu du fait que la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables électriques ne sont pas réalisés dans le but de diminuer les émissions de gaz à effet de serre : « Il ne faut pas s’y tromper : grâce au mix énergétique décarboné, composé principalement de nucléaire et d’hydroélectrique, nous bénéficions déjà de faibles émissions de CO2 et d’un prix de l’électricité maîtrisé. Nous émettons six fois moins de CO2 que nos voisins allemands et le prix de l’électricité pour un consommateur résidentiel moyen est de l’ordre de 180 euros par mégawattheure contre 300 euros en Allemagne. Le développement des énergies renouvelables électriques ne sert donc pas à réduire les émissions de CO2. Il faut le rappeler, car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet. Cela n’a aucun sens et procède d’une forme de populisme idéologique. » (3)
Si l’on veut être précis, l’argument de la décarbonation mériterait d’ailleurs d’être relativisé, lorsque l’on parle de développer la production électrique. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), un panneau solaire doit fonctionner en moyenne trois ans pour produire l’énergie qui a été nécessaire à sa fabrication, son impact carbone étant en moyenne de 55 grammes d’équivalent CO2/kWh. Les étapes de purification et de préparation du silicium nécessitent beaucoup d’énergie et passent encore par l’utilisation de produits chimiques comme l’acide sulfurique.
Quant aux éoliennes, si elles n’émettent pas de gaz à effet de serre lors de leur production d’électricité, elles n’en demeurent pas moins une source globale d’émissions au cours de leur cycle de vie. Toujours selon l’ADEME, l’analyse du cycle de vie d’une éolienne, qui prend en compte à la fois l’extraction et le traitement des matières premières mais aussi les processus de fabrication, le transport, la distribution, la réutilisation et le recyclage de certains composants, conduit à une émission en moyenne entre 12 et 15 grammes d’équivalent CO2/kWh. Ce résultat s’explique en grande partie par la fabrication des composants qui représente 50 % de l’équivalent CO2 ainsi que par leur transport vers le site d’assemblage ou d’installation.
b. L’impact environnemental
Au-delà du strict sujet du carbone, l’impact environnemental de la transition énergétique peut s’envisager de plusieurs façons.
Dans une première approche, on peut s’attacher aux critères permettant de définir les énergies renouvelables. De façon simple et tautologique, est renouvelable ce qui est considéré comme renouvelable par les directives européennes ou le code de l’énergie. On peut aussi vouloir rechercher ce que recouvre plus concrètement cette distinction, tant prisée et mise en avant. Si l’on prend l’opposition entre le nucléaire et l’éolien, tous deux faiblement émetteurs de CO2, l’un est classé dans la rubrique des énergies renouvelables et l’autre est classé dans la rubrique des énergies fossiles, parce que l’un utilise la force du vent et l’autre le minerai d’uranium.
Or, si l’on passe à une approche en termes de cycle de vie et d’efficacité de la production, il apparaîtra que les énergies renouvelables consomment néanmoins plus de matières minérales et métalliques que les technologies du bouquet énergétique traditionnel, ainsi qu’une plus grande variété de métaux. Selon le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), par rapport aux énergies fossiles, pour une même quantité d’énergie produite, l’éolien et le photovoltaïque nécessitent quinze fois plus de béton, quatre-vingt-dix fois plus d’aluminium et cinquante fois plus de cuivre. S’agissant des métaux, 70 % des métaux de la table de Mendeleïev sont nécessaires à la transition énergétique.
Une centrale nucléaire, classée dans les modes de production fossiles, est faite de béton, d’acier et a besoin de minerai pour produire de l’électricité, quand une éolienne, classée dans les modes de production renouvelables, est faite de béton, d’acier et de métaux pour capter le vent nécessaire à la production d’électricité. La fabrication de la plupart des panneaux photovoltaïques est aujourd’hui à base de silicium, l’un des éléments les plus abondants de la croûte terrestre, et utilise l’aluminium, l’argent, le plomb pour les soudures et le brome pour les onduleurs.
Il est à noter que le problème n’est pas seulement en amont de la transition. S’agissant du véhicule électrique, les représentants du BRGM ont indiqué, lors de leur audition par la commission d’enquête, qu’en cas d’atteinte des objectifs de développement de la voiture électrique en France, la consommation de cobalt française serait équivalente à la consommation en cobalt mondiale actuelle. Ils ont également tempéré l’argument consistant à pouvoir s’en remettre au recyclage pour atteindre l’indépendance d’approvisionnement en métaux, compte tenu des changements d’échelle induits par la transition énergétique elle-même.
Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’il existerait des moyens de produire de l’énergie sans inconvénients, mais de souligner le déséquilibre existant entre un discours excessivement à charge dans le cas des énergies fossiles et un discours excessivement à décharge dans le cas des énergies dites vertes. Dans ses auditions, la commission d’enquête s’est attachée à corriger ce déséquilibre.
*
* *
Les enseignements de la commission d’enquête conduisent donc au constat partagé d’une politique de soutien à l’énergie électrique sans impact majeur en termes de réduction des émissions de CO2, mis à part ce qui a trait au remplacement des centrales au charbon, étant entendu que ces dernières sont pilotables, ce que ne sont pas les énergies photovoltaïque ou éolienne ; et à l’impact environnemental possiblement plus négatif qu’anticipé.
Ce premier constat pose deux problèmes :
– Le premier est que ce choix énergétique représente une dépense de plusieurs dizaines de milliards d’euros, en période de disette budgétaire, sur fond de crise du consentement fiscal. Cela nous amène au point 2 de cet avant-propos.
– Le second est celui de l’acceptabilité sociale, car l’opinion publique est trompée sur le véritable impact de la politique éolienne et photovoltaïque. Cela sera étudié dans le point 3 de cet avant-propos.
2. Combien coûte la transition énergétique ?
a. Le coût budgétaire de la politique de soutien aux énergies intermittentes se chiffre en dizaines de milliards d’euros en raison d’un modèle économique dépendant des subventions publiques et ce modèle est peu flexible
Comme les pays qui ont précédé le nôtre dans le développement des énergies renouvelables, le processus de soutien public a cheminé à partir d’une forte incitation à son commencement, avec un tarif d’achat garanti sans limitation des quantités produites. Ce mécanisme a contribué au démarrage du solaire photovoltaïque et de l’éolien. Le tarif de rachat a été fixé très au-dessus du prix de marché. L’État s’est engagé dans les premières années sur des tarifs de rachat très avantageux de l’électricité intermittente.
Devant la charge croissante et son rythme d’évolution, les différents pays ont ensuite retenu des systèmes de compléments de rémunération pour obliger les producteurs à obtenir une part de leur rémunération au prix de marché.
Enfin, une étape supplémentaire a consisté à maîtriser la quantité produite d’énergie subventionnée au moyen d’appels d’offres.
Si je prends l’exemple du soutien public à l’éolien, tel que j’en ai récemment rendu compte à la commission des finances, l’addition des différents soutiens directs représente de 72,7 à 90 milliards d’euros, pour une filière appelée à représenter 15 % au maximum de la production électrique en 2028 :
▪ 9 milliards d’euros dépensés par le budget de l’État depuis le début des années 2000, au titre du soutien direct sous la forme des charges de service public de l’énergie ;
▪ 45 milliards d’euros supplémentaires correspondant à des dépenses relatives à des contrats en cours d’exécution (éolien terrestre, 23 milliards d’euros) ou conclus mais non encore honorés (éolien en mer posé, 22 milliards d’euros) ;
▪ de 18,7 à 36 milliards d’euros supplémentaires correspondant à l’impact budgétaire des engagements à souscrire pour atteindre les objectifs du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie.
Cette stratégie a eu quatre conséquences.
La première conséquence, passée, est que ces « frais de démarrage » ont mobilisé près de 24 milliards d’euros (15 pour le photovoltaïque, 9 pour l’éolien), prélevés sur la facture d’électricité, qui ont cruellement manqué à l’investissement dans l’avenir du parc nucléaire.
La seconde conséquence est que ce soutien nous oblige pour l’avenir et représente une dépense publique à venir de près de 70 milliards d’euros (25 milliards pour le photovoltaïque, 45 milliards d’euros pour l’éolien), sans compter les engagements de la PPE.
La troisième conséquence est donc qu’en réalité ces « crédits votés » conditionnent durablement et implacablement les « dépenses nouvelles ». Parce que l’éolien et le photovoltaïque sont des filières sorties plus tôt que d’autres dans le débat écologique, elles bénéficient structurellement d’un soutien public qui fait défaut désormais, faute de poches publiques inépuisables, aux industries nouvelles.
Si l’on considère la répartition des subventions au titre du service public de l’électricité, telle que la CRE les a arrêtées, entre 2003 et 2018, près de 28,2 milliards d’euros ont été versés pour le soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole et 118 millions d’euros pour l’injection de bio-méthane dans le réseau de gaz. Si l’on s’attache à l’estimation faite par la Cour des comptes dans son rapport de 2018 sur le soutien aux énergies renouvelables, sur un montant de 5,3 milliards d’euros en 2016, 4,6 milliards d’euros (87 %) revenaient aux énergies renouvelables électriques et 13% aux énergies renouvelables thermiques (689 millions d’euros).
Ces données recouvrent plusieurs aspects : le poids des engagements passés en matière de soutien aux énergies renouvelables électriques et le moindre besoin de soutien aux énergies thermiques, lesquelles représentaient, en 2016, toujours selon la Cour des comptes, 60 % de la production d’énergie renouvelable hors transport et seulement 10 % des charges de soutien.
Une forte inertie marque donc le soutien aux énergies renouvelables électriques. Selon les hypothèses de la CRE, en 2017, à partir des rythmes de développement observés pour les différentes filières, l’essentiel des charges en 2023 (84 %) relèvera de dépenses pour des engagements de soutien antérieurs à 2017. Il faudra attendre 2030 pour voir une diminution significative de la charge annuelle au titre des engagements passés.
La quatrième conséquence, qui ressort des auditions de la commission d’enquête est que, sous l’étiquette d’un marché régulé, la transition énergétique a beaucoup d’un commerce de subventions publiques. Les acteurs du système ont beaucoup de mal à penser, imaginer ou même accepter l’idée qu’on puisse dans un avenir proche retirer ces aides.
On pourrait même craindre une spirale du subventionnement : soit les énergies éolienne et solaire ne sont pas compétitives par elles-mêmes, mais uniquement parce qu’on leur garantit une injection prioritaire de leur production dans le réseau et qu’on impose aux consommateurs-contribuables d’en supporter les surcoûts et il n’y a alors pas de perspective de voir disparaître ce subventionnement, soit ces énergies sont matures, et dans ce cas, même dans un marché régulé, il est légitime d’envisager la suppression des subventions.
À l’étape actuelle de ce cheminement, l’argument de la compétitivité croissante des énergies renouvelables électriques est souvent mis en avant, ce qui signifie, hélas, en pratique et si l’on veut parler clair, qu’elles restent donc encore économiquement non compétitives sans soutien public.
b. La réflexion en coût marginal de production, qui est celle privilégiée par le rapport, occulte totalement le coût global économique de la politique de transition électrique
À propos de la compétitivité, le rapport fait le choix d’analyser le choix énergétique au travers du seul coût marginal par unité d’énergie produite, ce qui permet de pointer la convergence entre coût nucléaire et le coût du photovoltaïque.
Cette méthodologie est exacte mais elle a cependant des limites : premièrement, il peut arriver dans les argumentaires que l’on confonde le dernier coût connu (par exemple : coût au MW/h du dernier parc solaire inauguré) et le coût moyen (la moyenne des coûts de production par MW/h de tous les champs solaires), qui est forcément plus élevé puisque les premiers parcs inaugurés étaient très peu compétitifs. Deuxièmement, elle ne permet pas de bâtir un choix politique éclairé. Ce qui m’importe, c’est le coût complet (incluant les modifications du réseau qui sont nécessaires pour absorber l’intermittence, ou le coût du refoulement de l’électricité), c’est à dire le coût budgétaire du soutien, mais aussi le coût économique.
Les pics de production d’électricité à partir d’énergie fatale, comme le vent ou le soleil, sans corrélation avec les pics de demande d’électricité, conduisent à refouler l’électricité du réseau de distribution vers le réseau de transport et à compenser cette injection par une diminution de l’appel aux autres moyens de production. Dans certains cas extrêmes, cela peut se traduire par des prix négatifs sur le marché de gros de l’électricité. La situation est plus fréquente en Allemagne qu’en France en raison de la plus grande part d’énergies renouvelables dans son bouquet électrique.
La variabilité accrue des prix de l’électricité qui en résulte affecte inévitablement les décisions d’investissement des différents producteurs d’électricité. L’adaptation aux injections d’électricité d’origine renouvelable se fait par la réduction de la production des moyens classiques (exemple : centrale à gaz), dont le coût moyen de production augmente, ce qui conduit un industriel, en bonne raison économique, à augmenter le prix de vente, à réduire sa marge ou à diminuer les capacités de production pour restaurer le facteur de charge. En effet, le coût de revient du mégawatt heure des moyens classiques de production comprend un coût de fonctionnement faible et un coût de capital qui croît en cas de moindre utilisation.
En d’autres termes, plus on développe des énergies intermittentes, plus on perturbe le modèle économique des autres modes de production. De nombreuses centrales à gaz ont ainsi été mises « sous cocon » par les producteurs, voire fermées, du fait de l’ordre de priorité sur le réseau donné aux productions vertes.
L’éviction des moyens classiques au profit des énergies renouvelables intermittentes augmente la part relative de ces dernières dans la production mais ne change rien aux conséquences de leur intermittence pour la stabilité du réseau. Attribuer l’augmentation des coûts de système qui résultent de l’augmentation de la part des énergies renouvelables intermittentes à l’insuffisante flexibilité du « vieux système électrique » n’est guère convaincant. Cette augmentation résulte bien de l’ajout de moyens de production non pilotables qui bénéficient d’une garantie de priorité d’achat de leur production.
En tout cas, que l’on choisisse de les attribuer à l’insuffisante flexibilité du réseau centralisé ou aux perturbations résultant du choix de faire cohabiter sur un même réseau des modes de production à partir d’énergie fatale et des modes de production pilotables, ces coûts résultent bien d’une décision politique portant modification du bouquet électrique.
3. L’acceptabilité : consentement fiscal, acceptabilité sociale
a. Ces surcoûts sont payés par les citoyens français, mais la complexité est telle que la transition est une boîte noire
Dans tous les pays qui ont choisi de mettre le soutien au développement des énergies renouvelables à la charge du consommateur d’électricité, les coûts de l’énergie ont augmenté sensiblement pour le consommateur. Ce subventionnement des énergies renouvelables, ou de la prise en charge de certaines de leurs conséquences, a donc une autre face : les coûts croissants facturés au consommateur et contribuable.
Sur ce point, le maquis des taxes, prélèvements et dispositifs est particulièrement broussailleux. Les Français connaissent ainsi la CSPE mais en réalité, elle a disparu, intégrant la TIFCE et ne finance plus la transition écologique directement mais le budget général, à l’image de la défunte vignette dont le produit fiscal a survécu à sa raison d’être disparue. Les Français parlent de taxe carbone, mais en réalité les membres de la commission ont découvert que la fameuse TICPE, appelée abusivement « taxe carbone » dans le débat public, obéissait à un montage complexe d’addition de trois taxes avec une composante carbone, modulée par catégorie de combustible. Les contributions se chevauchent parfois, s’amplifient ou se compensent. La TVA est ainsi perçue sur la facture augmentée des accises comme la TIFCE ou la TICPE. L’écart entre débat politique, opinion publique et réalité fiscale est parfois saisissant.
Historiquement, la facture d’électricité a augmenté en lien avec la transition énergétique, avant que le relais ne soit pris par la facture de carburant.
La transition énergétique a d’abord impacté le montant des taxes au travers de la contribution au service public de l’électricité. Si l’on prend l’exemple d’une facture d’électricité pour un consommateur résidentiel au tarif réglementé de vente, 35 % de la facture représente la fourniture de courant électrique, 30 % l’utilisation des réseaux de transport et de distribution pour acheminer et mettre à disposition l’électricité, 35 % les taxes diverses.
En 2016, le choix a été fait de retracer désormais la charge de ce soutien dans le budget de l’État et de lui affecter une part du produit des taxes de consommation sur les carburants et le charbon. Il s’agissait logiquement de taxer les consommations fossiles. La charge du soutien aux énergies renouvelables électriques est donc passée du consommateur d’électricité à l’automobiliste, sans qu’il y ait eu d’atténuation de l’impact de la hausse de la taxe de consommation des carburants, au titre de sa composante carbone, par une diminution de la taxe sur la consommation d’électricité. En d’autres termes, au lieu d’inciter fiscalement à un usage vertueux, qui serait d’avoir recours à l’électrique, on a préféré conserver les taxes d’hier et rajouter les taxes de demain.
Est également inclus dans le prix de vente de l’énergie, l’effet des certificats d’économies d’énergie (CEE), qui traduisent l’obligation faite aux fournisseurs d’énergie de participer au financement d’actions en vue de diminuer les consommations d’énergie, dont un volet destiné aux ménages en situation de précarité énergétique. La charge ainsi répercutée dans le prix de vente l’est à hauteur de 2 % de la facture d’électricité toutes taxes comprises et de 3 % de la facture de carburant. Ces CEE ne sont pas une taxe, officiellement, mais tout Français les paye, et notamment au travers de son plein de carburant. La TVA est calculée en prenant en compte le coût majoré du carburant, c’est-à-dire que la hausse de cette quasi-imposition, pilotée dans son volume par le Ministre de l’Écologie, alimente les caisses de l’État. Le Parlement, lui, n’a pas le droit de voter quoi que ce soit relatif au montant annuel de ces obligations qui se répercutent sous forme de coûts pour les citoyens. Même si la nature marchande du système des CEE permet une forme d’inventivité, le fait que ce quasi-impôt échappe à toute autorisation parlementaire pose problème. Le système lui-même est assez opaque, mal régulé et les économies d’énergies théoriques beaucoup plus massives que le constaté.
Ces exemples de prélèvements sont complétés par des impositions de toutes natures liées à l’accompagnement de la transition électrique.
Les coûts de l’adaptation des réseaux électriques aux modalités de production des énergies renouvelables, qui sont soumis à l’approbation de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sont, pour le raccordement, mutualisés entre les producteurs d’énergies renouvelables, sauf pour l’éolien en mer, où ils sont mis à la charge du gestionnaire du réseau de transport. Lors des auditions de la commission d’enquête, les représentants de RTE les ont estimés à 2,1 milliards d’euros pour la période 2019-2022, dont 300 millions d’euros à la charge des producteurs, en ce qui concerne le réseau de transport. Pour le réseau de distribution, auquel sont raccordés la plupart des moyens de production intermittents, Enedis fait état, pour 2018, d’une part de ses investissements en lien avec le renouvelable à hauteur de 6 %, cette part devant doubler dans les années suivantes.
Il faut mentionner enfin les subventions dites du « marché de capacité » qui impactent le pouvoir d’achat des Français. Elles visent à permettre de disposer de moyens de production, non viables au prix de marché, mais nécessaires, « au cas où », à la sécurité d’approvisionnement. Leur financement se répercute aujourd’hui sur la facture d’électricité à hauteur de 2 % de celle-ci pour un consommateur résidentiel au tarif réglementé. Le débat pourrait prendre de l’ampleur dans le futur : une autre interrogation porte sur la recomposition du tarif d’utilisation du réseau, prenant actuellement en compte la consommation d’électricité, dans l’hypothèse d’un développement marqué de l’autoconsommation. Le coût de l’assurance mutuelle, apportée par le réseau, de pouvoir disposer d’électricité à tout moment, serait en partie reporté sur les ménages n’ayant pas la possibilité ou les moyens d’installer un équipement d’autoproduction photovoltaïque au bénéfice de ceux qui le peuvent.
Les membres de la commission d’enquête ont eu bien du mal à y voir clair et à obtenir un document simple, synthétique et didactique de Bercy. Une chose est sûre : les auditions de la commission d’enquête ont mis en évidence l’impact des prélèvements sur les factures d’électricité et de carburant : près de 57 milliards d’euros, dont seulement une dizaine sont effectivement affectés à la transition énergétique.
Une simplification que j’appelle de mes vœux conduirait à unifier toutes ces taxes en une seule, à l’appellation aisée et transparente : taxe de financement de la transition énergétique. Celle-ci s’appliquerait transversalement à toutes les consommations énergétiques, mais à des taux différents en fonction du degré de carbonation. Cela me semble un pas nécessaire pour améliorer la compréhension fiscale.
b. De l’acceptabilité sociale dans les territoires en général, et du problème de l’éolien en particulier
En aval de la transition énergétique, le discours valorisant les énergies renouvelables comporte également une dimension mettant en valeur son caractère éminemment décentralisé et de proximité. Il est apparu cependant que le sujet de l’implantation d’une unité de production posait la question de l’acceptabilité sociale, de manière plus aiguë pour l’éolien ou la méthanisation que pour le photovoltaïque.
Le premier motif de rejet en termes d’acceptabilité sociale tient au fait que les nouvelles énergies sont grandes consommatrices d’espace, comparativement aux moyens de production traditionnels. Il s’agit d’une conséquence nécessaire du faible rendement énergétique des solutions utilisant une énergie fatale, alors que le rendement énergétique des moyens classiques de production, comme les centrales nucléaires ou thermiques, permet de ne les implanter que sur un nombre limité de sites. Par exemple, les cellules photovoltaïques ont un rendement assez faible, de l’ordre de 12 à 20 % pour les technologies à base de silicium. Lors de leur audition précitée, les représentants du BRGM ont indiqué que pour remplacer un réacteur nucléaire de 1 GW fonctionnant avec un facteur de charge de 75 %, il faudrait recouvrir 5 200 hectares de panneaux photovoltaïques, soit la moitié de la surface de Paris.
L’argument selon lequel cet effet serait neutralisé par le caractère décentralisé des énergies renouvelables n’apporte qu’en apparence une réponse et ce pour deux raisons. Premièrement, un risque d’incompréhension apparaît quand une énergie a été présentée, en discours, comme décentralisée par nature et qu’elle demeure pourtant une énergie liée au réseau, et dont l’identification locale attendue – « notre énergie » – ne trouve pas de traduction concrète. Les nouvelles énergies restent finalement au service du national, et non du local. La décentralisation prend corps pour les nuisances, pas les gains (sauf cas particulier d’actionnariat citoyen). Deuxièmement, parce qu’en raison même de leur éparpillement, les difficultés tenant au rejet du gigantisme et aux conflits d’usage se trouvent démultipliées. La commission d’enquête a auditionné des marins pêcheurs qui ont fait prendre conscience de l’impact des projets de six parcs éoliens posés en mer sur l’activité de pêche et son existence même, alors que l’éolien en mer est fréquemment considéré et présenté comme l’option qui permettra de surmonter l’opposition grandissante à la multiplication des éoliennes à terre.
L’éolien a occupé une place à part dans les travaux de la commission car il s’est peu à peu imposé comme LE symbole du divorce entre une stratégie nationale « parisienne » et une mise en application complexe dans une ruralité échaudée, un peu à l’image des portiques de l’écotaxe.
En introduction de ce problème de l’acceptabilité sociale, il ne faut pas perdre de vue qu’une approche nationale, « d’en haut », fixant des objectifs à atteindre en mégawatts de puissance installée, trouvera sa traduction concrète, localement, « sur le terrain », en nombre d’éoliennes : passer de 7 000 éoliennes à 14 000 éoliennes, puis 20 000 éoliennes, constitue une autre façon d’appréhender la trajectoire de développement de cette filière. Et cela d’autant plus, lorsque l’évolution des technologies lie l’accroissement de puissance à l’augmentation de la taille des installations. Comme il a été souligné lors des auditions de la commission d’enquête, des installations initialement de 40 mètres deviennent, en 2000, des installations de 0,75 mégawatt d’une hauteur de 75 mètres, et d’une envergure de 35 mètres. En 2008, il est question de 2 mégawatts, 125 mètres de haut et 90 mètres d’envergure et, en 2019, de 3 ou 4 mégawatts, de 180 à 240 mètres de haut et 120 à 150 mètres d’envergure. Si la miniaturisation a été caractéristique de la montée en puissance de l’électronique et de ses applications informatiques, le gigantisme semble l’être de celle de l’industrie éolienne.
Un même phénomène atteint d’ailleurs mutatis mutandis le photovoltaïque avec le développement des centrales au sol et jusqu’aux installations de méthanisation. Aux nuisances liées à l’insuffisant éloignement entre les habitations et les installations éoliennes dont la taille n’augmente pas seulement pour les parcs éoliens situés en mer – il s’agit pourtant d’installations classées pour la protection de l’environnement – risquent de s’ajouter les nuisances d’installations de méthanisation, qui ne seront plus des méthaniseurs à la ferme mais de véritables usines de procédés industriels chimiques. En ce domaine aussi s’exprime ce passage au stade industriel, au point de faire parfois d’agriculteurs d’abord des producteurs d’énergie. Il conviendrait plutôt de s’en tenir à des installations de taille plus réduite, qui permettent d’éviter tant la compétition pour la ressource que des installations trop à proximité des habitations, uniquement pour disposer des nœuds routiers facilitant la livraison d’intrants collectés à distance.
Tous ces constats faits par la commission d’enquête sont représentatifs d’une prégnance du chiffre à tout prix qui commence à contaminer des pans de plus en plus nombreux de la transition énergétique, mettant en opposition le bien-être de la population et la rentabilité des structures.
Or, le lien fait entre prolifération, gigantisme et efficacité, apparaît rien moins que sûr.
Une telle évolution a eu pour conséquence inévitable un changement d’échelle géographique et un phénomène d’écrasement du paysage et du patrimoine bâti, compte tenu du rapport d’échelle que les éoliennes instaurent. L’argument tenant au caractère éminemment subjectif de l’appréciation du paysage perd de sa pertinence devant l’effet objectif d’un tel écrasement du paysage.
La commission d’enquête a pris le temps d’entendre les associations de protection des paysages et des sites. Toutes ont insisté sur la banalisation des paysages et des espaces ruraux qui risque de transformer un territoire recevant des éoliennes en un territoire éolien. La comparaison a été faite avec la banalisation qu’ont connue les espaces périurbains avec leurs aménagements identiques de ronds-points, de zones d’activités et de centres commerciaux. Par un processus ressemblant, on aboutira à faire de certaines zones rurales des zones d’entre-deux. Une telle perte de l’identité rurale ne peut qu’avoir un impact désastreux sur le potentiel touristique qui constitue souvent le facteur de développement économique essentiel de ces territoires et de certaines de leurs localités. Une stratégie d’attractivité touristique peut être anéantie par l’implantation d’éoliennes. Le clivage entre métropole et territoires ruraux risque d’en être aggravé.
Ce serait sans doute une vaine facilité de prétendre opposer à ce constat l’argument d’une tentation de consacrer un passé nostalgique, quand il est plus légitime d’y voir, à l’inverse, une mise en question du futur, tel qu’il est dessiné par les choix énergétiques actuels : quel paysage sera demain le nôtre et pour quel usage ?
Cet enjeu n’est pas méconnu par les thuriféraires des énergies renouvelables et leurs promoteurs. Ils en appellent à la nécessité de donner tout son temps à la pédagogie. Une telle intention ne peut qu’être louée, bien qu’incertaine dans son résultat s’il s’agit de vouloir convaincre les gens que ce qu’ils voient n’est pas ce qu’ils voient.
Il est apparu à la commission d’enquête que les comportements au cours de la phase de présentation des projets au public étaient déterminants pour l’instauration d’une relation de confiance ou l’échec à y parvenir. Tous les développeurs auditionnés ont déploré les blocages qui retardent la réalisation des projets, blocages qui ne seraient pas tant le signe d’un manque d’explication et de consultation que l’expression d’une forme d’acharnement anti-éolien. Pour les développeurs auditionnés par la commission d’enquête, leurs propres pratiques à cet égard ne seraient pas mises en cause, car la confiance est nécessaire au bon aboutissement du projet.
Telle n’est pas l’expérience dont il a été rendu compte, à plusieurs reprises, devant la commission d’enquête. Ainsi, il a été fait état de pratiques aboutissant au fait que dix-huit mois se soient écoulés avant de seulement donner connaissance d’un projet d’implantation d’éoliennes de 200 mètres de haut dans un espace agricole et touristique. De même, a été déplorée l’absence de consultation d’une commune limitrophe d’un territoire d’implantation d’un projet éolien parce qu’elle appartenait à un autre département. Lors des auditions, il a pu même être question de pratiques de « shopping », avec un démarchage des villages, individuellement, sans en informer les villages voisins et les intercommunalités, les développeurs détectant les poches d’aménagement et les prospectant, en insistant sur l’éolien comme source de revenu complémentaire pour les exploitants agricoles, au point que l’élu peut se trouver confronté à un projet prévu sur le territoire de la commune sans y avoir été associé en amont. De tels témoignages, ressort l’impression désagréable de pratiques qui trahissent une vision plus proche du Far West que d’un conservatoire des écosystèmes.
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Les énergies renouvelables ont une identité écologique manifeste : si on est soucieux d’environnement, on est favorable aux éoliennes. Ce raccourci devient même une image de marque et un argument de vente en gros et au détail.
En gros, car tous ceux qui concourent à la multiplication des investissements en ce domaine le font avant tout, ils n’ont pas manqué d’y insister lors des auditions de la commission d’enquête, au nom d’une même démarche conscientisée « verte » et sous le même label « vert ». Ce qui n’est pas exclusif de la possibilité de constituer, par exemple, plus d’une centaine de millions d’euros de réserves non distribuées, témoignant ainsi du fait que conviction et profitabilité ne sont pas exclusives l’une de l’autre.
En détail également, car les fournisseurs en font un argument de vente et proposent des offres vertes, ce qui a d’ailleurs conduit certains d’entre eux à vouloir se démarquer en opposant aux fausses offres vertes de leurs concurrents, leurs vraies offres vertes, garantissant l’origine renouvelable de l’électricité fournie, à l’exclusion de toute autre source, tout particulièrement nucléaire.
Les analyses économiques et d’acceptabilité sociale de la commission convergent cependant pour tempérer fortement cet engouement.
Au-delà de la stratégie globale sur le mix électrique, les travaux de la commission d’enquête ont permis de démontrer clairement que l’éolien, et notamment l’éolien terrestre et l’éolien posé en mer, était un cas « à part » dans la transition énergétique française. Non content de devenir le premier poste de dépense publique pour le soutien à la transition énergétique et d’être le plus difficile à anticiper en matière de volatilité de production, l’éolien est clairement apparu, aux yeux d’une très large partie des membres de la commission, comme « le mal-aimé » de la transition énergétique. Il est urgent d’abaisser les tensions en décrétant un moratoire dans les territoires impactés où les projets d’implantation sont disputés et en revoyant les règles d’éloignement par rapport aux habitations.
4. Agir avant qu’il ne soit trop tard, pour l’économie et la planète
a. L’attente du « deus ex machina » du stockage nous évitera un black-out électrique européen. Sauf s’il arrive trop tard…
Le rapport étudie également l’impact de la viabilité technique du mix électrique, au-delà des considérations budgétaires.
Les gestionnaires de réseaux doivent désormais faire face aux conséquences de l’intermittence et du caractère non pilotable des énergies renouvelables électriques photovoltaïque et éolienne. Cet aspect de leur mission est souvent présenté à l’aune des pays nous ayant devancés dans le développement des énergies renouvelables électriques, à l’instar du Danemark, dont la consommation d’électricité est sensiblement inférieure à celle de la France, ou de l’Allemagne, dont la consommation d’électricité est supérieure à la nôtre, et qui en sont donc à un stade plus avancé de déploiement mais bénéficient des flexibilités permises par des interconnexions les reliant à d’autres « gisements » de consommation d’électricité ou de moyens de production en base ou pilotables.
Dans le bilan électrique pour 2018 dressé par RTE, la répartition de la production d’électricité par filière donne une part de 5,1 % à l’éolien et une part de 1,9 % au solaire. Ceci constitue néanmoins une présentation extrêmement simplificatrice en ce qu’elle peut donner à penser qu’à mesure du déploiement des énergies renouvelables, leur production se substituera tout simplement à la production nucléaire ou thermique.
En réalité, la demande d’électricité varie considérablement d’une heure à l’autre, au cours de la journée. Il convient donc de disposer de moyens de production permettant de faire face aux plus hauts de la consommation. L’électricité renouvelable étant intermittente ne le permet pas.
Ainsi, les pics de production photovoltaïque interviennent en été, lorsque la consommation est moindre et les creux en hiver au moment où la consommation est à son sommet. De même, la production d’électricité éolienne varie considérablement. En conséquence, le taux de couverture de la consommation d’électricité par leur production varie d’heure en heure. Par exemple, en prenant en compte les maximums de production de l’année, mis en exergue par RTE dans le bilan électrique précité, s’agissant de l’éolien, le maximum annuel était atteint le 9 décembre 2018 à 13 h 30, avec une puissance de 12 287 MW, soit 21 % de la consommation, à 19 h 30, la puissance appelée était redescendue à 8 535 MW, soit 13,6 % de la consommation, alors que cette dernière avait augmenté de 7 %, entre ces deux moments, la production éolienne avait diminué, elle, de 30 %.
En prenant le maximum pour le photovoltaïque, le 23 juin 2018 à 14 h 00, avec une puissance de 6 430 MW, maximum historique selon RTE, ce dernier contribuait à 14,4 % de la consommation, à 19 h 30, il était revenu à 1 691 MW, soit 4 % de la consommation.
L’impact de ces variations augmentera donc avec l’augmentation de la part d’électricité d’origine renouvelable dans le bouquet électrique.
Ce caractère d’intermittence en grande partie aléatoire impose actuellement de disposer de moyens de production traditionnels pour compenser, à certaines heures ou dans certaines situations météorologiques, l’écart entre la consommation et la production d’électricité.
Plusieurs arguments sont mis en avant pour convaincre qu’il sera possible, à l’avenir, de pallier l’intermittence sans disposer des moyens actuels nucléaires et thermiques. Ces arguments sont de plusieurs ordres.
L’argument du progrès technique. Les progrès technologiques permettent d’abord de produire plus d’électricité par éolienne ou panneau solaire. La disponibilité d’éoliennes passant d’une puissance de 3 MW à 12 MW et leur impact, par exemple, sur la production d’un parc éolien en mer et ses coûts, en sont un exemple. Toutefois, s’agissant d’une source d’énergie fatale, si les avancées technologiques augmentent la production au moment où le soleil brille ou lorsque le vent souffle, elles sont impuissantes à pallier les effets des conditions météorologiques ou du moment de la journée amputant ou annulant la production. En outre, elles ne changent rien par elle-même en ce qui concerne l’absence de corrélation avec les variations de la consommation.
L’argument théorique du foisonnement. Celui-ci est fréquemment mis en avant, y compris dans les publications de RTE. Selon cette théorie, les fluctuations dans le temps de la production d’électricité de source intermittente peuvent être compensées, en moyenne, par la dispersion géographique de ses sites de production. De cette façon, il sera d’autant plus possible de tirer parti des différences dans les régimes des vents et d’ensoleillement que les interconnexions entre réseaux des différents pays européens auront été renforcées. Néanmoins, plusieurs auditions de la commission d’enquête ont fragilisé cet argument, en mettant en évidence l’existence de périodes de faible vent sur la quasi-totalité de l’Europe de l’Ouest, vent trop faible pour garantir la production d’électricité, ainsi qu’en mettant en évidence une corrélation des productions solaires et éoliennes à l’échelle de l’Europe. L’argument du foisonnement s’appuie donc sur des statistiques météorologiques, confirmées jusqu’au jour où elles cesseront de l’être en laissant le gestionnaire de réseau face à ses responsabilités et aux arbitrages qu’elles impliquent, pour tenter d’éviter des défaillances dont le coût serait très élevé.
L’argumentation en faveur du stockage, permettant en quelque sorte d’adjoindre une dimension pilotable aux techniques de production intermittentes, se décline en options techniques différentes. La durée et le coût de ce stockage résultent de paramètres techniques et économiques. Pour le stockage par batteries, on peut considérer que les possibilités offertes par la technique actuellement la plus répandue de batteries lithium-ion liquide ne sont pas à l’échelle des besoins. Même si des publications du gestionnaire du réseau de transport et du régulateur du marché de l’énergie entrevoient une dynamique encourageante et suggèrent qu’il s’agira d’un instrument important pour accroître la flexibilité du système électrique tout en maîtrisant les coûts d’adaptation du réseau, les différentes auditions de la commission d’enquête au cours desquelles le stockage a été évoqué ont conclu au caractère aujourd’hui irréaliste d’un système prétendant, à terme, couvrir toute la demande d’électricité par la production d’énergies renouvelables couplées au stockage par batteries.
Reste donc l’argument du saut technologique, qui consiste aujourd’hui, en quelque sorte, à substituer un « mix » à l’efficacité en espérance à un « mix » à l’efficacité éprouvée.
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Jean-Marc Jancovici a d’ailleurs douté de la crédibilité des scénarios remplaçant la totalité de la production d’électricité d’origine nucléaire par une production éolienne accompagnée de stockage. Il a procédé à une comparaison, en ordre de grandeur, des investissements requis dans l’une ou l’autre hypothèse. À consommation finale d’électricité identique, il convient, compte tenu de la disparité des facteurs de charge respectifs, d’investir dans une puissance trois fois supérieure dans le cas de l’éolien, qu’il faudra renouveler deux à trois fois compte tenu de la moindre durée de vie de l’investissement. Le dimensionnement actuel du réseau ne demanderait pas d’adaptation dans le cas du nucléaire, il devrait être mis à niveau, dans le cas de l’éolien, compte tenu de la puissance installée requise pour pallier les effets du facteur de charge. Le besoin de stockage serait, annuellement, en moyenne de l’ordre de la moitié de la production, ce qui, compte tenu des pertes d’énergies liées au stockage, nécessiterait de sur-dimensionner le parc éolien pour produire l’électricité perdue au cours du processus de stockage lui-même (pompage, turbinage, transport). En tenant compte d’un coût au kWh deux à quatre fois moins élevé dans le cas de la puissance installée éolienne par rapport à la puissance installée nucléaire, le système électrique éolien demanderait un montant d’investissement cinq fois supérieur au montant requis par le système électrique nucléaire, dans l’hypothèse la moins favorable à ce dernier.
Quant à la variable d’ajustement comportementale des scénarios de transition énergétique permettant « sur le papier » de faire coïncider la demande d’électricité avec la production de source fatale, on s’approche d’une réforme des comportements individuels. L’instrument du signal prix envoyé et compris par le consommateur grâce à la digitalisation des réseaux, s’il est compréhensible et exploitable pour les détenteurs de grands comptes, ne manque pas de laisser dubitatif s’agissant du plus grand nombre des consommateurs résidentiels ordinaires. Derrière un habillage consumériste « jeune », risque de prévaloir ce qui s’apparente à une contrainte comportementale : à la liberté d’utilisation et donc de sollicitation du système électrique « traditionnel », on substituera, sous un habillage rhétorique aimable, une forme de rationnement et de culpabilisation des comportements non coopératifs, la responsabilité du black-out, si black-out il devait finalement y avoir, étant évidemment celle des consommateurs indisciplinés et non la conséquence de choix inadéquats ayant fragilisé la sécurité d’approvisionnement.
In fine, on peut considérer qu’une forme de consensus s’est fait jour au sein de la commission : le rapporteur explique que seul un investissement sur le stockage électrique permet la viabilité de la montée en puissance des énergies intermittentes. Elle est en réalité optimiste sur l’avenir, en pensant que la solution du stockage est à portée de main, et donc que le mix est viable. Cela revient à dire de manière plus prosaïque et sans doute pessimiste, que puisque la solution du stockage n’a pas encore été découverte, tous les choix politiques de diminution de la part du nucléaire au profit des énergies électriques se sont basés sur un pari sur l’avenir, et que techniquement, à l’heure où ce rapport est rédigé, ce mix n’est pas viable.
Il faut bien se rendre compte qu’il ne s’agit pas seulement d’une discussion académique, mais bien d’une prise de risque à la dimension du système électrique lui-même, avec ses conséquences massives pour la population, en raison du niveau d’électrification des usages atteint aujourd’hui. L’expression anglaise de « black out » montre de façon moins abstraite ce dont il est véritablement question. L’Europe est passé à côté d’un tel risque en 2006 et a depuis mis en place des dispositifs de sauvegarde. La question est : cela sera-t-il suffisant alors que depuis lors, l’intermittence sur le réseau s’est accrue ?
Le 10 Janvier 2019, la fréquence du système électrique français et européen est passée très en dessous de 50 hertz et RTE a dû en urgence débrancher six clients parmi les industries grandes consommatrices d’électricité. Le problème français a été importé en réalité du réseau européen, l’un de nos partenaires n’ayant pas fourni l’électricité requise (problème de mesure sur les lignes Allemagne/Autriche). Un hiver faiblement venté est redoutable pour la production des électricités intermittentes. Le 7 octobre 2019, une nouvelle alerte – la 4ème depuis 2011 mais la 2ème pour la seule année d’étude de cette commission d’enquête – a nécessité la réduction en urgence de la consommation de 22 sites de production industriels. Dans le cas d’espèce, le problème venait de l’arrêt inopiné de la production d’un réacteur EDF à Gravelines, pour maintenance.
En d’autres termes, la variabilité de production ne permet pas de suppléer le moteur nucléaire. Je regrette que la fréquence de ces évènements n’ait pas semblé suffisamment sérieuse pour questionner plus durement l’optimisme affiché de certaines personnes auditionnées.
Si le volontarisme actuel autour de la montée en puissance des énergies renouvelables a sous-estimé le risque d’un réseau européen interconnecté avec une diminution du nucléaire français, coussin de sécurité de l’ensemble, et une augmentation massive de l’incorporation d’électricité intermittente, l’Europe connaîtra une mégapanne électrique qui ne pourra qu’être dévastatrice en matière économique mais aussi en termes d’ordre public. À titre de comparaison, la panne électrique survenue en 2003 aux États-Unis, qui a duré 24 heures, a coûté six milliards de dollars. La panne électrique de 1977 à New-York, qui a duré 36 heures, a provoqué des émeutes et des pillages, entraînant l’arrestation de 4 000 personnes et une perte de 150 millions de dollars pour les commerces. Une mégapanne européenne plongerait la France dans le noir pendant une durée probablement plus proche de 48 heures.
b. L’autre transition énergétique
De l’analyse de la stratégie actuelle, je conclus à quatre points saillants de réorientation.
Premièrement, nous devons changer les objectifs de la transition énergétique. Notre véritable problème commercial, économique, écologique est notre dépendance au fossile. Nous n’y consacrons pas les moyens nécessaires.
Deuxièmement, nous devons tirer les conséquences concrètes de ce nouveau paradigme. Ce constat plaide donc pour une réorientation du soutien public en faveur des actions d’efficacité énergétique à fort impact en termes de réduction des émissions de CO2.
Les incitations à l’isolation extérieure des bâtiments, au remplacement des chaudières au fioul par des chaudières au biogaz et du solaire thermique dans les bâtiments résidentiels, au transport collectif apparaissent pertinentes à cet égard.
Pour que cette réorientation soit suivie d’effet. L’État est confronté à un dilemme : soit il persiste à vouloir engloutir tous les ans près de 5 milliards d’euros pour subventionner une industrie mature de production électrique, et dans ce cas-là, il devra augmenter la taxe carbone pour financer les autres priorités, au risque de déclencher une nouvelle crise sociale ; soit à enveloppe constante, il réalloue les fonds aujourd’hui positionnés sur l’éolien et le photovoltaïque au profit des autres priorités.
Le constat fait par la commission d’enquête plaide d’autant plus pour une telle réorientation que l’acceptabilité sociale de certaines énergies renouvelables et des pratiques qui les accompagnent sont apparues sources d’interrogations et d’inquiétudes.
Troisièmement, l’État doit « remettre de l’ordre » dans la déclinaison de sa politique. Collectivités, promoteurs et citoyens ne peuvent être laissés face à face. À plusieurs reprises, une demande de territorialisation de la politique énergétique s’est exprimée devant la commission d’enquête, pour décliner les objectifs globaux au niveau régional et départemental, le choix effectif du bouquet d’énergie revenant à l’intercommunalité. La demande d’une définition des projets énergétiques des territoires, à l’échelle des bassins de vie, en concertation avec les acteurs locaux, est un leitmotiv des auditions, y compris de la part des élus locaux eux-mêmes : on ne conduit pas une politique énergétique territoriale sans que les citoyens et les collectivités locales ne soient « aux commandes ». Les bénéfices de cette politique énergétique doivent être localisés sur le territoire. Rédiger un document programmatique comme un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ne suffit pas, la revendication est de pouvoir le mettre en œuvre concrètement. Il faut notamment que des documents d’urbanisme intercommunaux soient opposables aux promoteurs.
Le rapport fait droit à cette demande, reconnaissant de facto la désorganisation territoriale et les problèmes d’acceptabilité sociale, mais n’est guère coercitif sur les mesures à prendre. Je partage les différentes recommandations en annexe du rapport, présentées par des députés de tous bords, et voudrait insister sur l’une d’entre elles.
Sans doute serait-il de bonne méthode d’articuler une mission de programmation, confiée à un commissariat à la transition énergétique, pour la planification des infrastructures de production d’énergie, avec le choix de la contractualisation comme instrument de mise en œuvre. Les conventions auraient pour cosignataires tant la région, collectivité chef de file dans le domaine de l’énergie, que l’échelon communal, territoire d’accueil des infrastructures.
Une telle organisation serait d’autant plus judicieuse que les auditions de la commission d’enquête ont montré une position arbitrale des représentants de l’État dans les territoires mise en question, qu’il s’agisse du préfet ou des agents des directions régionales environnement-aménagement-air (DREAL) ou des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), tenus qu’ils sont d’appliquer les textes protecteurs de l’environnement, pouvant aboutir au rejet d’un projet, tout en étant soumis à l’injonction contradictoire favorisant l’éolien ou les grandes centrales photovoltaïques au nom de la politique actuellement voulue.
Quatrièmement, la politique énergétique doit être écologique, au-delà du seul objectif carbone. Il ne peut y avoir de politique énergétique sans prise en compte des préoccupations liées à la biodiversité. Il serait paradoxal, au prétexte de développer une énergie verte, de se montrer moins exigeant sur ce plan qu’à l’égard des entreprises de production gazière ou pétrolière et alors que dans le temps même où on aménage les terrils des anciens sites miniers pour les verdir, on en vienne, pour tenir des objectifs quantitatifs irréalistes, à installer des éoliennes gigantesques dans les zones de pêche au mépris des efforts de reconstitution de la ressource qui ont été conduits, ou dans des forêts, des zones boisées ou des couloirs de migration d’oiseaux protégés, d’installer des centrales solaires sur des terrains à vocation agricole ou d’envisager la dissémination d’installations de méthanisation quasi industrielles dont l’épandage de l’eau ammoniacale constitutive de leur digestat appauvrira la faune du sol et comportera un risque pour les nappes phréatiques.
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La commission d’enquête avait pour objectif d’interroger les différents intervenants de la transition énergétique en actes. Il en ressort qu’au vert des intentions et des discours se mêle, de plus en plus, le gris des pratiques et des résultats. L’acceptabilité sociale s’érode en partie par manque de clarté dans la définition et la compréhension des objectifs, la nature et la charge des financements, ainsi que par un manque de cohérence entre les soutiens apportés et les objectifs affichés eux-mêmes.
Il apparaît clairement que le soutien aux énergies renouvelables électriques apparaît excessif, encore est-il réalisé pour des raisons que les Français croient rationnelles, sans avoir pris conscience qu’il s’agit d’une fausse science, puisque, selon un sondage récent, une majorité d’entre eux pense encore que, s’il y a urgence à décarboner notre bouquet électrique, c’est en raison des émissions de CO2 liées à la production d’électricité nucléaire. Il serait raisonnable de basculer une partie de ce soutien en faveur d’une diminution des émissions de CO2 en s’attachant d’abord au volet thermique de la transition énergétique.
Sous prétexte de sécurisation, les choix faits fragilisent le réseau électrique, le subventionnement profite de façon excessive à des acteurs qui n’en n’ont pas besoin et les priorités du transport et du logement, au regard de la diminution des émissions de CO2, sont reléguées au second plan.
Au nom de l’exemplarité dans l’action pour le sauvetage de la planète, on s’ingénie à détruire des paysages et bouleverser la vie des gens. On a un peu trop oublié qu’il est aussi question de l’Homme dans la politique énergétique, comme en toute politique.
Non seulement cette politique mobilise beaucoup d’argent public, sans que l’on puisse d’ailleurs savoir exactement combien, pour des raisons ressassées par des experts qui continuent d’empiler scénarios sur scénarios, sans avoir pris conscience du fossé qui s’est creusé entre leurs ratiocinations et les préoccupations des consommateurs et contribuables telles qu’elles s’expriment de plus en plus ouvertement dans le débat public. Les gains de cette politique ne vont pas tous à l’écologie, et quand ils vont à l’écologie, ils n’ont pas d’impact significatif sur les véritables priorités en matière d’émissions de CO2. Derrière une phraséologie très moralisatrice, s’est mis en place un safari de la subvention publique qui n’apparaît guère cruel aux lobbies. Il est temps, pour l’État et les élus, de retrouver la maîtrise de ce processus.
Le grand mérite de ce rapport est d’être resté honnête sur la retranscription des auditions, contrairement au rapport sur la sûreté nucléaire de Mme Barbara Pompili. Madame le Rapporteur, Madame Marjolaine Meynier-Millefert, a minutieusement rapporté et décrit les mécanismes complexes de la politique de transition énergétique. Je tenais à la remercier pour ce souci.
Je crois pouvoir dire qu’un consensus politique s’est forgé autour de quelques idées majeures : qu’aujourd’hui la politique de transition énergétique menée ne concourt pas à la transition climatique, c’est-à-dire à la lutte contre le réchauffement climatique ; que les impôts, taxes et prélèvements divers imposés au nom de cette politique sont excessivement nombreux, complexes et pas toujours, loin de là, affectés à la transition énergétique ; que les crédits effectivement alloués à la transition énergétique sont massivement mobilisés sur une obligation de moyens (développer des énergies renouvelables électriques) qui n’a qu’un impact limité sur les émissions de CO2 ; que par conséquent, il est essentiel de rééquilibrer les sommes disponibles vers trois objectifs : le développement des filières émergentes d’énergies renouvelables (l’hydrogène par exemple), l’habitat et les transports, en d’autres termes ce qui peut permettre de diminuer effectivement l’addiction fossile de l’économie française.
On m’objectera que ce consensus fait l’objet ensuite de formulations différentes, de recommandations plus ou moins tranchées, et parfois de stratégies divergentes. Ainsi, Madame le Rapporteur préfère sécuriser les investisseurs des énergies intermittentes électriques en amont (faisabilité, études) avant d’enlever les mécanismes de tarif de rachat en aval de la production, alors qu’un certain nombre de membres de cette commission, à commencer par moi-même, privilégient une approche en parallèle, phasée, avec une date butoir donnée par avance pour la fin du soutien public d’aval.
L’essentiel demeure : la politique de transition énergétique de la France coûte cher, pour ne pas agir sur notre problème numéro 1 : le réchauffement climatique